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Annales gratuites Bac 1ère L : Le jeu des acteurs

Le sujet  2009 - Bac 1ère L - Français - Questions Imprimer le sujet
Avis du professeur :
Le sujet porte sur l'identification du comédien avec son personnage.
La question est très classique, voire prévisible.
LE SUJET


(4 points)
Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez d'abord à la question suivante :

Quelle question essentielle ces textes posent-ils sur le jeu des acteurs ?


Texte A : Jean Rotrou, Le véritable Saint Genest

Genest est un acteur païen. Il doit jouer un drame retraçant le martyre du chrétien Adrien, devant l'empereur romain Dioclétien, qui persécute les chrétiens. Genest va s'identifier au cours de cette scène à son personnage, Adrien.

GENEST, seul, repassant son rôle, et se promenant.

      II serait, Adrien, honteux d'être vaincu
      Si ton dieu veut ta mort, c'est déjà trop vécu ;
      J'ai vu (Ciel, tu le sais, par le nombre des âmes
      Que j'osai t'envoyer, par des chemins de flammes)
 5    Dessus les grils ardents, et dedans les taureaux(1),
      Chanter les condamnés, et trembler les bourreaux.

          Il répète ces quatre vers.

      J'ai vu (Ciel, tu le sais, par le nombre des âmes
      Que j'osai t'envoyer, par des chemins de flammes)
      Dessus les grils ardents, et dedans les taureaux,
 10  Chanter les condamnés, et trembler les bourreaux.

          Et puis ayant un peu rêvé, et ne regardant plus son rôle, il dit :

      Dieux, prenez contre moi ma défense et la vôtre ;
      D'effet, comme de nom, je me trouve être un autre ;
      Je feins moins Adrien, que je ne le deviens,
      Et prends avec son nom, des sentiments Chrétiens ;
 15  Je sais (pour l'éprouver) que par un long étude(2),
      L'art de nous transformer, nous passe en habitude ;
      Mais il semble qu'ici, des vérités sans fard,
      Passent(3), et l'habitude, et la force de l'art,
      Et que Christ me propose une gloire éternelle,
 20  Contre qui ma défense est vaine et criminelle ;
      J'ai pour suspects vos noms de Dieux et d'immortels ;
      Je répugne aux respects qu'on rend à vos autels ;
      Mon esprit à vos lois secrètement rebelle,
      En conçoit un mépris qui fait mourir son zèle ;
 25  Et comme de profane, enfin sanctifié,
      Semble se déclarer, pour un crucifié ;
      Mais où va ma pensée, et par quel privilège
      Presque insensiblement, passé(4)-je au sacrilège,
      Et du pouvoir des Dieux, perds-je le souvenir ?
 30  Il s'agit d'imiter, et non de devenir.

(1) Il arrivait qu'on martyrisât les chrétiens en les faisant brûler dans des taureaux de bronze. Toutes ces références renvoient à des pratiques de supplices qui leur étaient infligés.
(2)étude : masculin au XVIIe siècle.
(3)Passent : surpassent.
(4)passé-je : inversion de "je passe".



Texte B : Molière, L'impromptu de Versailles

Dans cette œuvre, Molière se met lui-même en scène, distribuant aux acteurs de sa troupe les rôles d'une petite pièce rapidement conçue, qui garde un caractère d'improvisation - d'où le titre d'"impromptu".

      MOLIÈRE.- Pour vous, Mademoiselle...

      MADEMOISELLE DU PARC.- Mon Dieu, pour moi, je m'acquitterai fort mal de mon
      personnage, et je ne sais pas pourquoi vous m'avez donné ce rôle de façonnière(1).

      MOLIÈRE.- Mon Dieu, Mademoiselle, voilà comme vous disiez lorsque l'on vous
 5   donna celui de La Critique de l'Ecole des femmes ; cependant vous vous en êtes
      acquittée à merveille, et tout le monde est demeuré d'accord qu'on ne peut pas mieux
      faire que vous avez fait, croyez-moi, celui-ci sera de même, et vous le jouerez mieux
      que vous ne pensez.

      MADEMOISELLE DU PARC.- Comment cela se pourrait-il faire, car il n'y a point de
 10  personne au monde qui soit moins façonnière que moi.

      MOLIÈRE.- Cela est vrai, et c'est en quoi vous faites mieux voir que vous êtes
      excellente comédienne, de bien représenter un personnage qui est si contraire à votre
      humeur(2), tâchez donc de bien prendre tous le caractère de vos rôles, et de vous
      figurer que vous êtes ce que vous représentez.
 15  (A du Croisy.) Vous faites le poète, vous, et vous devez vous remplir de ce
      personnage, marquer cet air pédant qui se conserve parmi le commerce(3) du beau
      monde, ce ton de voix sentencieux, et cette exactitude de prononciation qui appuie
      sur toutes les syllabes, et ne laisse échapper aucune lettre de la plus sévère
      orthographe.
 20  (À Brécourt.) Pour vous, vous faites un honnête homme de cour, comme vous avez
      déjà fait dans La Critique de L'Ecole des femmes, c'est-à-dire que vous devez prendre
      un air posé, un ton de voix naturel, et gesticuler le moins qu'il vous sera possible.
       (À de la Grange.) Pour vous je n'ai rien à vous dire.
       (À Mademoiselles Béjart.) Vous, vous représentez une de ces femmes qui, pourvu
 25  qu'elles ne fassent point l'amour(4), croient que tout le reste leur est permis, de ces
      femmes qui se retranchent toujours fièrement sur leur pruderie(5), regardent un chacun
      de haut en bas, et veulent que toutes les plus belles qualités que possèdent les autres
      ne soient rien en comparaison d'un misérable honneur dont personne ne se soucie,
      ayez toujours ce caractère devant les yeux, pour en bien faire les grimaces(6).
 30  (À Mademoiselle de Brie.) Pour vous, vous faites une de ces femmes qui pensent
      être les plus vertueuses personnes du monde, pourvu qu'elles sauvent les
      apparences, de ces femmes qui croient que le péché n'est que dans le scandale, qui
      veulent conduire doucement les affaires qu'elles ont sur le pied d'attachement
      honnête, et appellent amis ce que les autres nomment galants(7), entrez bien dans ce
 35  caractère.
       (À Mademoiselle Molière.) Vous, vous faites le même personnage que dans La
      Critique, et je n'ai rien à vous dire non plus qu'à Mademoiselle du Parc.
       (À Mademoiselle du Croisy.) Pour vous, vous représentez une de ces personnes qui
      prêtent doucement des charités(8) à tout le monde, de ces femmes qui donnent
 40  toujours le petit coup de langue en passant, et seraient bien fâchées d'avoir souffert
      qu'on eût dit du bien du prochain ; je crois que vous ne vous acquitterez pas mal de
      ce rôle.
       (À Mademoiselle Hervé.) Et pour vous, vous êtes la soubrette de la précieuse, qui
      se mêle de temps dans la conversation, et attrape comme elle peut tous les termes
 45  de sa maîtresse ; je vous dis tous vos caractères, afin que vous vous les imprimiez
      fortement dans l'esprit. Commençons maintenant à répéter, et voyons comme cela
      ira. Ah ! voici justement un fâcheux, il ne nous fallait plus que cela.

(1)personne façonnière : qui fait des manières, qui manque de simplicité.
(2)humeur: caractère naturel.
(3)commerce : la fréquentation.
(4) "faire l'amour" : pour les femmes, se laisser courtiser.
(5) pruderie : manifestation outrée de pudeur, à l'égard de tout ce qui touche aux sentiments, à l'amour, à la sexualité.
(6)"pour en bien faire les grimaces" : pour bien jouer ce caractère.
(7)galants : ceux qui cherchent à plaire aux femmes et leur font la cour.
(8)charités : bienfaits inspirés par l'amour du prochain.



Texte C : Jean Anouilh, La Répétition ou L'Amour puni

Les personnages répètent une représentation privée de La Double Inconstance, de Marivaux dont les répliques sont inscrites entre guillemets. Le Comte fait office de metteur en scène.

      HORTENSIA
       "Que voulez-vous, ces gens-là pensent à leur façon et souhaiteraient que le prince fût       content."

      LE COMTE
      Bien, Hortensia !

      LUCILE
       "Mais ce prince, que ne prend-il une fille qui se rende à lui de bonne volonté ?
 5   Quelle fantaisie d'en vouloir une qui ne veut pas de lui. Quel goût trouve-t-il à
      cela ?"

      LA COMTESSE, au Comte que Lucile a regardé en jouant.
      Signalez-lui que le prince n'est pas en scène, Tigre(1). C'est Hortensia qu'il faut
      regarder.

      LUCILE
       "Car c'est un abus que tout ce qu'il fait : tous ces concerts, ces comédies, ces
 10  grands repas qui ressemblent à des noces, ces bijoux qu'il m'envoie. Tout cela lui
      coûte un argent infini. C'est un abîme, il se ruine. Demandez-moi ce qu'il y gagne.
      Quand il me donnerait toute la boutique d'un mercier, cela ne me ferait pas tant de
      plaisir qu'un petit peloton(2) qu'Arlequin m'a donné."

      HORTENSIA
       "Je n'en doute pas. Voilà ce que c'est l'amour. J'ai aimé de même. Et je me
 15  reconnais au peloton."

       (Au Comte.)
      Est-elle sincère en disant cela ? Je sens que je parle faux. A-t-elle aimé vraiment ?
      A-t-elle un jour préféré un petit peloton de laine à tous les bijoux du prince ?

      LE COMTE
      Et vous, ma chère Hortensia ?

      HORTENSIA
      Tigre, il ne s'agit pas de moi. Si c'est un jeu que vous jouez, il n'est pas drôle ! Vous
 20  venez de dire que nous n'étions pas nous...

      LE COMTE
      Pardon. Quand j'ai distribué la pièce, j'ai très bien su ce que je faisais. Vous l'avez
      parfaitement dite votre réplique.

      HORTENSIA
      Je l'ai donnée "sincère".

      LE COMTE
      Et comme vous n'avez jamais préféré le moindre peloton de laine à votre plaisir, en
 25  la donnant "sincère" vous avez eu l'air abominablement faux(3). C'était parfait. C'est
      ce que je voulais. Continuez.

(1)Tigre : la Comtesse appelle le Comte ainsi.
(2)peloton : petite pelote de fil roulé.
(3) Donc, selon le Comte, en conformité avec le personnage que joue Hortensia.



Texte D : Jean-Paul Sartre, Kean

Dans sa première version, cette œuvre était sous-titrée « Désordre et génie ».
A Londres, Kean, acteur célèbre, joue
Othello, de Shakespeare. Othello, jaloux, tue sa femme, Desdémone, en l'étouffant avec un oreiller. Or, dans la salle, se trouve Eléna, la femme du comte, ambassadeur du Danemark, et Kean en est amoureux. Mais il la croit convoitée par le prince de Galles, assis à côté d'elle. Soudain, Kean, depuis la scène, s'adresse à eux.

     KEAN. [...] (Tourné vers Eléna). Vous, Madame, pourquoi ne joueriez-vous pas
     Desdémone ? Je vous étranglerais si gentiment ? (Elevant l'oreiller au-dessus de sa
     tête.
) Mesdames, Messieurs, l'arme du crime. Regardez ce que j'en fais. (Il le jette
     devant l'avant-scène, juste aux pieds d'Eléna.
) A la plus belle. Cet oreiller, c'est mon
5   cœur ; mon cœur de lâche tout blanc : pour qu'elle pose dessus ses petits pieds.
     (A Anna.) Va chercher Cassio, ton amant : il pourra désormais te cajoler sous mes
     yeux(1). (Se frappant la poitrine.) Cet homme n'est pas dangereux. C'est à tort qu'on
     prenait Othello pour un grand cocu royal. Je suis un co...co... un... co...co...mique.
     (Rires. Au prince de Galles.) Eh bien, Monseigneur, je vous l'avais prédit : pour une
10  fois qu'il me prend une vraie colère, c'est l'emboîtage(2).
     (Les sifflets redoublent : "A bas Kean ! A bas l'acteur !" Il fait un pas vers le public
     et le regarde. Les sifflets cessent
.) Tous, alors ? Tous contre moi ? Quel honneur !
     Mais pourquoi ? Mesdames, Messieurs, si vous me permettez une question. Qu'est-
     ce que je vous ai fait ? Je vous connais tous mais c'est la première fois que je vous
15  vois ces gueules d'assassins. Est-ce que ce sont vos vrais visages ? Vous veniez
     ici chaque soir et vous jetiez des bouquets sur la scène en criant bravo. J'avais
     fini par croire que vous m'aimiez... Mais dites donc, mais dites donc : qui
     applaudissiez-vous ? Hein ? Othello ? Impossible : c'est un fou sanguinaire. Il faut
     donc que ce soit Kean. "Notre grand Kean, notre cher Kean, notre Kean national"
20  Eh bien le voilà, votre Kean ! (Il tire un mouchoir de sa poche et se frotte le visage.
     Des traces livides apparaissent
.) Oui, voilà l'homme. Regardez-le. Vous
     n'applaudissez pas ? (Sifflets.) C'est curieux, tout de même : vous n'aimez que ce
     qui est faux.

     LORD MEWILL, de sa loge. - Cabotin !

25  KEAN. - Qui parle ? Eh ! Mais c'est Mewill(3) ! (Il s'approche de la loge.) J'ai flanché
     tout à l'heure parce que les princes m'intimident, mais je te préviens que les
     punaises ne m'intimident pas. Si tu ne fermes pas ta grande gueule, je te prends
     entre deux ongles et je te fais craquer. Comme ça. (Il fait le geste. Le public se tait.)
     Messieurs dames, bonsoir. Roméo, Lear et Macbeth(4) se rappellent à votre bon
30  souvenir : moi je vais les rejoindre et je leur dirai bien des choses de votre part.
     Je retourne dans l'Imaginaire où m'attendent mes superbes colères. Cette nuit,
     Mesdames, Messieurs, je serai Othello, chez moi, à bureaux fermés(5), et je tuerai
     pour de bon. Evidemment, si vous m'aviez aimé... Mais il ne faut pas trop demander,
     n'est-ce pas ? A propos, j'ai eu tort, tout à l'heure, de vous parier de Kean. Kean est
35  mort en bas âge. (Rires.) Taisez-vous donc, assassins, c'est vous qui l'avez tué !
     C'est vous qui avez pris un enfant pour en faire un monstre(6) ! (Silence effrayé du
     public
.) Voilà ! C'est parfait : du calme, un silence de mort. Pourquoi siffleriez-vous : il
     n'y a personne en scène. Personne. Ou peut-être un acteur en train de jouer Kean
     dans le rôle d'Othello. Tenez, je vais vous faire un aveu : je n'existe pas vraiment, je
40  fais semblant. Pour vous plaire, Messieurs, Mesdames, pour vous plaire. Et je... (Il
     hésite et puis, avec un geste "A quoi bon
!".)... c'est tout.

     Il s'en va, à pas lents, dans le silence ; sur scène tous les personnages sont figés de
     stupeur. Salomon
(7) sort de son trou, fait un geste désolé au public et crie en coulisse :

     SALOMON. - Rideau ! voyons ! Rideau !

     UN MACHINISTE. - J'étais allé chercher le médecin de service.

     SALOMON. - Baisse le rideau, je te dis... (Il s'avance vers le public.) Mesdames et
45  Messieurs... la représentation ne peut continuer. Le soleil de l'Angleterre s'est
     éclipsé : le célèbre, l'illustre, le sublime Kean vient d'être atteint d'un accès de folie.
     Bruit dans le public. Le comte réveillé en sursaut se frotte les yeux.

     LE COMTE. - C'est fini ? Eh bien, Monseigneur, comment trouvez-vous Kean ?

     LE PRINCE, du ton que l'on prend pour féliciter un acteur de son jeu. - II a été tout
     simplement admirable.

Rideau

(1) Anna joue Desdémone. Cassio est, dans la pièce de Shakespeare, celui qu'Othello pense être son amant ; de même, Kean suspecte le prince et Eléna.
(2)emboîtage : action de siffler un acteur, une pièce.
(3)Mewill : un aristocrate, convoitant Anna, la partenaire de Kean, humilié par ca dernier, mais qui, au nom de son rang, avait refusé de se battre avec un acteur.
(4) Ce sont des personnages du théâtre de Shakespeare au destin fatal : Roméo, grand amoureux ; le roi Lear d'une part, et Macbeth, souverain usurpateur, d'autre part, sont tous deux en proie à la violence de leurs tourments.
(5)à bureaux fermés : donc, sans public.
(6) Enfant, Kean était un saltimbanque des rues.
(7) Salomon est à la fois le valet, le confident, et le souffleur de Kean.



LE CORRIGÉ


I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU SUJET

Sujet

Contraintes

Après avoir lu attentivement les textes du corpus…

la consigne insiste sur la nécessité d'une lecture attentive de tous les textes. Ils sont en effet longs et difficiles.

Quelle question essentielle ces textes posent-ils…

il s'agit d'identifier au sein d’un corpus un élément commun qui est d'ordre problématique.

sur le jeu des acteurs ?

cet élément commun renvoie à l'objet d'étude puisqu'il concerne un aspect de la représentation : le jeu des acteurs.


II – UN TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET

TYPES DE PLAN :

La question exige d'abord d'identifier la question essentielle illustrée par le corpus : ici, le corpus pose la question de l'identification de l'acteur avec le personnage qu'il incarne. La réponse doit par conséquent analyser ensuite chaque texte pour étudier de quelle manière chaque auteur aborde la question.

Il est souhaitable d'organiser l'étude des textes selon un plan adapté :

● Un plan chronologique, qui reviendrait ici à suivre l'ordre de présentation des textes dans le corpus. Il est peu opérant puisque Rotrou et Molière par exemple sont contemporains mais ne présentent pas tout à fait la même idée.

Un plan analytique, c’est celui que nous proposons :
1. l'acteur s'identifie au personnage ;
2. l'acteur a conscience de composer c'est-à-dire de fabriquer une représentation du personnage.

III - LES PISTES DE REPONSES

Le plan choisi, et qui nous a semblé le plus simple, est de type analytique. Il consiste à

1. formuler très clairement la question essentielle posée par le sujet concernant le jeu des acteurs afin de signaler d'emblée au correcteur que le travail a pris en compte l'énoncé ;
2. étudier les textes qui font état de la confusion entre personnage et acteur ;
3.étudier les textes qui présentent le jeu de l'acteur comme un travail de composition.

PREMIERE PARTIE

Dans ce corpus, tous les textes posent la question de savoir si le comédien doit ou non se confondre avec le personnage qu'il joue, l'incarner au point de faire oublier l'être de chair au profit de l'être de papier.

Cette question est d'autant plus perceptible que chacun de ces textes propose une mise en abyme : l'action représentée est précisément un moment lié à une représentation théâtrale. Le lecteur y rencontre des acteurs auxquels on distribue leurs rôles (Molière), qui répètent (Rotrou, Anouilh) ou qui sont sur scène devant un public (Sartre).

Transition

Les auteurs représentés dans le corpus offrent un éclairage contrasté sur cette question. Certains présentent ce principe de l'identification à travers des acteurs présentés en plein travail.

Dans Le Véritable saint Genest, Rotrou peint son personnage-acteur en train de répéter. Le monologue est délibératif parce que l'artiste éprouve l'étrange sensation de se confondre avec le martyr chrétien qu'il doit incarner : "je me trouve être un autre ; Je feins moins Adrien que je ne le deviens". Ainsi une sorte d'identification est en train d'opérer.

Dans La Répétition, le Comte soutient que l'acteur doit faire corps avec son personnage : ainsi, il salue la prestation d'Hortensia parce qu'elle a "parfaitement di[t] sa réplique" du fait que comme Flaminia, le personnage qu'elle incarne, elle n'a "jamais préféré le moindre peloton de laine à [son] plaisir". Il précise que c'est cette proximité entre actrice et personnage qui est à l'origine de sa distribution : "Quand j'ai distribué la pièce, j'ai très bien su ce que je faisais".

Enfin, Kean, dans sa tirade véhémente, s'associe aux personnages qu'il a joués : "Roméo, Lear, et Macbeth se rappellent à votre bon souvenir : moi je vais les rejoindre".

DEUXIEME PARTIE

Toutefois, les textes illustrent plutôt la thèse selon laquelle le travail de l'acteur consiste à faire comme s’il était le personnage.

Ainsi le monologue délibératif de Genest s'achève sur une phrase lapidaire à valeur d'art poétique : "Il s'agit d'imiter, et non de devenir". Le texte de Molière illustre très nettement cette conception du travail de l'acteur : à la du Parc qui s'insurge contre le rôle de façonnière qui lui est distribué, sous prétexte qu' "il n'y a point de personne au monde qui soit moins façonnière " qu'elle, Molière répond ce paradoxe : "Cela est vrai, et c'est en quoi vous faites mieux voir que vous êtes excellente comédienne, de bien représenter un personnage qui est si contraire à votre humeur".

Molière distribue ensuite aux autres acteurs de la troupe leur rôle, assorti de consignes de jeu qui visent à "figurer que vous êtes ce que vous représentez". Les répliques suivantes sont en fait des didascalies en puissance qui guideront le travail d'interprétation.

Enfin, dans la tirade de Kean, le comédien explique au public que son travail d'acteur repose sur l'illusion. C'est Kean qu'ils applaudissent et non Othello, un acteur "qui fait semblant" et qui se grime pour être le personnage : la didascalie "Il tire son mouchoir et se frotte le visage. Des traces livides apparaissent," rappelle qu'Othello est un personnage noir et que Kean a donc du maquillage pour jouer ce rôle.

Conclusion

Le corpus propose donc une réflexion sur le travail de l'acteur : il doit définir si son travail revient à se confondre avec le personnage qu'il incarne, devenir et être un autre, ou au contraire à se tenir à distance de l'identification. Le personnage de Kean sort de son rôle au moment où il en est le plus proche, c'est-à-dire lorsqu'il ressent les affres de la jalousie. Joli paradoxe qui renvoie aux principes du théâtre : donner l'illusion du réel.

IV - LES FAUSSES PISTES

Il ne fallait pas :

● omettre d'identifier clairement la question posée par le corpus au profit d'une analyse individuelle de chacun des textes ;
oublier d'étudier chacun des textes ;
perdre de vue que certains textes proposent des images contradictoires et complémentaires.


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