Suivez-nous
 >   >   >   > Texte de Hugo

Annales gratuites Bac 1ère L : Texte de Hugo

Le sujet  1999 - Bac 1ère L - Français - Etude de texte Imprimer le sujet
LE SUJET

Dans A propos d'Horace , HUGO crie sa haine des maîtres ignorants, "mauvais et méchants", pédants et bornés, dont il eut à souffrir en pension dans sa jeunesse. Il a formulé divers griefs, et enchaîne : outre les punitions, dit-il, et autres brimades,


J'étais alors en proie à la mathématique.
Temps sombre ! enfant ému du frisson poétique,
Pauvre oiseau qui heurtais du crâne mes barreaux,
On me livrait tout vif aux chiffres, noirs bourreaux ;
On me faisait de force ingurgiter l'algèbre ;
On me liait au fond d'un Boisbertrand (1) funèbre ;
On me tordait, depuis les ailes jusqu'au bec,
Sur l'affreux chevalet des X et des Y ;
Hélas, on me fourrait sous les os maxillaires
Le théorème orné de tous ses corollaires ;
Et je me débattais, lugubre patient (2)
Du diviseur prêtant main-forte au quotient.
De là mes cris.

Un jour, quand l'homme sera sage,
Lorsqu'on n'instruira plus les oiseaux par la cage,
Quand les sociétés difformes sentiront
Dans l'enfant mieux compris se redresser leur front,
Que, des libres essors ayant sondé les règles,
On connaîtra la loi de croissance des aigles,
Et que le plein midi rayonnera pour tous,
Savoir étant sublime, apprendre sera doux.
Alors, tout en laissant au sommet des études
Les grands livres latins et grecs, ces solitudes
Où l'éclair gronde, où luit la mer, où l'astre rit,
Et qu'emplissent les vents immenses de l'esprit,
C'est en les pénétrant d'explication tendre,
En les faisant aimer, qu'on les fera comprendre.
Homère emportera dans son vaste reflux
L'écolier ébloui ; l'enfant ne sera plus
Une bête de somme attelée à Virgile ;
Et l'on ne verra plus ce vif esprit agile
Devenir, sous le fouet d'un cuistre ou d'un abbé,
Le lourd cheval poussif du pensum (3) embourbé.
Chaque village aura, dans un temple rustique,
Dans la lumière, au lieu du magister antique,
Trop noir pour que jamais le jour y pénétrât,
L'instituteur lucide et grave, magistrat
Du progrès, médecin de l'ignorance, et prêtre
De l'idée ; et dans l'ombre on verra disparaître
L'éternel écolier et l'éternel pédant.
L'aube vient en chantant, et non pas en grondant.
Nos fils riront de nous dans cette blanche sphère ;
Ils se demanderont ce que nous pouvions faire
Enseigner au moineau par le hibou hagard.
Alors, le jeune esprit et le jeune regard
Se lèveront avec une clarté sereine
Vers la science auguste, aimable et souveraine.

Paris, mai 1831.

VICTOR HUGO, Les Contemplations (1856)
Livre premier ( Aurore ), "A propos d'Horace".


(1) Bois-Bertrand (ici orthographié Boisbertrand) : auteur d'un manuel d'algèbre.
(2) au sens fort de : victime des bourreaux.
(3) pensum : travail ennuyeux et pénible.


I - QUESTIONS

1 - Quels aspects de l'éducation V. HUGO condamne-t-il du vers "J'étais alors en proie..." au vers "Savoir étant sublime, apprendre sera doux" ?
Comment le poète donne-t-il force à sa démonstration ?

2 - Dégagez la thèse défendue par V. HUGO du vers "Un jour, quand l'homme sera sage" à la fin.

3 - Etudiez la valeur des temps du vers "L'aube vient en chantant, et non pas en grondant" au vers "Enseigner au moineau par le hibou hagard".

4 - Quel rôle joue la métaphore filée de la lumière dans l'argumentation à partir du vers "Chaque village aura, dans un temple rustique" jusqu'à la fin du poème ?


II - TRAVAIL D'ECRITURE

Faites, à votre choix, l'éloge ou le procès d'un enseignement sans contraintes.

LE CORRIGÉ

I - FICHE SIGNALETIQUE

La difficulté du sujet réside dans le fait que le texte soumis à l'étude est un texte poétique, ce qui n'est pas très fréquent dans le cadre du sujet 1.

La première surprise passée, il s'agit de considérer, avant tout, la portée argumentative du propos de VICTOR HUGO, sans passer outre à la mise en forme poétique mais en privilégiant, évidemment, l'analyse de la thèse défendue.
Le texte aborde les problèmes posés par certains types d'éducation scolaire, dont HUGO décrit les limites, voire les dangers.

S'il attaque assez violemment les maîtres ignorants, "mauvais et méchants", dont il a eu lui-même à souffrir la dureté, en pension dans sa jeunesse, il propose un autre mode d'éducation, allant dans le sens de l'enrichissement de l'élève et non de son "dressage" ou de son abrutissement progressif par "bourrage de crâne", faisant des élèves des copies conformes du pédantisme des maîtres.

On vous demandait de répondre à quatre questions visant à analyser la stratégie argumentative du poète.

Quelques notions de stylistique étaient utiles pour les questions 3 et 4 (valeur des temps et métaphore filée).

Le travail d'écriture vous proposait de faire l'éloge ou le procès d'un enseignement sans contraintes, donc de défendre à votre tour une thèse pour ou contre ce type d'éducation.


II - REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR

Peut-être surprenant dans sa forme poétique pour un texte de support d'un sujet 1, cet extrait des Contemplations est d'une grande richesse argumentative, ouvrant de nombreuses perspectives (notamment dans le travail d'écriture) sur le thème de l'éducation, vaste sujet toujours brûlant et source de polémiques nombreuses.

Il ne fallait pas être rebuté par le style de HUGO et s'attacher avant tout à son propos.

De plus, les questions sont très clairement formulées et sans réelle difficulté pour un candidat entraîné à l'analyse des textes argumentatifs.

Voilà donc un sujet original ouvert sur de nombreux développements et peu contraignant en réalité dans ses attentes.


III - CONNAISSANCES REQUISES

Comme n'importe quel texte argumentatif, ce poème de HUGO demandait la connaissance d'un vocabulaire technique minimal : connecteurs logiques, modalités, mise en oeuvre de la thèse, stratégie argumentative.

Connaître l'oeuvre et la biographie de VICTOR HUGO pouvait être utile mais pas essentiel.

Votre propre expérience de l'éducation sur "le terrain" du collège et du lycée vous permettait d'argumenter de façon valide pour le travail d'écriture.
Les oeuvres, littéraires et cinématographiques ne manquent pas pour illustrer ce sujet.

Le cercle des poètes disparus , au cinéma, développant le charme, l'intérêt mais aussi les risques d'une éducation "sans contraintes".

A l'opposé, on pouvait penser au type d'enseignement très rigide décrit dans des oeuvres comme Les désarrois de l'élève Torless de ROBERT MUSIL, Le petit chose d'ALPHONSE DAUDET…


IV - TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET

QUESTIONS

1 - Les aspects de l'éducation que condamne V. HUGO du vers "J'étais alors..." au vers "Savoir étant sublime, apprendre sera doux" sont le fait que
l'élève est brimé dans sa vocation et ses goûts. On le force à apprendre, sans envisager un instant ni son épanouissement ni ses intérêts culturels. HUGO élève est "ému du frisson poétique" mais ses maîtres le font "de force ingurgiter l'algèbre".

Le poète donne de la force à sa démonstration dans ces vers en juxtaposant des indépendantes, souvent constitutives d'un seul vers, séparées par des points virgules qui ponctuent la thèse descriptive comme autant de reproches.

On peut remarquer l'exclamation d'indignation et de révolte du vers "J'étais alors (...)", comparant le temps de l'enfance à un "temps sombre" alors qu'il devrait être celui de la lumière, de la clarté chère à HUGO.

Le champ lexical de l'enfermement renforce cela : "heurtais du crâne mes barreaux..., noirs bourreaux..., liait..., tordait..., fourrait..., je me débattais..., lugubre patient..., mes cris...", d'autant plus que HUGO compare l'élève à un oiseau privé de sa liberté et torturé cruellement : "pauvre oiseau, depuis les ailes jusqu'au bec".

2 - Du vers "De là mes cris (...)" à la fin, HUGO défend la thèse d'une éducation radicalement opposée à celle
qu'il a condamnée dans les vers précédents, une éducation fondée sur la liberté, l'épanouissement, le plaisir d'apprendre : "enfant mieux compris..., apprendre sera doux..., explication tendre..., c'est en les faisant aimer qu'on les fera comprendre...".

Plus de maître pédant et obscurantiste mais un "instituteur lucide et grave". Plus de petits singes savants mais des "aigles", un "écolier ébloui".

Cette éducation présentée par HUGO ne pourra voir le jour que "quand l'homme sera sage", c'est-à-dire en ce moment souvent décrit par HUGO le poète-voyant où l'Homme prendra enfin la mesure de son caractère divin , comme dans "Stella" par exemple, sortant des ténèbres de l'obscurantisme ("le plein midi rayonnera pour tous, la lumière, le jour y pénétrât, dans l'ombre on verra disparaître").

3 - Au vers "L'aube vient en chantant (...)", HUGO emploie le présent ("vient") qui actualise la thèse proposée, d'une éducation sans contraintes.

Aux vers "Nos fils (...)" et "Ils se demanderont (...)", les futurs ("riront...,se
demanderont...") illustrent le caractère prophétique du propos hugolien (ce qui est fréquent dans l'oeuvre du poète).

Ce qu'il décrit existera, il en est sûr et veut en convaincre ses lecteurs.

L'imparfait du vers "Ils se demanderont (...)" ("nous pouvions") est un constat d'échec concernant les "vieilles" éducations, poussiéreuses, inefficaces et au final nuisibles.


4 - Comme on l'a montré dans la question 2, la métaphore filée de la lumière dans l'argumentation à partir du vers "Chaque village (...)" jusqu'à la fin , insiste sur le caractère prophétique du propos de HUGO, "poète voyant" mais aussi profondément imprégné de sa Foi en Dieu, mais aussi en l'Homme.

Or, ce n'est que grâce à une éducation harmonieuse, fondée sur l'intelligence et le plaisir, que l'humanité pourra se hisser au-dessus des troupeaux passifs ("bête de somme..., lourd cheval poussif..., sociétés difformes...").

L'oiseau en cage deviendra aigle et cette lumière du savoir passera de "l'instituteur lucide", adjectif dans lequel on reconnaît la racine "lux", lumière en latin, au disciple.

En somme, l'éducation selon HUGO, c'est transmettre la Lumière, celle de Dieu et de l'Homme, enfin debout par la médiation de maîtres éclairés qui pourront faire naître une communauté réelle entre enseignant, enseigné et choses apprises ("Homère emportera dans son vaste reflux l'écolier ébloui").


Le relevé du champ lexical de la lumière était utile à l'exploitation de cette question : "plein midi..., rayonnera..., luit la mer..., l'astre rit..., ébloui..., lumière..., lucide...".

TRAVAIL D'ECRITURE

Il s'agissait d'élaborer à votre tour une thèse faisant l'éloge, donc développant les aspects positifs d'un enseignement sans contraintes ou l'inverse, soit le procès d'un tel type d'enseignement.

Un plan dialectique était exclu puisque vous ne deviez présenter qu'une thèse.

Votre éloge ou votre procès pouvait se présenter suivant un plan descriptif, ou thématique, l'essentiel étant que votre propos fût convaincant et ouvert à la polémique, sur le modèle du texte de VICTOR HUGO.


A - PROCES

- Trop de liberté nuit au sérieux,
- Autodiscipline pouvant amener à une certaine forme d'anarchie,
- Bouleversement des rapports d'autorité,
- Manque de rigueur et laisser-aller, - Connaissances insuffisamment approfondies (survol et non étude),
- Pas d'apprentissage des contraintes sociales futures,
- Risque d'échec scolaire,
- Oubli du réel et du concret en faveur de l'abstraction (le mathématicien et le poète décrit par HUGO).


B - ELOGE

- La liberté est un facteur déterminant de l'épanouissement de l'individu,
- L'élève qui n'est pas brimé par la discipline ne se révoltera pas et n'aura pas de comportement perturbateur, - L'autorité est remplacée par le respect mutuel et la confiance,
- La poésie, l'imaginaire et la créativité sont plus importants que le "dressage",
- Par plaisir, on apprend mieux que sous la contrainte,
- Un individu équilibré saura s'adapter à n'importe quel contexte,
- L'élève réussira parce qu'il est motivé,

- Le plaisir du savoir ne coupe pas du monde mais enrichit au contraire cette relation au monde.


V - LES FAUSSES PISTES


- Il ne fallait pas se laisser impressionner par la forme poétique du texte argumentatif et l'analyser comme n'importe quel autre texte.

- Il ne fallait pas confondre étude de la thèse et commentaire composé, l'analyse stylistique n'étant qu'un moyen et non une fin.

- Il fallait étudier précisément les deux mouvements du texte : contre l'enseignement obscurantiste et pour l'enseignement éclairé, sans négliger l'aspect prophétique.

- Au risque de ne pas répondre au libellé du sujet dans le travail d'écriture, il ne fallait développer qu'une thèse (pour ou contre) sans vous lancer dans une argumentation dialectique.

2022 Copyright France-examen - Reproduction sur support électronique interdite