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Annales gratuites Bac 1ère L : Texte de Tournier

Le sujet  1999 - Bac 1ère L - Français - Commentaire littéraire Imprimer le sujet
LE SUJET

Il ferma les yeux et appuya sa joue contre le tronc, seul point ferme dont il disposât. Dans cette vivante mâture, le travail du bois, surchargé de membres et cardant(1) le vent, s'entendait comme une vibration sourde que traversait parfois un long gémissement.

Il écouta longuement cette apaisante rumeur. L'angoisse desserrait son étreinte. Il rêvait. L'arbre était un grand navire ancré dans l'humus et il luttait, toutes voiles dehors, pour prendre enfin son essor. Une chaude caresse enveloppa son visage.
Ses paupières devinrent
incandescentes. Il comprit que le soleil s'était levé, mais il retarda encore un peu le moment d'ouvrir les yeux.

Il était attentif à la montée en lui d'une allégresse nouvelle. Une vague chaleureuse le recouvrait. Après la misère de l'aube, la lumière fauve fécondait souverainement toutes choses.

Il ouvrit les yeux à demi. Entre ses cils, des poignées de paillettes luminescentes étincelèrent. Un souffle tiède fit frémir les frondaisons. La feuille poumon de l'arbre, l'arbre poumon lui-même, et donc le vent sa respiration, pensa Robinson.


Il rêva de ses propres poumons, déployés au-dehors, buisson de chair purpurine(2), polypier(3) de corail vivant, avec des membranes roses, des éponges muqueuses...

Il agiterait dans l'air cette exubérance délicate, ce bouquet de fleurs charnelles, et une joie pourpre le pénétrerait par le canal du tronc gonflé de sang vermeil...

MICHEL TOURNIER,
Vendredi ou les Limbes du Pacifique.
Gallimard, 1967.

(1) carder : peigner, démêler la laine.
(2) purpurine : de couleur pourpre.
(3) polypier : armature solide du corail.


I - QUESTIONS

1 - Analysez le jeu des sonorités dans la deuxième phrase.

2 - Nommez et analysez la figure de style concernant l'arbre : "L'arbre était (...) son essor".

3 - Justifiez l'emploi du conditionnel dans la dernière phrase.


II - COMMENTAIRE COMPOSE

Vous présenterez un commentaire composé de ce texte.

LE CORRIGÉ

I - FICHE SIGNALETIQUE

Le commentaire proposé est extrait d'un livre que de nombreux élèves ont lu, au moins dans sa première version : Vendredi ou la vie sauvage . C'est donc un auteur connu. Tout le monde sait par ailleurs qui est Robinson Crusoé, le héros de DEFOE, échoué sur une île déserte du Pacifique.

Le texte en lui-même, très poétique, se prête à l'analyse, puisque son lyrisme et l'évocation des sensations s'opèrent à travers une série de figures de style bien étudiées en cours.

C'est par le biais des questions 1 et 2 que l'on peut être mis sur la voie. Il s'agira d'étudier les procédés mis en oeuvre par TOURNIER pour évoquer ce que ressent ce héros solitaire qui trouve en l'arbre la présence du vivant.


II - REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR

Je trouve ce texte absolument magnifique, cette proximité, puis cette fusion entre l'homme et l'arbre en font un véritable morceau de poésie. De plus, il est d'une clarté limpide et l'expérience de Robinson est finalement universelle. Qui n'a jamais enlacé le tronc d'un arbre et posé sa joue, étant enfant, contre son écorce protectrice ?


III - CONNAISSANCES REQUISES

Les questions exigent une connaissance précise :
- de l'harmonie imitative (correspondance entre les sons et l'idée exprimée au moyen d'assonances et d'allitérations),
- des images (métaphore, analogie, personnification)
- et des règles de concordance des temps dans le style indirect.

Le commentaire composé demande, pour bien comprendre le texte, une bonne imagination. Il faut pouvoir bien se représenter l'expérience du héros.

Mais cela demande aussi la maîtrise de la technique du commentaire composé et des plans possibles.

On n'exigera pas en revanche que l'élève soit capable de situer parfaitement le passage dans l'oeuvre.


IV - TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET

1) On peut identifier trois types de sonorités qui sont répétées et donnent une idée de ce que perçoit Robinson :

- Les assonances nasales /an/ et /on/ donnent l'idée d'un bruit sourd et profond : " dANs cette vivANte mâture, le travail du bois, surchargé de mEMbres et cardANt le vENt, s'ENtENdait comme une vibratiON sourde que traversait parfois un lONg gémissemENt. "

Les allitérations labiodentales /v/ imitent le sifflement du vent.

" dans cette ViVante mâture, le traVail du bois, surchargé de membres et cardant le Vent, s'entendait comme une Vibration sourde que traVersait parfois un long gémissement. "

Les allitérations dentales /t/ et /d/ reproduisent les craquements ou les grincements que produit le vent dans le tronc.

" Dans cette vivanTe mâTure, le Travail du bois, surchargé de membres et carDant le vent, s'enTenDait comme une vibration sourDe que Traversait parfois un long gémissement. "

2) La figure de style employée est une image. Cette image est une métaphore in praesentia, (le comparé, l'arbre, et le comparant, le navire, sont tous les deux présents).

Pour être plus précis, on ajoutera que cette métaphore est construite au moyen du " est " d'équivalence : " l'arbre était un grand navire ".

Enfin on complètera l'analyse en indiquant que la métaphore est filée grâce à une série d'analogies : Arbre - navire, racines - ancre, humus - mer, feuillage - voiles, et précédemment on avait l'analogie : tronc - mâture.

3) Les conditionnels " agiterait " et " pénétrerait " dépendent du verbe
" pensa " qui se trouve plus haut. On se trouve dans le style indirect libre, auquel s'appliquent les règles de la concordance des temps avec verbe introducteur au passé.

Ces conditionnels ont donc une valeur de futur dans le passé.

PLAN POSSIBLE

En principe, on attend pour un commentaire composé trois grands types de plan possible :

- un plan fondé sur les structures du texte en évitant un commentaire juxtalinéaire qui reviendrait à se lancer dans une suite de remarques sans synthèse.

Ici on pourrait par exemple adopter un plan montrant comment le protagoniste s'échappe peu à peu de la réalité pour rejoindre un monde onirique.

- un plan fondé sur les effets qui se développent dans le texte : mais ce ne me semble pas être ici la meilleure solution.

- Enfin un plan fondé sur les étapes de la lecture, c'est-à-dire, qui part de ce qui est le plus remarquable pour creuser la signification :

Dans ce cas, on pourra par exemple, mais ce n'est qu'une possibilité, travailler :

A) Les sensations

Les trois sens les plus sollicités sont la vue, l'ouïe et le toucher. On analysera chacune de ces sensations tour à tour en s'aidant des champs lexicaux.

On en fera pour finir la synthèse en montrant de quelle manière la conjonction de ces sensations est à l'origine des grandes images du texte, par exemple celle du navire.

B) L'imbrication du rêve et de la réalité

La réalité et les sensations que procurent l'écoute et le contact de l'arbre permettent au personnage de s'évader progressivement dans un monde onirique.
On relèvera la progression à travers les verbes : " Il ferma les yeux…, il écouta…, il rêvait…, il comprit…, il était attentif…, il ouvrit…, il rêva…, il agiterait…".

C) La fusion entre l'arbre et l'homme

L'homme seul qu'est Robinson a réduit à néant sa solitude en ne faisant plus qu'un avec l'arbre.
C'est de l'ordre de la fusion amoureuse. Et ce texte n'est pas exempt d'érotisme. On a là une sorte de chiasme :

Au début c'est l'arbre qui est perçu comme un être vivant, puis c'est l'homme qui devient une sorte d'arbre. On assiste à une véritable fusion onirique dans laquelle finalement on n'a qu'un seul être mi-homme, mi-arbre.


V - LES FAUSSES PISTES

Je ne vois pas très bien les erreurs que l'on pourrait faire sur ce texte.

En tout cas, les questions ne présentaient aucune difficulté, si on avait les connaissances requises. On pouvait peut-être hésiter sur les conditionnels en leur attribuant un sens conditionnel qu'ils n'avaient pas.

La seule erreur majeure pour le commentaire composé aurait consisté à séparer l'étude de l'arbre de celle du personnage.

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