Le sujet 2009 - Bac 1ère ES - Français - Questions |
Avis du professeur :
Le sujet porte sur les réactions du public au théâtre. Le sujet est relativement classique puisqu'il porte sur l'objet d'étude : textes et, surtout, représentation. Il est difficile car le corpus est long. |
(4
points)
Après avoir lu attentivement les textes du
corpus, vous répondrez d'abord à la question
suivante :
Quelles attitudes de spectateur ces textes proposent-ils ? Vous répondrez de façon organisée et synthétique.
Texte A : Molière, La Critique de L'Ecole des femmes
La Critique de L'Ecole des femmes met en scène un débat entre des personnages adversaires et partisans de la pièce L'Ecole des femmes, "quatre jours après" la première représentation. Quand Dorante entre en scène, la discussion est en cours.
SCÈNE
V
DORANTE, LE MARQUIS, CLIMENE,
ELISE, URANIE.
DORANTE
Ne
bougez, de grâce, et n'interrompez point votre discours. Vous
êtes là sur une
matière
qui, depuis quatre jours, fait presque l'entretien de toutes les
maisons de
Paris, et jamais on n'a
rien vu de si plaisant que la diversité des jugements qui se
font là-dessus. Car enfin
j'ai ouï condamner cette comédie à certaines gens,
par les
5 mêmes choses que j'ai vu d'autres
estimer le plus.
URANIE
Voilà
Monsieur le Marquis qui en dit force mal.
LE
MARQUIS
Il est vrai, je la trouve
détestable ; morbleu ! détestable du dernier détestable
; ce
qu'on appelle détestable.
DORANTE
Et
moi, mon cher Marquis, je trouve le jugement détestable.
LE
MARQUIS
10 Quoi ! Chevalier, est-ce que tu prétends
soutenir cette pièce ?
DORANTE
Oui,
je prétends la soutenir.
LE
MARQUIS
Parbleu ! je la garantis
détestable.
DORANTE
La
caution n'est pas bourgeoise(1). Mais, Marquis, par quelle
raison, de grâce, cette
comédie
est-elle ce que tu dis ?
LE
MARQUIS
15 Pourquoi elle est détestable ?
DORANTE
Oui.
LE
MARQUIS
Elle est détestable,
parce qu'elle est détestable.
DORANTE
Après
cela, il n'y a plus rien à dire : voilà son procès
fait. Mais encore instruis-nous,
et
nous dis les défauts qui y sont.
LE
MARQUIS
20 Que sais-je, moi ? je ne me suis pas
seulement donné la peine de l'écouter. Mais
enfin
je sais bien que je n'ai jamais rien vu de si méchant(2),
Dieu me damne ; et
Dorilas, contre
qui(3) j'étais, a été de mon avis.
DORANTE
L'autorité
est belle, et te voilà bien appuyé.
LE
MARQUIS
Il ne faut que voir les
continuels éclats de rire que le parterre(4) y fait
: je ne veux point
25 d'autre chose pour témoigner
qu'elle ne vaut rien.
DORANTE
Tu
es donc, Marquis, de ces Messieurs du bel air(5), qui ne
veulent pas que le parterre
ait du
sens commun, et qui seraient fâchés d'avoir ri avec lui,
fût-ce de la meilleure
chose
du monde ? Je vis l'autre jour sur le théâtre(6)
un de nos amis, qui se rendit
ridicule
par là. Il écouta toute la pièce avec un sérieux
le plus sombre du monde ; et
30 tout ce qui égayait
les autres ridait son front. A tous les éclats de rire, il
haussait les
épaules, et
regardait le parterre en pitié ; et quelquefois aussi le
regardant avec
dépit, il lui
disait tout haut : " Ris donc, parterre, ris donc ! "Ce fut
une seconde
comédie, que le
chagrin(7) de notre ami. Il la donna en galant homme à
toute
l'assemblée(8),
et chacun demeura d'accord qu'on ne pouvait pas mieux jouer qu'il
fit.
35 Apprends, Marquis, je te prie, et les autres
aussi, que le bon sens n'a point de place
déterminée
à la comédie ; que la différence du demi-louis
d'or et de la pièce de
quinze
sols(9) ne fait rien du tout au bon goût ; que,
debout et assis, on peut donner un
mauvais
jugement ; et qu'enfin, à le prendre en général,
je me fierais assez à
l'approbation
du parterre, par la raison qu'entre ceux qui le composent il y en a
40 plusieurs qui sont capables de juger d'une pièce
selon les règles, et que les autres
en
jugent par la bonne façon d'en juger, qui est de se laisser
prendre aux choses, et
de n'avoir
ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni
délicatesse ridicule.
LE
MARQUIS
Te voilà donc,
Chevalier, le défenseur du parterre ? Parbleu ! je m'en
réjouis, et je ne
manquerai
pas de l'avertir que tu es de ses amis. Hai ! hai ! hai ! hai ! hai !
hai !
DORANTE
45 Ris
tant que tu voudras. Je suis pour le bon sens, et ne saurais souffrir
les ébullitions
de cerveau
de nos marquis de Mascarille(10). J'enrage de voir de ces
gens qui se
traduisent en
ridicules, malgré leur qualité ; de ces gens qui
décident toujours et
parient
hardiment de toutes choses, sans s'y connaître ; qui dans une
comédie se
récrieront
aux méchants endroits, et ne branleront pas à ceux qui
sont bons ; qui
50 voyant un tableau, ou écoutant
un concert de musique, blâment de même et louent
tout à contre-sens, prennent
par où ils peuvent les termes de l'art qu'ils attrapent, et
ne manquent jamais de les
estropier, et de les mettre hors de place. Eh, morbleu !
Messieurs, taisez-vous, quand Dieu
ne vous a pas donné la connaissance d'une
chose
; n'apprêtez point à rire à ceux qui vous
entendent parler, et songez qu'en ne
55 disant mot, on
croira peut-être que vous êtes d'habiles gens.
(1)
Remarque moqueuse : une garantie était dite "bourgeoise"
quand elle était fournie par une personne solvable. Le marquis
est un aristocrate.
(2)méchant :
mauvais, sans valeur.
(3)contre qui : à
côté de qui.
(4)le parterre : les
spectateurs, qui n'appartenaient pas à l'aristocratie, s'y
tenaient debout.
(5)le "bel air" :
les belles manières, celles des gens "de qualité".
Expression qui, après avoir été à la
mode, s'employait souvent ironiquement.
(6) Certains
spectateurs, appartenant à l'aristocratie, prenaient place sur
des chaises, de chaque côté de la scène.
(7)chagrin : mauvaise humeur.
(8) Remarque moqueuse
: en homme de bonne compagnie, puisqu'il s'offre lui-même en
spectacle au public.
(9) Fait allusion au prix payé
par les spectateurs assis aux places "sur le théâtre",
et par ceux qui sont debout, au parterre.
(10) Mascarille
: ce valet, dans Les Précieuses ridicules, singeait les
marquis, ainsi ridiculisés par Molière.
Texte B : Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac
Le premier acte est intitulé : « Une représentation à l'Hôtel de Bourgogne ». La didascalie initiale indique : "en 1640".
[...]
LA
SALLE
Commencez !
UN
BOURGEOIS, dont la perruque s'envole au bout d'une ficelle, pêchée
par un
page de la galerie
supérieure.
Ma perruque
!
CRIS
DE JOIE
Il est chauve
!...
Bravo, les pages !... Ha ! ha !
ha !...
LE
BOURGEOIS, furieux, montrant le poing.
5 Petit
gredin !
RIRES
ET CRIS, qui commencent très fort et vont
décroissant.
Ha ! ha ! ha
! ha ! ha ! ha !
(Silence complet)
LE
BRET, étonné.
Ce
silence soudain ?...
Un
spectateur lui parle bas.
Ah
?...
LE
SPECTATEUR
La chose me vient d'être
certifiée.
MURMURES,
qui courent.
10 Chut ! - Il paraît ?... -
Non ! - Si ! - Dans la loge grillée.
-
Le Cardinal ! - Le Cardinal ? - Le Cardinal(1) !
UN
PAGE
Ah ! diable, on ne va
pas pouvoir se tenir mal !...
On frappe sur la scène. Tout le monde s'immobilise. Attente.
LA
VOIX D'UN MARQUIS, dans le silence, derrière le rideau.(2)
Mouchez cette chandelle(3)
!
UN
AUTRE MARQUIS, passant la tête par la fente du rideau.
Une chaise !
Une
chaise est passée, de main en main, au-dessus des têtes.
Le marquis la prend
et
disparaît, non sans avoir envoyé quelques baisers aux
loges.
UN
SPECTATEUR
15 Silence !
On
refrappe les trois coups. Le rideau s'ouvre. Tableau. Les marquis
assis sur les
côtés,
dans des poses insolentes. Toile de fond représentant un décor
bleuâtre de
pastorale.
Quatre petits lustres de cristal éclairent la scène.
Les violons jouent
doucement.
LE
BRET, à Ragueneau, bas.
Montfleury(4)
entre en scène ?
RAGUENEAU,
bas aussi.
Oui, c'est lui
qui commence.
LE
BRET
Cyrano n'est pas là.
RAGUENEAU
J'ai
perdu mon pari(5).
LE
BRET
20 Tant mieux ! tant mieux !
On
entend un air de musette, et Montfleury paraît en scène,
énorme, dans un
costume
de berger de pastorale, un chapeau garni de roses penché sur
l'oreille, et
soufflant dans
une cornemuse enrubannée.
LE
PARTERRE, applaudissant.
Bravo,
Montfleury ! Montfleury !
(1)
Le cardinal Richelieu, qui assistait parfois aux spectacles, et
qui faisait régner son autorité sur les lettres et les
arts.
(2) Certains spectateurs, appartenant à
l'aristocratie, prenaient place sur des banquettes et des chaises, de
chaque côté de la scène.
(3) L'éclairage
aux chandelles exigeait qu'on les éteigne et qu'on les
remplace fréquemment.
(4) Montfleury : cet
acteur a véritablement existé, jouant notamment à
l'Hôtel de Bourgogne, puis dans la troupe de Molière.
(5)
Ragueneau a parié que Cyrano, qui avait interdit à
Montfleury de se produire « pour un mois », viendrait le
chasser de la scène. Et, en effet Cyrano va faire bientôt
son entrée.
Texte C : Paul Claudel, Le Soulier de satin
PREMIÈRE JOURNÉE
[...]
Coup bref de trompette.
La scène de ce drame est le monde et plus spécialement l'Espagne à la fin du XVIe, à moins que ce ne soit le commencement du XVIIe siècle. L'auteur s'est permis de comprimer les pays et les époques, de même qu'à la distance voulue plusieurs lignes de montagnes séparées ne sont qu'un seul horizon.
Encore un petit
coup de trompette. Coup prolongé de sifflet comme pour la
manœuvre d'un bateau.
Le rideau se lève.
SCÈNE PREMIÈRE
L'Annoncier(1), le Père Jésuite.
L'Annoncier
- Fixons, je vous prie, mes frères, les yeux sur ce point de
l'Océan
Atlantique qui est à
quelques degrés au-dessous de la Ligne(2) à
égale distance de
l'Ancien
et du Nouveau Continent. On a parfaitement bien représenté
ici l'épave d'un
navire
démâté qui flotte au gré des courants.
Toutes les grandes constellations de
5 l'un et
de l'autre hémisphères, la Grande Ourse, la Petite
Ourse, Cassiopée, Orion, la
Croix
du Sud, sont suspendues en bon ordre comme d'énormes
girandoles(3) et
comme
de gigantesques panoplies(4) autour du ciel. Je pourrais
les toucher avec ma
canne. Autour
du ciel. Et ici-bas un peintre qui voudrait représenter
l'œuvre des
pirates - des
Anglais probablement - sur ce pauvre bâtiment espagnol, aurait
10 précisément l'idée de ce mât,
avec ses vergues et ses agrès(5), tombé tout
au travers
du pont, de ces canons
culbutés, de ces écoutilles(6) ouvertes, de
ces grandes taches
de sang et de
ces cadavres partout, spécialement de ce groupe de religieuses
écroulées l'une sur
l'autre. Au tronçon du grand mât est attaché un
Père Jésuite,
comme
vous voyez, extrêmement grand et maigre. La soutane déchirée
laisse voir
15 l'épaule nue. Le voici qui parle
comme il suit : "Seigneur, je vous remercie de
m'avoir
ainsi attaché..." Mais c'est lui qui va parler. Écoutez
bien, ne toussez pas et
essayez de
comprendre un peu. C'est ce que vous ne comprendrez pas qui est le
plus beau, c'est ce qui est le plus
long qui est le plus intéressant et c'est ce que vous
ne
trouverez pas amusant qui est le plus drôle.
(Sort
l'Annoncier.)
(1) L'Annoncier
: "devant le rideau baissé", ce personnage," un
papier à la main", a annoncé le titre de la pièce,
"Le Soulier de satin ou Le Pire n'est pas toujours sûr,
Action espagnole en quatre journées".
(2)
la
Ligne
: l'équateur.
(3)
girandoles
a ici le sens de guirlandes lumineuses.
(4)
panoplie
: à l'origine, armure complète d'un chevalier, ici
ensemble d'objets de décoration.
(5)
Les "vergues"
servent à porter la voile ; les "agrès"
désignent l'ensemble de ce qui concerne la mâture d'un
navire.
(6)
écoutilles
: ouvertures pratiquées dans le pont d'un navire pour accéder
aux entreponts et aux cales.
TEXTE D : Jean Anouilh, Antigone
Un décor neutre. Trois portes semblables. Au lever du rideau, tous les personnages sont en scène. Ils bavardent, tricotent, jouent aux cartes. Le Prologue se détache et s'avance.
LE PROLOGUE(1)
Voilà.
Ces personnages vont vous jouer l'histoire d'Antigone. Antigone,
c'est la petite
maigre qui est
assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant
elle. Elle
pense. Elle pense qu'elle
va être Antigone tout à l'heure, qu'elle va surgir
soudain de
la maigre jeune fille
noiraude et renfermée que personne ne prenait au sérieux
dans
5 la famille et se dresser seule en face du
monde, seule en face de Créon, son oncle,
qui
est le roi. Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et
qu'elle aussi, elle aurait
bien aimé
vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et
il va falloir qu'elle
joue son rôle
jusqu'au bout... Et, depuis que ce rideau s'est levé, elle
sent qu'elle
s'éloigne à
une vitesse vertigineuse de sa sœur Ismène, qui bavarde
et rit avec un
10 jeune homme, de nous tous, qui sommes
là bien tranquilles à la regarder, de nous
qui
n'avons pas à mourir ce soir. Le jeune homme avec qui parle la
blonde, la belle,
l'heureuse Ismène,
c'est Hémon, le fils de Créon. Il est le fiancé
d'Antigone. Tout le
portait vers
Ismène : son goût de la danse et des jeux, son goût
du bonheur et de la
réussite,
sa sensualité aussi, car Ismène est bien plus belle
qu'Antigone, et puis un
15 soir, un soir de bal où
il n'avait dansé qu'avec Ismène, un soir où
Ismène avait été
éblouissante
dans sa nouvelle robe, il a été trouver Antigone qui
rêvait dans un coin,
comme en
ce moment, ses bras entourant ses genoux, et il lui a demandé
d'être sa
femme. Personne n'a
jamais compris pourquoi. Antigone a levé sans
étonnement
ses yeux graves
sur lui et elle lui a dit "oui" avec un petit sourire
triste...
20 L'orchestre attaquait une nouvelle danse,
Ismène riait aux éclats, là-bas, au
milieu
des autres garçons, et
voilà, maintenant, lui, il allait être le mari
d'Antigone. Il ne
savait pas qu'il
ne devait jamais exister de mari d'Antigone sur cette terre et que
ce
titre princier lui donnait
seulement le droit de mourir. Cet homme robuste, aux
cheveux
blancs, qui médite là, près de son page, c'est
Créon. C'est le roi. Il a des
25 rides. Il est
fatigué. Il joue au jeu difficile de conduire les hommes.
Avant, du temps
d'Œdipe, quand
il n'était que le premier personnage de la cour, il aimait la
musique,
les belles reliures, les
longues flâneries chez les petits antiquaires de Thèbes.
Mais
Œdipe et ses fils sont
morts. Il a laissé ses livres, ses objets, il a retroussé
ses
manches et il a pris leur place.
(1) Dans la tragédie grecque, le Prologue précédait l'entrée du chœur. De manière originale, Anouilh utilise le mot pour désigner un personnage et la première partie de la pièce.
I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES
DU SUJET
Sujet |
Contraintes |
Quelles attitudes de spectateurs ces textes proposent-ils ?… |
► Il s'agit de bien lire le corpus et de repérer dans chaque texte les passages concernant précisément le spectateur. |
…Vous répondrez de façon organisée et synthétique. |
► La consigne insiste sur la structure et la concision de la réponse : il faut réfléchir à un plan et ne pas se perdre dans les détails. |
La question,
notée sur 4 points, exige un développement bref, mais
complet. Il ne s'agit donc pas d'y consacrer trop de temps, mais de
développer rapidement quelques idées en s'appuyant sur
des exemples précis.
II - UN TRAITEMENT POSSIBLE DE LA QUESTION
TYPES DE PLAN
Le plan n'est pas, comme il arrive parfois, contenu dans la question. Il s'agit donc de réfléchir à une organisation. Nous en proposons deux.
PLAN N°1
On peut organiser sa réponse autour des points communs et des différences entre les textes. Ce sera sans doute le réflexe de beaucoup de candidats. On peut ainsi rapprocher, d’une part, les textes de Molière et de Rostand, d’autre part, ceux de Claudel et d'Anouilh.
1. Molière et Rostand :
● Les deux extraits font parler directement les spectateurs : Dorante, le marquis pour Molière ; des anonymes, désignés par "le bourgeois" ou "le spectateur" pour Rostand. L'attitude des spectateurs est donc directement le sujet des extraits. Dans le premier extrait, il s'agit de la réaction des spectateurs après la représentation de L'Ecole des femmes. C'est une réaction critique, partagée entre le rejet ("c'est détestable", répète sans cesse le marquis) et la défense de la pièce ("je prétends la soutenir", dit Dorante). Dans le deuxième extrait, il s'agit de la réaction des spectateurs juste avant le lever de rideau puis pendant les premiers instants de la représentation. Comme l'indique l'introduction, la scène se passe lors d'une "représentation à l'hôtel de Bourgogne".
● Les deux extraits évoquent tous deux le public du XVIIe siècle : 1663 pour le public de L'Ecole des femmes, 1640 pour celui de la pièce jouée dans Cyrano de Bergerac. Sa particularité est d'être agité. Le spectacle est d'ailleurs dans la salle d'après le texte de Rostand puisque la scène commence par un jeu comique entre spectateurs : un spectateur de la galerie supérieure dérobe à l'aide d'une ficelle la perruque d'un bourgeois installé au parterre. Dans le texte de Molière, le marquis évoque les "continuels éclats de rire" du parterre. Le public du XVIIe est aussi partagé entre le peuple et les aristocrates ou les bourgeois : les deux extraits exposent clairement cette particularité. Le marquis est ainsi victime de ses a priori d'aristocrate : il est persuadé de détenir la vérité du bon goût et ne forge sa réaction de spectateur que par opposition à celle du peuple.
● Les deux textes ont aussi en commun d'évoquer l'attitude du public de comédie, comme en témoigne le rire dans le texte de Molière ou les applaudissements immédiats dans le texte de Rostand.
2. Claudel et Anouilh
● A la différence des deux extraits précédents, ces deux auteurs ne font pas parler directement le public, mais un personnage de la pièce, "l'annoncier" pour Claudel ou "le prologue" pour Anouilh qui s'adresse à ce public : "écoutez", "ces personnages vont vous jouer". Nous ne sommes donc pas en présence de l'attitude réelle du public, mais plutôt de l'attitude souhaitée par le personnage qui parle, et forcément à travers lui, par le dramaturge.
● Les dates (1929, 1944) et l'adresse directe témoignent clairement que le public ainsi sollicité est le public contemporain de la représentation, donc le public du XXe siècle. Or, ce public, tel qu'il est donné à voir dans le monologue des deux personnages, ne ressemble pas du tout à celui du XVIIe siècle. On attend de lui qu'il soit attentif : "écoutez bien, ne toussez pas" dit l'Annoncier ; "nous sommes là, bien tranquilles", dit le Prologue. Il semble donc que les codes aient changé depuis le XVIIe : la salle se doit d'être plus respectueuse lors de la représentation.
● Les deux extraits diffèrent également des deux premiers par le genre. Ce ne sont pas des comédies mais des pièces plus sérieuses : un "drame", est-il précisé dans l'introduction pour Le Soulier de Satin, une tragédie, comprend-on grâce à la note, pour Antigone. On attend donc du public plus de réflexion : "essayez de comprendre", supplie l'Annoncier.
PLAN N°2
Notre préférence va cependant à un autre plan, moins attendu et plus adapté à la question. Mais ce plan exige beaucoup plus de réflexion. Il a le mérite de confronter sans cesse tous les textes. Nous ne développons pas, la plupart des éléments étant contenus dans le plan précédent.
1. Les attitudes du public restituées de deux façons :
●Directement dans
les textes de Molière et Rostand qui donnent à voir les
réactions du public.
●
Indirectement dans les textes de Claudel et Anouilh qui
font intervenir un personnage qui s'adresse au public.
2. Les attitudes du public à différents moments de la pièce :
●Avant la représentation
dans le texte de Rostand : le spectacle est déjà dans
la salle.
●
Pendant la représentation : dès qu'elle
commence, la pièce suscite une "attente", le public
se tait (Rostand) ; elle provoque aussi des émotions
immédiates : le rire (Molière, Rostand), les
applaudissements (Rostand).
●
Après la représentation : il s'agit du
temps de la réception, de la réaction critique : texte
de Molière.
3. L'évolution des codes de réception : ou comment l'attitude du public change au cours de l'histoire du théâtre
● Rostand et Molière, public réactif, indiscipliné, comme c'est le cas au XVIIe siècle.
● Au XXe : de nouveaux codes de réception : plus de passivité, plus de respect.
IV - LES FAUSSES PISTES
Il ne fallait surtout pas :
● Se perdre
dans des détails inutiles. Certains extraits offraient peu
d'éléments de réponse. Il fallait être
capable de les repérer.
●
Traiter un texte après l'autre.
●
Oublier les dates des textes et les spécificités liées
à l'époque.
IV - LES BONUS
Certains candidats pourraient être valorisés :
● Ceux
capables de parler, à un moment, de mise en abyme (les textes
donnent à voir du théâtre dans le théâtre,
surtout le texte de Rostand).
●
Ceux capables de parler de distanciation ou de rupture avec
l'illusion théâtrale : Anouilh et Claudel qui dénoncent
le caractère illusoire de la représentation ou du
décor. C'est une façon d'interdire au public la
réaction facile de l'identification et de l'inviter,
peut-être, à plus de réflexion.