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Annales gratuites Bac 1ère STI : Flaubert, Zola, Céline, Le Clézio

Le sujet  2010 - Bac 1ère STI - Français - Questions Imprimer le sujet
Avis du professeur :
Il s'agit presque toujours dans la première question de comparer des textes, non pas cette fois sous un angle précis, mais en faisant porter son attention sur les traits généraux de chacun d'eux : l'évocation de la ville, ici de ses extérieurs, souvent misérables, sombres, mais aussi attachants, humains. Les sentiments des personnages complexes qui ne sont pas nécessairement en correspondance étroite avec l'univers qu'ils contemplent.

La comparaison de textes d'un corpus est un exercice banal qui ne pouvait décontenancer des élèves habitués. La difficulté ne repose donc que sur la richesse des textes en soi. Ici c'est la prolifération des éléments descriptifs qui peut présenter quelques difficultés et la richesse du vocabulaire, ou les termes anciens.
LE SUJET

Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez aux questions suivantes de manière organisée et synthétique :

  1. Ces quatre descriptions mettent-elles en valeur les mêmes aspects de la ville ? Justifiez votre réponse.

  2. Quels sentiments des personnages ces descriptions reflètent-elles ?







Texte A : Flaubert, L’éducation sentimentale

Frédéric Moreau, jeune provincial étudiant à Paris, est épris de Mme Arnoux, épouse d’un marchand d’œuvres d’art. De la place qu’il occupe dans la diligence qui le ramène à Paris après une longue absence, il regarde défiler la ville.

On descendit le boulevard au grand trot, les palonniers¹ battant, les traits² flottants. La mèche du long fouet claquait dans l’air humide. Le conducteur lançait son cri sonore : « Allume ! Allume ! Ohé ! », et les balayeurs se rangeaient, les piétons sautaient en arrière, la boue jaillissaient contre les vasistas, on croisait des tombereaux³, des cabriolets, des omnibus. Enfin la grille du Jardin des Plantes se déploya.

La Seine, jaunâtre, touchait presque au tablier4 des ponts. Une fraîcheur s’en exhalait. Frédéric l’aspira de toutes ses forces, savourant ce bon air de Paris qui semble contenir des effluves amoureux et des émanations intellectuelles ; il eut un attendrissement en apercevant le premier fiacre. Et il aimait jusqu’au seuil des marchands de vin garni de paille, jusqu’au décrotteurs avec leurs boîtes, jusqu’aux garçons épiciers secouant leur brûloir à café. Des femmes trottinaient sous des parapluies ; il se penchait pour distinguer leur figure ; un hasard pouvait avoir fait sortir Mme Arnoux.

Les boutiques défilaient, la foule augmentait, le bruit devenait plus fort. Après le quai Saint-Bernard, le quai de la Tournelle et le quai Montebello, on prit le quai Napoléon ; il voulut voir ses fenêtres, elles étaient loin. Puis on repassa la Seine sur le Pont-Neuf, on descendit jusqu’au Louvre ; et, par les rues Saint-Honoré, Croix-des-Petits-Champs et du Bouloi, on atteignait la rue Coq-Héron, et l’on entra dans la cour de l’hôtel.

Pour faire durer son plaisir, Frédéric s’habilla le plus lentement possible, et même il se rendit à pied au boulevard Montmartre ; il souriait à l’idée de revoir, tout à l’heure, sur la plaque de marbre, le nom chéri.



¹ palonniers : pièce mobile sur laquelle on fixe les rênes dans un attelage.

² traits : partie du harnais qui sert à tirer un véhicule.

³ tombereaux : charrette entourée de planches servant à porter du sable, des pierres…

4 tablier : désigne la plate-formequi constitue le plancher d’un pont.





Texte B : Zola, l’Assommoir

Gervaise, blanchisseuse dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris, attend au petit matin son amant Auguste Lantier, pour la première fois, n’est pas rentré de la nuit. Elle le guette depuis sa fenêtre.

L’hôtel se trouvait sur le boulevard de la Chapelle, à gauche de la barrière Poissonnière. C’était une masure de deux étages, peinte en rouge lie de vin jusqu’au second, avec des persiennes pourries par la pluie. Au-dessus d’une lanterne aux vitres étoilées, on parvenait à lire entre les deux fenêtres : Hotêl Boncoeur, tenu par Marsoullier, en grandes lettres jaunes, dont la moisissure du plâtre avait emporté des morceaux. Gervaise, que la lanterne gênait, se haussait, son mouchoir sur les lèvres. Elle regardait à droite, du côté du boulevard de Rochechouart, où des groupes de bouchers, devant les abattoirs, stationnaient en tabliers sanglants ; et le vent frais apportait une puanteur par moments, une odeur fauve de bêtes massacrées. Elle regardait à gauche, enfilant un long ruban d’avenue s’arrêtant presque en face d’elle, à la masse blanche de l’hôpital de Lariboisière, alors en construction. Lentement, d’un bout à l’autre de l’horizon, elle suivait le mur de l’octroi¹, derrière lequel, la nuit, elle entendait parfois des cris d’assassinés ; et elle fouillait les angles écartés, les coins sombres, noirs d’humidité et d’ordure, avec la peur d’y découvrir le corps de Lantier, le ventre troué de coups de couteau. Quand elle levait les yeux, au-delà de cette muraille grise et interminable qui entourait la ville d’une bande de désert, elle apercevait une grande lueur, une poussière de soleil, pleine déjà du grondement matinal de Paris. Mais c’était toujours à la barrière Poissonnière qu’elle revenait, le cou tendu, s’étourdissant à voir couler, entre les deux pavillons trapus de l’octroi, le flot ininterrompu d’hommes, de bêtes, de charrettes, qui descendait des hauteurs de Montmartre et de la Chapelle. Il y avait là un piétinement de troupeau, une foule que de brusques arrêts étalaient en mares sur la chaussée, un défilé sans fin d’ouvriers allant au travail, leurs outils sur le dos, leur pain sous le bras ; et la cohue s’engouffrait dans Paris où elle se noyait, continuellement. Lorsque Gervaise, parmi tout ce monde, croyait reconnaître Lantier, elle se penchait davantage, au risque de tomber ; puis, elle appuyait plus fortement son mouchoir sur la bouche, comme pour renfoncer sa douleur.

¹ octroi : administration et bâtiment où se payait la taxe d’entré de certes denrées.





Texte C : Céline, Voyage au bout de la nuit

Après avoir participé à la première guerre mondiale et avoir émigré en Afrique, Bardamu travaille à New York.

Comme si j’avais su où j’allais, j’ai eu l’air de choisir encore et j’ai changé de route, j’ai pris sur ma droite une autre rue, mieux éclairée, « Broadway »¹ qu’elle s’appelait. Le nom je l’ai lu sur une plaque. Bien au-dessus des derniers étages, en haut, restait du jour avec des mouettes et des morceaux du ciel. Nous, on avançait dans la lueur d’en bas, malade comme celle de la foret et si grise que la rue en était pleine comme un gros mélange de coton sale.

C’était comme une plaie triste la rue qui n’en finissait plus, avec nous au fond, nous autres, d’un bord à l’autre, d’une peine à l’autre, vers le bout qu’on ne voit jamais, le bout de toutes les rues du monde.

Les voitures ne passaient pas, rien que des gens et des gens encore.

C’était le quartier précieux, qu’on m’a expliqué plus tard, le quartier pour l’or : Manhattan. On y entre qu’à pied, comme à l’église. C’est le beau cœur en Banque du monde d’aujourd’hui. Il y en a pourtant qui crachent par terre en passant. Faut être osé.

C’est un quartier qu’en est rempli d’or, un vrai miracle, et même qu’on peut l’entendre le miracle à travers les portes avec son bruit de dollars qu’on froisse, lui toujours trop léger le Dollar, un vrai Saint-Esprit², plus précieux que du sang.

J’ai eu tout de même le temps d’aller les voir et même je suis entré pour leur parler à ces employés qui gardaient les espèces. Ils sont tristes et mal payés.

Quand les fidèles entrent dans leur Banque, faut pas croire qu’ils peuvent se servir comme ça selon leur caprice. Pas du tout. Ils parlent à Dollar en lui murmurant des choses à travers un petit grillage, ils se confessent quoi. Pas beaucoup de bruit, des lampes bien douces, un tout minuscule guichet entre de hautes arches, c’est tout.



¹ Broadway est un des principaux axes nord-sud de Manhattan, le quartier central de New York

² le Saint-Esprit (ou Esprit-Saint) est, pour les chrétiens, l’Esprit de Dieu.

Texte D : Le Clézio, Désert

Lalla, née dans le désert, a vécu une enfance heureuse dans le bidonville d’une grande cité marocaine.

Adolescente, elle est obligée de fuir et se rend à Marseille. Elle y découvre la misère et la faim, « la vie chez les esclaves ».

Lalla continue à marcher, en respirant avec peine. La sueur coule toujours sur son front, le long de son dos, mouille ses reins, pique ses aisselles. Il n’y a personne dans les rues à cette heure-là, seulement quelques chiens au poil hérissé, qui rongent leurs os en grognant. Les fenêtres au ras du sol sont fermées par des grillages, des barreaux. Plus haut, les volets sont tirés, les maisons semblent abandonnées. Il y a un froid de mort qui sort des bouches des soupirails, des caves, des fenêtres noires. C’est comme une haleine de mort qui souffle le long des rues, qui emplit les recoins pourris au bas des murs. Où aller ? Lalla avance lentement de nouveau, elle tourne encore une fois à droite, vers le mur de la vieille maison. Lalla a toujours un peu peur, quand elle voit ces grandes fenêtres garnies de barreaux, parce qu’elle croit que c’est une prison où les gens sont morts autrefois ; on dit même que la nuit, parfois, on entend les gémissements des prisonniers derrière les barreaux des fenêtres. Elle descend maintenant le long de la rue des Pistoles, toujours déserte, et par la traverse de la Charité, pour voir à travers le portail de pierre grise, l’étrange dôme rose qu’elle aime bien. Certains jours elle s’assoit sur le seuil d’une maison, et elle reste là à regarder très longtemps le dôme qui ressemble à un nuage, et elle oublie tout, jusqu’à ce qu’une femme vienne lui demander ce qu’elle fait là et l’oblige à s’en aller.

Mais aujourd’hui, même le dôme rose lui fait peur, comme s’il y avait une menace derrière ses fenêtres étroites, ou comme si c’était un tombeau. Sans se retourner, elle s’en va vite, elle redescend vers la mer, le long des rues silencieuses.



LE CORRIGÉ

Question 1

I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU SUJET



Sujet

Contraintes

Ces quatre descriptions mettent-elles en valeur les mêmes aspects de la ville ? justifiez votre réponse.

  • Il faut confronter les textes pour en dégager des points communs et des différences.

  • La réponse devra s'appuyer sur des citations.



II - LES DIFFERENTS TYPES DE PLANS POSSIBLES

Le plan choisi, et qui nous a semblé le plus simple, est de type analytique:

  1. les textes qui présentent le mouvement, l'agitation de la ville : Flaubert, Zola, Céline.

  2. le gigantisme dans Voyage au bout de la nuit.

  3. un texte écart : Désert.



III - LES PISTES DE REPONSES

Les trois premiers textes focalisent l'attention du lecteur sur le mouvement qui anime le décor urbain décrit.

PREMIERE PARTIE

L'extrait de L'Education sentimentale accorde une large place à la peinture des différents personnages qui sont observés par Frédéric sur son passage : "les balayeurs, les piétons, les marchands de vin, les décrotteurs, les garçons épiciers". Cette diversité rend compte de l'agitation qui caractérise Paris, au même titre que l'accumulation des mots désignant les moyens de locomotion : "tombereaux, cabriolets, omnibus, fiacre".

Les lignes 19 à 24 de l'extrait de L'Assommoir œuvrent dans le même sens. Le recours à l'accumulation produit un effet de mouvement, d'abondance qui signale l'éveil progressif de Paris.

La ligne 10 du texte de Céline, elle aussi, évoque cette idée de foule, de mouvement mais de façon plus allusive.



Transition

Se démarquant du roman réaliste ou naturaliste du XIXème siècle, Céline peint New York en convoquant surtout les traits du gigantisme.



DEUXIEME PARTIE



Le passage s'ouvre sur une formule éclairante qui dit, par le recours à "comme si j'avais su", que le narrateur est en fait perdu.

Le mouvement du texte part "Bien au-dessus des derniers étages, en haut" pour souligner l'opposition avec "en bas". La ville paraît gigantesque car coupée du monde : "restait du jour avec des mouettes" comme si elle empiétait sur le ciel dont elle découpe l'infini en "morceaux". Cette description va de pair avec l'impression de plein : l'horizon est bouché puisqu' « on ne voit jamais le bout » tant les hommes occupent tout l'espace, "d'un bord à l'autre".



Transition

Le Clézio se démarque très fortement puisque la ville qu'il décrit est vide.



TROISIEME PARTIE

Aucun personnage dans le texte sinon les chiens et une femme anonyme qui vient troubler la rêverie de Lalla. La ville paraît morte : toutes les ouvertures avec l'extérieur sont bouchées, le texte répète le mot "barreaux" et construit l'image d'une ville prison dans laquelle le personnage fuit sans cesse.

CONCLUSION

Les romanciers modernes que sont Flaubert, Zola et Céline témoignent de la fascination qu'exercent les grandes villes sur les hommes du XIXème et du début du XXème siècle. Là où ils célèbrent la modernité de l'urbanisation, Le Clézio en revanche adopte un point de vue plus critique à la fin du XX° siècle, illustrant en cela la méfiance pour les villes inhumaines.

Question 2 :



I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU SUJET

Sujet

Contraintes

Quels sentiments des personnages ces descriptions reflètent-elles ?

  • Il faut identifier dans les extraits les sentiments des personnages à travers la description et s'efforcer de comparer les textes.



II - LES PISTES DE REPONSES

Les descriptions révèlent des sentiments contradictoires.

PREMIERE PARTIE

L'angoisse.

Zola et Le Clézio montre à travers les descriptions l'angoisse de leurs héroïnes. Mais ils ne la traduisent pas de la même façon.



1- Gervaise : l'anxiété de Gervaise apparaît à travers la façon dont elle regarde : "à droite", "à gauche", "d'un bout à l'autre de l'horizon", "au-delà". Elle regarde partout, fouille, "se penchant au risque de tomber". Ce regard qui scrute les moindres recoins révèle l'angoisse de l'attente. Mais l'angoisse apparaît surtout à travers les détails qui attirent son attention : "les tabliers sanglants" des bouchers ou "les angles écartés" où Lantier pourrait se faire assassiner. Elle imagine donc plus qu'elle ne regarde.

2- Lalla : son angoisse transparaît autrement. Elle marche dans des rues désertes aux fenêtres "fermées par des grillages" : la jeune fille se sent seule, abandonnée, exilée dans un monde inhospitalier. Par ailleurs, plusieurs métaphores renvoient, comme dans le cas de Gervaise, à la mort :"une haleine de mort qui souffle le long des rues", des fenêtres qui font penser à "des tombeaux".

Transition



A l'opposé, Frédéric est animé par la joie.



DEUXIEME PARTIE



Le bonheur.

Frédéric va enfin retrouver celle dont il est amoureux : "savourant ce bon air de Paris qui semble contenir des effluves amoureux". Flaubert se moque gentiment de son personnage : "il aimait jusqu'aux seuils des marchands de vin". Aucune trace d'angoisse dans la ville qu'il décrit.

Transition

Bardamu mêle angoisse et amusement.

TROISIEME PARTIE

Des sentiments mêlés.

Toute la première partie du texte montre qu'il se sent écrasé : "nous au fond", "le bout qu'on ne voit jamais". Certaines images renforcent ce sentiment : la comparaison avec "la forêt" ou "un gros mélange de coton sale". La rue américaine est hostile à cet étranger pauvre et qui ne sait pas trop où il va ("j'ai eu l'air de choisir encore et j'ai changé de route"). Pourtant, dans la deuxième partie, on sent l'ironie, l'amusement du personnage à travers le champ lexical de la religion pour désigner Manhattan : "miracle", "le Dollar, un vrai Saint-Esprit". Bardamu se moque ainsi du goût de l'argent excessif dans ce quartier d'affaires, ce "quartier précieux".

CONCLUSION

La description révèle donc beaucoup sur celui regarde. Elle ne sert pas seulement à donner des indications sur le cadre. Elle montre le lien entre l'homme et le monde qui l'entoure.

IV - LES FAUSSES PISTES

Il ne fallait pas se contenter de relever les termes qui signalaient les sentiments des personnages. Il fallait être attentif à la façon dont la description les révélait.

Le texte de Céline était assez difficile parce qu'il est moins explicite.



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