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Annales gratuites Brevet Série Collège : Texte de André Gide

Le sujet  1999 - Brevet Série Collège - Français - Questions Imprimer le sujet
LE SUJET

Ma mère prenait grand soin que rien, dans les dépenses qu'elle faisait pour moi, ne me vînt avertir que notre situation de fortune était sensiblement supérieure à celle des Jardinier (1).
Mes vêtements, en tout point pareils à ceux de Julien, venaient comme les siens de La Belle Jardinière (2). J'étais extrêmement sensible à l'habit, et souffrais beaucoup d'être toujours hideusement fagoté.

En costume marin avec un béret, ou bien en complet de velours, j'eusse été aux anges ! Mais le genre "marin" non plus que le velours ne plaisait à Mme Jardinier.

Je portais donc de petits vestons étriqués, des pantalons courts serrés aux genoux et des chaussettes à raies ; chaussettes trop courtes, qui formaient tulipe et retombaient désolément, ou rentraient se cacher dans les chaussures.

J'ai gardé pour la fin le plus horrible : c'était la chemise empesée (3). Il m'a fallu attendre d'être presque un homme déjà pour obtenir qu'on ne m'empesât plus mes devants de chemise. C'était l'usage, la mode, et l'on n'y pouvait rien.

Et si j'ai fini pourtant par obtenir satisfaction, c'est tout bonnement parce que la mode a changé. Qu'on imagine un malheureux enfant qui, tous les jours de l'année, pour le jeu comme pour l'étude, porte, à l'insu du monde et cachée sous sa veste, une espèce de cuirasse blanche et qui s'achevait en carcan (4) ; car la blanchisseuse empesait également, et pour le même prix sans doute, le tour du cou contre quoi venait s'ajuster le faux col ; pour peu que celui-ci, un rien plus large ou plus étroit, n'appliquât pas exactement sur la chemise (ce qui neuf fois sur dix était le cas), il se formait des plis cruels ; et pour peu que l'on suât, le plastron devenait atroce.

Allez donc faire du sport dans un accoutrement pareil ! Un ridicule petit chapeau melon complétait l'ensemble... Ah ! Les enfants d'aujourd'hui ne connaissent pas leur bonheur !

André GIDE, Si le grain ne meurt.

 

(1) les parents de Julien, qui est un camarade de classe du narrateur.
(2) grand magasin parisien.
(3) dans les blanchisseries, les chemises étaient repassées et enduites d'un produit qui rendait le tissu plus raide.
(4) collier de fer fixé à un poteau où l'on attachait par le cou un criminel.

 

I - LA CARACTERISATION DES VETEMENTS

1) a) Quels vêtements le narrateur aimerait-il porter?

b) Donnez deux raisons pour lesquelles il ne les porte pas. Rédigez votre réponse en citant le texte.

2) a) Quel est le sens de l'expression "hideusement fagoté" ?

b) Relevez dans le passage allant de "Mais le genre marin" à "les chaussures" toutes les expansions du nom qui caractérisent les vêtements imposés au narrateur. A quel champ lexical dominant appartiennent les mots ou expressions relevés ?

c) Nommez et analysez la figure de style utilisée dans l'expression "rentraient se cacher dans les chaussures".

3) Dans la phrase "J'ai gardé... empesée", relevez le présentatif et justifiez son emploi.

4) a) Que désigne précisément le mot "carcan" dans le texte ?

b) "Et qui s'achevait en carcan" : expliquez la métaphore (aidez-vous de la note 4).

c) Relevez, dans le passage allant de "qu'on imagine un malheureux" à "devenait atroce", trois mots ou expressions qui annoncent ou prolongent cette métaphore.

 

II - LE NARRATEUR - PERSONNAGE

1) a) Le narrateur est un personnage de l'histoire. Justifiez cette affirmation en relevant deux indices de natures grammaticales différentes.

b) Précisez la nature grammaticale de ces deux indices.

2) a) Quel est le temps dominant depuis le début du texte jusqu'à "dans les chaussures" ?

b) A quelle période de la vie du narrateur ce temps renvoie-t-il ?

3) a) "J'ai gardé ... " : précisez le temps de cette forme verbale.

b) A quelle période de la vie du narrateur ce temps renvoie-t-il ?

c) Relevez dans la phrase "J'ai gardé... empesée" un indice lexical qui confirme votre réponse.

4)"Qu'on imagine un malheureux enfant"

a) Précisez le mode du verbe "imaginer"

b) Réécrivez cette proposition en utilisant un autre mode mais sans en changer le sens.

c) A qui s'adresse le narrateur ?

5) En quoi la dernière phrase est-elle critique ? Vous préciserez envers qui. Vous répondrez en un paragraphe rédigé.

6) Quelle est la tonalité de l'extrait ? Appuyez-vous sur l'ensemble de vos réponses.

LE CORRIGÉ

I - LA CARACTERISATION DES VETEMENTS

1) a) Le narrateur aimerait porter des vêtements plus élégants que ceux qu'on lui impose : "costume marin, complet de velours".

b) Il ne peut pas porter ce type de vêtements car sa mère ne veut pas laisser voir que leur situation financière est légèrement supérieure à celle des Jardinier (parents d'un camarade de classe).

De plus, ni les vêtements marins ni le velours ne plaisent à Mme Jardinier.

2) a) Le sens de l'expression "hideusement fagoté" est mal habillé, de façon laide, comme un fagot.

b) Expansions du nom qui caractérisent les vêtements imposés au narrateur : "petits, étriqués, courts, serrés, trop courtes, qui formaient tulipe et retombaient désolément".

Les mots et expressions appartiennent au champ lexical de la petitesse, de l'étroitesse, voire de l'avarice.

c) La figure de style utilisée dans l'expression "rentraient se cacher dans les chaussures" est une personnification.

Les chaussettes sont comparées à des personnes honteuses.

3) Le présentatif est "c'était" . Il met en valeur et crée un effet de suspense. On "attend" le vêtement qui va être annoncé, "la chemise empesée".

4) a) Le mot "carcan" désigne dans le texte le tour du cou rigide qui prolonge le plastron et sur lequel est boutonné le faux col.

b) Gide se compare à un prisonnier obligé de subir ce plastron rigide, comme un supplicié doit supporter le collier de fer par lequel il est attaché au poteau.
Il est donc "condamné" à subir cette contrainte.

c) Mots ou expressions qui annoncent ou prolongent cette métaphore :
"malheureux, espèce de cuirasse, tour du cou, étroit, plis cruels, atroce".

 

II - LE NARRATEUR-PERSONNAGE

1) a) et b) Il y avait de nombreuses marques de la première personne :

- Des adjectifs possessifs :
ma mère, notre situation, mes vêtements, etc.

- Des pronoms personnels :
pour moi, je portais, j'étais, etc.

2) a) Le temps dominant est l'imparfait d'habitude.

b) Ce temps renvoie à l'enfance du narrateur.

3) a) "J'ai gardé" est au passé composé.

b) Ce temps renvoie au présent de l'énonciation, c'est-à-dire au moment où le narrateur adulte écrit.

c) L'indice lexical qui confirme cette réponse est "le plus horrible", qui évoque un souvenir encore marquant.

4) a) Le verbe "imaginer" est au subjonctif.

b) Proposition réécrite en utilisant un autre mode (l'impératif) : "Imaginez-vous un malheureux".

c) Le narrateur s'adresse au lecteur.

5) La dernière phrase est critique dans le sens où Gide évoque le fait que les "enfants d'aujourd'hui", c'est-à-dire des années cinquante, se plaignent sans savoir ce à quoi ils ont échappé.

Ils ne connaissent pas les contraintes vestimentaires mais aussi éducatives, puisqu'il était soumis à des parents soucieux de l'épargne, qu'a subies Gide.

6) La tonalité du texte est satirique.
C'est un texte qui critique de manière virulente l'accoutrement qu'on imposait aux enfants.
On peut trouver une part d'autodérision dans la façon qu'a Gide d'évoquer son enfance et ses accoutrements aussi ridicules que gênants.

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