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Annales gratuites Bac 1ère ES : L'argumentation: convaincre, persuader et délibérer

Le sujet  2010 - Bac 1ère ES - Français - Questions Imprimer le sujet
Avis du professeur :
La question propose de comparer les trois textes sous un angle précis, celui de leur visée, de leur projet littéraire qui peut avoir une valeur didactique, politique, philosophique au-delà d'un simple projet littéraire lié au pur plaisir de la narration.
La comparaison de textes d'un corpus est un exercice banal qui ne pouvait décontenancer des élèves habitués. Globalement, les textes ne présentent pas trop de difficultés, malgré leur langue classique, si ce n'est des références qui ne sont pas forcément partagées par tous les élèves, comme l'Odyssée d'Homère.
LE SUJET
Objet d’étude :
L’argumentation : convaincre, persuader et délibérer



Le sujet comprend :

Texte A- Fénelon, les Aventures de Télémaque (1699), Septième livre

Texte B- Montesquieu, Lettres persanes (1721), Lettre XII

Texte C- Voltaire, Candide (1759), chapitre XXX











Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez d’abord à la question suivante (4points) :

Ces textes cherchent-ils seulement à nous dépayser ou ont-ils une autre visée ? Votre réponse se fondera sur quelques exemples précis. Elle devra être organisée et synthétique.

TEXTE A - Fénelon, Les Aventures de Télémaque

Télémaque et son précepteur Mentor sont de retour aux abords de l’île de Calypso. Ils rencontrent un capitaine de navire dont le frère Adoam leur livre les dernières nouvelles et leur dépeint un pays extraordinaire, la Bétique.

Le fleuve Bétis coule dans un pays fertile et sous un ciel doux, qui est toujours serein. Le pays a pris le nom du fleuve, qui se jette dans Ie grand Océan, assez près des Colonnes d'Hercule1 et de cet endroit où la mer furieuse, rompant ses digues, sépara autrefois la terre de Tharsis2 d'avec la grande Afrique. Ce pays semble avoir conservé les délices de l’âge d'or. Les hivers y sont tièdes, et les rigoureux aquilons3 n'y soufflent jamais. L'ardeur de l'été y est toujours tempérée par des zéphyrs4 rafraîchissants, qui viennent adoucir l'air vers le milieu du jour. Ainsi toute l'année n'est qu’un heureux hymen du printemps et de l'automne, qui semblent se donner la main. La terre, dans les vallons et dans les campagnes unies, y porte chaque année une double moisson. Les chemins y sont bordés de lauriers, de grenadiers, de jasmins et d'autres arbres toujours verts et toujours fleuris. Les montagnes sont couvertes de troupeaux, qui fournissent des laines fines recherchées de toutes les nations connues. Il y a plusieurs mines d’or et d'argent dans ce beau pays ; mais les habitants, simples et heureux dans leur simplicité, ne daignent pas seulement compter l'or el l'argent parmi leurs richesses : ils n'estiment que ce qui sert véritablement aux besoins de l'homme. Quand nous avons commencé à faire notre commerce chez ces peuples, nous avons trouvé l'or et l’argent parmi eux employés aux mêmes usages que le fer, par exemple, pour des socs de charrue. Comme ils ne faisaient aucun commerce au-dehors, ils n'avaient besoin d'aucune monnaie, Ils sont presque tous bergers ou laboureurs. On voit en ce pays peu d'artisans : car ils ne veulent souffrir que les arts qui servent aux véritables nécessités des hommes ; encore même la plupart des hommes en ce pays, étant adonnés à l'agriculture ou à conduire des troupeaux, ne laissent pas d'exercer les arts nécessaires pour leur vie simple et frugale. (...)

Quand on leur parle des peuples qui ont l'art de faire des bâtiments superbes, des meubles d'or et d'argent, des étoffes ornées de broderies et de pierres précieuses, des parfums exquis, des mets délicieux, des instruments dont l'harmonie charme, ils répondent en ces termes : " Ces peuples sont bien malheureux d'avoir employé tant de travail et d'industrie à se corrompre eux-mêmes ! Ce superflu amollit, enivre, tourmente ceux qui le possèdent : il tente ceux qui en sont privés de vouloir l’acquérir par l'injustice et par la violence. Peut-on nommer bien un superflu qui ne sert qu'à rendre les hommes mauvais ? Les hommes de ces pays sont-ils plus sains et plus robustes que nous ? Vivent-ils plus longtemps ? Sont-ils plus unis entre eux ? Mènent-ils une vie plus libre, plus tranquille, plus gaie ? Au Contraire, ils doivent être jaloux les uns des autres, rongés par une lâche et noire envie, toujours agités par l'ambition, par la crainte, par l'avarice, incapables des plaisirs purs et simples, puisqu'ils sont esclaves de tant de fausses nécessités dont ils font dépendre tout leur bonheur.







1 Ainsi sont appelées, dans l’Antiquité, les montagnes qui bordent, du côté de l’Europe et du côté de l’Afrique, le détroit de Gibraltar, aux limites du monde connu.

2 la terre de Tharsis : dans l’Antiquité, nom donné à la péninsule ibérique.

3 nom poétique des vents du nord.

4 vents d’ouest, doux, tièdes et agréables.



TEXTE B - Montesquieu, Lettres persanes

Les Troglodytes sont un peuple imaginaire dépeint dans trois lettres successives. Le texte ci-dessous est un extrait de la deuxième.



Qui pourrait représenter ici le bonheur de ces Troglodytes ? Un peuple si juste devait être chéri des dieux. Dès qu'il ouvrit les yeux pour les connaître, il apprit à les craindre, et la Religion vint adoucir dans les mœurs ce que la Nature y avait laissé de trop rude.

Ils instituèrent des têtes en l'honneur des dieux. Les jeunes filles ornées de fleurs, et les jeunes garçons les célébraient par leurs danses et par les accords d'une musique champêtre. On faisait ensuite des festins où la joie ne régnait pas moins que la frugalité. C'était dans ces assemblées que parlait la nature naïve ; c'est là qu'on apprenait à donner le coeur et à le recevoir ; c'est là que la pudeur virginale faisait en rougissant un aveu surpris, mais bientôt confirmé par le consentement des pères ; et c'est là que les tendres mères se plaisaient à prévoir de loin une union douce et fidèle.

On allait au temple pour demander les faveurs des dieux ; ce n'était pas les richesses et une onéreuse abondance : de pareils souhaits étaient indignes des heureux Troglodytes ; ils ne savaient les désirer que pour leurs compatriotes. Ils n'étaient au pied des autels que pour demander la santé de leurs pères, l'union de leurs frères, la tendresse de leurs femmes, l'amour et l'obéissance de leurs enfants. Les filles y venaient apporter le tendre sacrifice de leur coeur, et ne leur demandaient d'autre grâce que celle de pouvoir rendre un Troglodyte heureux.

Le soir, lorsque les troupeaux quittaient les prairies, et que les boeufs fatigués avaient ramené la charrue, ils s'assemblaient, et, dans un repas frugal, ils chantaient les injustices des premiers Troglodytes et leurs malheurs, la vertu renaissante avec un nouveau peuple, et sa félicité. Ils célébraient les grandeurs des dieux, leurs faveurs toujours présentes aux hommes qui les implorent, et leur colère inévitable à ceux qui ne les craignent pas ; ils décrivaient ensuite les délices de la vie champêtre et le bonheur d'une condition toujours parée de l'innocence. Bientôt ils s'abandonnaient à un sommeil que les soins et les chagrins n'interrompaient jamais.

La nature ne fournissait pas moins à leurs désirs qu'à leurs besoins. Dans ce pays heureux, la cupidité était étrangère : ils se faisaient des présents où celui qui donnait croyait toujours avoir l'avantage. Le peuple troglodyte se regardait comme une seule famille ; les troupeaux étaient presque toujours confondus ; la seule peine qu'on s'épargnait ordinairement, c'était de les partager.

D'Erzeron, le 6 de la lune de Gemmadi 2, 1711.



TEXTE C – Voltaire, Candide

Nous sommes dans le dernier chapitre du conte de Voltaire et pour obtenir les réponses définitives aux questions qu'il se pose, Candide décide de rendre visite à un sage oriental et de l'interroger.

Pendant cette conversation, la nouvelle s'était répandue qu'on venait d'étrangler à Constantinople deux vizirs1 du banc et le muphti2, et qu'on avait empalé plusieurs de leurs amis. Cette catastrophe faisait partout un grand bruit pendant quelques heures. Pangloss3, Candide et Martin4, en retournant à la petite métairie, rencontrèrent un bon vieillard qui prenait le frais à sa porte sous un berceau d'orangers. Pangloss, qui était aussi curieux que raisonneur, lui demanda comment se nommait le muphti qu'on venait d'étrangler. « Je n'en sais rien, répondit le bonhomme, et je n'ai jamais su le nom d'aucun muphti ni d'aucun vizir. J'ignore absolument l'aventure dont vous me parlez ; je présume qu'en général ceux qui se mêlent des affaires publiques périssent quelquefois misérablement, et qu'ils le méritent ; mais je ne m'informe jamais de ce qu'on fait à Constantinople ; je me contente d'y envoyer vendre les fruits du jardin que je cultive. » Ayant dit ces mots, il fit entrer les étrangers dans sa maison : ses deux filles et ses deux fils leur présentèrent plusieurs sortes de sorbets qu'ils faisaient eux-mêmes, du kaimak piqué d'écorces de cédrat confit, des oranges, des citrons, des limons, des ananas, des pistaches, du café de Moka qui n'était point mêlé avec le mauvais café de Batavia et des îles. Après quoi les deux filles de ce bon musulman parfumèrent les barbes de Candide, de Pangloss et de Martin.

« Vous devez avoir, dit Candide au Turc, une vaste et magnifique terre ? – Je n'ai que vingt arpents, répondit le Turc ; je les cultive avec mes enfants ; le travail éloigne de nous trois grands maux : l'ennui, le vice, et le besoin. »





¹ vizir : ministre de l’empire romain.

² muphti : homme de loi attaché à une mosquée qui donne des avis sur des questions juridiques et religieuses.

³ compagnon de voyage et percepteur de Candide, tenant de la philosophie de l’optimisme.

4 compagnon de voyage de Candide, et philosophe contradicteur de Pangloss.







LE CORRIGÉ

L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU SUJET



Sujet

Contraintes

Ces textes cherchent-ils seulement à nous dépayser…

  • « Dépayser » : nous faire changer de pays, de lieu, de décor. Les textes feraient donc rêver, en tout cas ils décriraient des mondes différents du nôtre.

ou ont-ils une autre visée ?

  • On peut penser à la finalité d'un texte argumentatif : fonction didactique, politique, satirique, etc.

Votre réponse se fondera sur quelques exemples précis. Elle devra être organisée et synthétique.

  • La consigne est plus détaillée que les autres années. Elle appelle de la méthodologie : illustrer (mais de façon rapide), surtout construire un plan (et ne pas faire un texte après l'autre), enfin être concis. Il ne faut pas raconter chaque texte.


La question, notée sur 4 points, exige un développement bref, mais complet. Il ne s'agit donc pas d'y consacrer trop de temps, mais de développer rapidement quelques idées en s'appuyant sur des exemples précis.

UN TRAITEMENT POSSIBLE DE LA QUESTION

Le libellé de la question induit le plan :

  1. Dépayser

  2. Autres visées

  1. le dépaysement

Chaque texte s'inscrit dans un voyage spatial (lieux réels comme Constantinople ou imaginaires, comme dans le cas de la Bétique ou des Troglodytes) et temporel (on n'a aucune indication précise dans le texte de Montesquieu ou dans celui de Voltaire ; Fénelon rattache clairement son lecteur à un temps immémorial : celui des aventures d'Ulysse et de l'âge d'or). Nous sommes donc doublement dépaysés par le contexte.

Le recours à des mots étrangers ou à connotation exotique : "Troglodytes" ou "lune de Gemmadi", pour Montesquieu, "Bétis" pour Fénelon. Voltaire est celui qui y a le plus recours avec "Constantinople", "vizirs", "muphtis", puis la liste des mets orientaux ("kaïmak", "cédrat", "limons", "ananas"). Pour un lecteur français, ces mots sont déjà un dépaysement, un voyage linguistique.

Les auteurs nous font aussi et surtout changer de valeurs. Les trois textes s'adressent effectivement à des lecteurs français des XVIIe et XVIIIe siècles, donc à des lecteurs appartenant à une société civilisée et raffinée. Or, les trois peuples évoqués sont surtout en accord avec la nature : cette nature est abondante chez Montesquieu et Fénelon. Elle est réduite aux proportions d'un "jardin" cultivé dans le texte de Voltaire. Dans les trois cas, elle suffit en tout cas au bonheur des habitants. De même, les pratiques sont différentes, surprenantes même. Le rituel de l'hospitalité décrit dans le texte de Candide doit faire sourire un lecteur européen : "parfumer les barbes".

Ainsi, le lecteur est invité à se divertir et à rêver.

  1. Mais ces textes ont bien sûr une autre visée.

Parler d'ailleurs = parler d'ici. La comparaison implicite entre l'ici est l'ailleurs est plus ou moins explicite : très présente dans le texte de Fénelon, par le biais du discours final, elle est plus implicite dans celui de Voltaire et dans celui de Montesquieu. L'éloge évident de la vie ailleurs est ainsi une invitation à s'interroger sur nos propres pratiques au sein de la civilisation.

Ainsi, certains auteurs sont nettement critiques ; c'est le cas de Fénelon qui énumère les maux liés à une civilisation raffinée : "injustice", "violence", "ambition", "avarice". Cette critique a une portée argumentative : Fénelon veut faire l'éloge d'une vie naturelle et prône plus de mesure dans l'autosatisfaction des peuples civilisés.

La portée est aussi didactique : la plupart du temps, la thèse de l'auteur n'apparaît pas explicitement. Elle est transmise par un personnage, souvent étranger (Voltaire, Fénelon) ou elle n'est pas transmise du tout (Montesquieu). Ainsi, il revient au lecteur de tirer lui-même les conclusions. On devine ainsi que la thèse de Voltaire est contenue dans la phrase finale du passage qui fait l'éloge du travail.

Ainsi, les auteurs ont tous une visée argumentative : il s'agit de persuader le lecteur de porter un regard critique sur son propre monde. Le détour par l'étrange, le dépaysement participe d'une stratégie de séduction habile. Si leur stratégie est la même, les auteurs ne parviennent évidemment pas aux mêmes conclusions. Fénelon est apparemment le plus critique, et ce à l'égard du luxe et du superflu. Voltaire prône une société de l'indifférence (le sage ne se préoccupe pas de ce qui se passe à Constantinople) mais de l'effort : il s'agit de trouver le bien-être, à défaut du bonheur. Montesquieu est, dans l'extrait qui nous est donné, celui dont les intentions réelles nous échappent le plus : sans doute souhaite-t-il que nous retrouvions plus de droiture, de simplicité et de générosité dans notre rapport aux autres.

Tous, en tout cas, souhaitent proposer des solutions pour vivre mieux. En ce sens, ce sont des textes qu'on peut qualifier, dans une certaine mesure, de philosophiques.

LES FAUSSES PISTES

Il ne fallait surtout pas se perdre dans des détails inutiles, traiter un texte après l'autre.

LES BONUS

Certains candidats pourraient être valorisés, ceux capables de rattacher les textes à un contexte : Voltaire notamment, philosophe des Lumières, qui ne critique pas la société civilisée comme le fait Fénelon un siècle plus tôt.

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