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Annales gratuites Bac 1ère L : Texte de Fontenelle

Le sujet  1998 - Bac 1ère L - Français - Etude de texte Imprimer le sujet
LE SUJET

Lors d'une promenade nocturne dans un parc, un philosophe fait à une marquise un cours de vulgarisation scientifique. La marquise se lamente de ce que, si la lune a des habitants, "on ne les connaîtra jamais...".


"Ces gens de la lune, on ne les connaîtra jamais, cela est désespérant.
- Si je vous répondais sérieusement, répliquai-je, qu'on ne sait ce qui arrivera, vous vous moqueriez de moi, et je le mériterais sans doute. Cependant je me défendrais assez bien, si je voulais.
J'ai une pensée très ridicule, qui a un air de vraisemblance qui me
surprend ; je ne sais où elle peut l'avoir pris, étant aussi impertinente(1) qu'elle est.
Je gage(2) que je vais vous réduire à avouer, contre toute raison, qu'il pourra y avoir un jour du commerce(3) entre la terre et la lune.
Remettez-vous dans l'esprit l'état où était l'Amérique avant qu'elle eût été découverte par Christophe Colomb.
Ses habitants vivaient dans une ignorance extrême. Loin de connaître les sciences, ils ne connaissaient pas les arts les plus simples et les plus nécessaires.
Ils allaient nus, ils n'avaient point d'autres armes que l'arc ; ils n'avaient jamais conçu que des hommes pussent être portés par des animaux ; ils regardaient la mer comme un grand espace défendu aux hommes, qui se joignait au ciel, et au-delà duquel il n'y avait rien.
Il est vrai qu'après avoir passé des années entières à creuser le tronc d'un gros arbre avec des pierres tranchantes, ils se mettaient sur la mer dans ce tronc, et allaient terre à terre(4), portés par le vent et par les flots.
Mais comme ce vaisseau était sujet à être souvent renversé, il fallait qu'ils se missent aussitôt à la nage pour le rattraper, et à proprement parler, ils nageaient toujours, hormis le temps qu'ils s'y délassaient.
Qui leur eût dit qu'il y avait une sorte de navigation incomparablement plus parfaite, qu'on pouvait traverser cette étendue infinie d'eau de tel côté et de tel sens qu'on voulait, qu'on s'y pouvait arrêter sans mouvement au milieu des flots émus(5), qu'on était maître de la vitesse avec laquelle on allait ; qu'enfin cette mer, quelque vaste qu'elle fût, n'était point un obstacle à la communication des peuples, pourvu seulement qu'il y eût des peuples au-delà ; vous pouvez compter qu'ils ne l'eussent jamais cru.
Cependant voilà un beau jour le spectacle du monde le plus étrange et le moins attendu qui se présente à eux.
De grands corps énormes qui paraissent avoir des ailes blanches, qui volent sur la mer, qui vomissent du feu de toutes parts, et qui viennent jeter sur le rivage des gens inconnus, tout écaillés de fer, disposant comme ils veulent de monstres qui courent sous eux, et tenant en leur main des foudres dont ils terrassent tout ce qui leur résiste.
D'où sont-ils venus ? Qui a pu les amener par-dessus les mers ? Qui a mis le feu en leur disposition ? Sont-ce les enfants du Soleil ? car assurément ce ne sont pas des hommes.
Je ne sais, Madame, si vous entrez comme moi dans la surprise des Américains ; mais jamais il ne peut y en avoir eu une pareille dans le monde.
Après cela, je ne veux plus jurer qu'il ne puisse y avoir commerce quelque jour entre la lune et la terre. Les Américains eussent-ils cru qu'il eût dû y en avoir entre l'Amérique et l'Europe qu'ils ne connaissaient seulement pas ?
Il est vrai qu'il faudra traverser ce grand espace d'air et de ciel qui est entre la terre et la lune. Mais ces grandes mers paraissaient-elles aux Américains plus propres à être traversées ?"


FONTENELLE, Entretiens sur la pluralité des mondes (1686).

(1) Déraisonnable, saugrenue.
(2) Je gage = je parie.
(3) Des relations.
(4) Sans perdre la terre de vue.
(5) Agités.


A - QUESTIONS

1. Comment et pourquoi le philosophe rend-il sensible "l'ignorance extrême" des Américains ("Ses habitants vivaient dans une ignorance extrême") ?

2. Quelles sont les deux thèses en présence ?

3. A qui est-il possible d'attribuer les questions suivantes : "D'où sont-ils venus ? Qui a pu les amener par-dessus les mers ? Qui a mis le feu en leur disposition ? Sont-ce les enfants du Soleil ?"

Quel rôle jouent-elles dans l'argumentation ?

4. Suite à ces questions, le philosophe débouche-t-il sur une conclusion définitive ? Comment procède-t-il pour convaincre la marquise ?


B - TRAVAIL D'ECRITURE

En vous inspirant du type d'argumentation utilisé par Fontenelle, imaginez à votre choix les propos de quelqu'un qui, de nos jours, s'enthousiasmerait pour une découverte (ou une invention) ou au contraire la condamnerait avec force.

LE CORRIGÉ

I - FICHE SIGNALETIQUE

On ne peut pas dire que le texte de FONTENELLE soit particulièrement difficile.

Le sujet est on ne peut plus clair, puisqu'il s'agissait de réexaminer des thèmes déjà anciens comme celui du progrès scientifique, des voyages entre deux mondes, sujets qui opposent traditionnellement les optimistes visionnaires et ceux qui refusent de croire dans les possibilités de la science.

La dernière question posée sur la conclusion du texte ouvrait une réflexion que le travail d'écriture pouvait développer.


II - REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR

Voilà un sujet qui allait parfaitement à des scientifiques, avec le danger peut-être de prendre goût à la problématique, d'avoir envie de se lancer très vite dans le travail d'écriture et d'oublier de traiter les questions de manière très précise.

Ce texte est d'autant plus savoureux que nous le lisons avec le regard d'hommes du vingtième siècle.

Il est prémonitoire du premier voyage des Américains sur la lune tout en évoquant la possibilité chimérique qu'il existe des hommes sur notre satellite.


III - TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET

A - QUESTIONS

1. Pour rendre sensible "l'ignorance extrême" des Américains, FONTENELLE commence par une description à l'imparfait.

Le verbe "connaître" est deux fois nié : "loin de connaître les sciences, ils ne connaissaient pas".

Les superlatifs insistent encore sur leur ignorance ("les arts les plus simples et les plus nécessaires"), tout en soulignant implicitement la comparaison avec les Européens.

Le thème de la mer comme espace défendu introduit par comparaison implicite celui de l'espace intersidéral tout en permettant d'illustrer l'ignorance des Indiens.

On a, de plus, l'exemple du tronc creusé lentement durant "des années entières" pour se rendre de "terre à terre". Le terme trop technique pour les Américains de "cabotage" est évité et prépare la prosopopée qui suivra. FONTENELLE commence à adopter leur point de vue.

Suit "qui leur eût dit...?", question purement oratoire dont la réponse sous-entendue est "Personne !" et qui introduit une série de complétives présentant de manière très efficace ce que les Européens ont pu réaliser et que les Américains pensaient, comme l'imagine FONTENELLE, impossible :

"Qu'on pouvait traverser [...] qu'on s'y pouvait arrêter [...] qu'on était maître de [...] qu'enfin cette mer n'était point un obstacle".

Cette énumération est interrompue par une sorte de petit récit qui annonce la prosopopée (procédé par lequel l'écrivain fait parler des inanimés, des absents ou, comme c'est ici le cas, des morts).

On a une description puis une série de questions qui mettent en scène de manière frappante la stupéfaction que les Américains doivent à leur ignorance.

Il faudra ici citer précisément le texte pour appuyer ces affirmations.


2. Les deux thèses en présence sont les suivantes :

Celle de FONTENELLE : il n'est pas absurde d'imaginer un "commerce" avec les habitants de la lune puisque, si l'on remonte le temps, on peut trouver des exemples d'ignorance et de scepticisme reflétant l'état des connaissances de leur époque.

La thèse adverse : il est ridicule de penser qu'on puisse aller sur la lune, conquérir encore de nouveaux mondes. Les progrès humains sont limités. "Ces gens de la lune, on ne les connaîtra jamais." (l.1).


3. Les questions posées ("D'où sont-ils venus [...] Soleil ?") sont attribuées aux Américains. C'est une prosopopée. Voir l'explication ci-dessus.


4. Evidemment, FONTENELLE ne débouche pas sur une conclusion définitive. Cela condamnerait d'emblée toute son argumentation.

Son but est d'ouvrir le champ des possibles, que l'on prenne conscience de son ignorance. D'une certaine manière, malgré l'avancement de notre civilisation, nous sommes semblables à ces premiers Américains. Nous pouvons encore être étonnés.

Voici les procédés utilisés pour convaincre la marquise :

Elle est d'abord invitée à "entrer dans la surprise des Américains", à se mettre à leur place, comme l'auteur lui-même. Et cela de manière très habile par une phrase négative, "je ne sais, Madame, si vous entrez comme moi".

Suit une litote avec double dénégation qui s'annule : "je ne veux plus jurer qu'il ne puisse...", ce qui signifie "il est possible qu'il y ait un jour commerce...".

La locution "ne...plus" oppose un sujet qui a changé d'avis, qui est sorti de ses préjugés, à un sujet converti aux possibilités du progrès. La marquise, comme on vient de le noter, a été invitée à s'identifier à ce sujet.

La conclusion reprend ensuite la question oratoire ("Qui leur eût dit [...] jamais cru.") avec le même irréel du passé : "Les Américains eussent-ils cru".

Enfin, FONTENELLE réfute la dernière et inéluctable objection ("Mais ces grandes mers") sur le moyen de traverser l'espace en rapprochant ce dernier de l'océan.


B - TRAVAIL D'ECRITURE

Le sujet proposé est très clair, il fallait "imaginer" un propos semblable à celui de FONTENELLE en se situant "de nos jours". C'est donc une imitation de la manière d'argumenter qui est exigée.

Le mot "découverte", légèrement différent d'"invention" permettait au candidat d'imaginer ce qu'il voulait, à condition de s'en tenir tout de même à quelque chose d'imaginable, sur quoi on puisse raisonner de manière scientifique, à la manière de la science-fiction.

Puisqu'il s'agissait des propos de quelqu'un, on pouvait imaginer plusieurs situations d'écriture : conférence d'un orateur, réplique d'un personnage de théâtre, lettre, tout cela au présent de l'indicatif en gardant la première personne "je".

On pouvait aussi choisir une argumentation rapportée dans un récit, ce qui autorisait la troisième personne dans les parties du récit et les incises et la première dans les parties dialoguées.

Quant à l'ordre d'exposition de l'argumentation, rien n'était imposé.
On pouvait faire comme FONTENELLE ou préférer un autre exposé.


IV - CONNAISSANCES REQUISES

Il fallait avoir une connaissance précise des procédés utilisés par l'argumentation pour traiter les questions, puis réinvestir ces derniers dans le travail d'écriture, et suffisamment d'imagination pour rendre celui-là intéressant.


V - FAUSSES PISTES

Les questions étaient vraiment sans piège particulier. Peut-être certains candidats auront-ils, à tort, pris au premier degré les questions oratoires de FONTENELLE sans voir qu'il s'agissait de procédés.

Le seul danger dans le travail d'écriture était de se laisser entraîner à décrire longuement une invention au lieu de faire une argumentation en faveur ou contre la découverte ou l'invention en question.

J'ajoute qu'il fallait parler comme FONTENELLE d'une invention possible, d'une découverte à venir, imaginable aujourd'hui, "de nos jours".

Parler d'inventions qui existent déjà conduisait à une impasse, puisqu'il n'est pas utile d'argumenter pour défendre l'existence de quelque chose qui existe déjà.

D'autre part, il fallait éviter d'imaginer des choses qui relèvent de la pure fantaisie et du merveilleux, comme d'un moyen de communiquer avec les "animaux" grâce à un traducteur, une interface, ou d'un moyen de se téléporter ou encore d'une machine à remonter le temps.

Enfin, j'ajouterai qu'il était maladroit de faire une conclusion et une introduction de type scolaire puisque c'était un travail d'imagination et non une dissertation. Mais on devait avoir une chute, une sorte de conclusion logique pour clore l'argumentation.

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