Le sujet 2009 - Bac 1ère STI - Français - Commentaire littéraire |
Avis du professeur :
Un monologue extrait de "Il y avait foule au manoir" de Jean Tardieu. Original car le texte est récent (1987) mais difficile car il touche à la question de l'illusion théâtrale, de l'artifice. |
(14 points)
Commentaire
Vous commenterez le monologue de Dubois-Dupont, extrait de Il y avait foule au manoir de Jean Tardieu (texte D), en vous aidant du parcours de lecture suivant :
● vous
analyserez ce que cette présentation a d'artificiel ;
●
vous étudierez les effets produits par ce monologue sur le
spectateur.
Texte D
Un bal est donné au château du Baron de Z... Les invités viennent tour à tour se présenter sur scène. Le premier d'entre eux est Dubois-Dupont.
1 Dubois-Dupont, il est vêtu d'un "plaid" à pèlerine(1) et à grands carreaux et coiffé d'une casquette assortie "genre anglais". Il tient à la main une branche d'arbre en fleur.
Je
me présente : je suis le détective privé Dubois.
Surnommé Dupont, à cause de ma
ressemblance
avec le célèbre policier anglais Smith. Voici ma carte
: Dubois-Dupont,
5 homme de confiance et de
méfiance. Trouve la clé des énigmes et des
coffres-forts.
Brouille les ménages
ou les raccommode, à la demande. Prix modérés.
Les
raisons de ma présence ici sont mystérieuses autant
que... mystérieuses... Mais
vous
les connaîtrez tout à l'heure. Je n'en dis pas plus. Je
me tais. Motus.
Qu'il
me suffise de vous indiquer que nous nous trouvons, par un beau soir
de
10 printemps (Il montre la
branche), dans le manoir(2)
du baron de Z... Zède comme Zèbre,
comme
Zéphyr... (Il rit bêtement.)
Mais chut ! Cela pourrait vous mettre sur la voie.
Comme
vous pouvez l'entendre, le baron et sa charmante épouse
donnent, ce soir,
un bal
somptueux. La fête bat son plein. Il y a foule au manoir.
On
entend soudain la valse qui recommence, accompagnée de rires,
de vivats, du bruit
15 des
verres entrechoqués. Puis
tout s'arrête brusquement.
Vous
avez entendu ? C'est prodigieux ! Le bruit du bal s'arrête net
quand je parle.
Quand je me tais,
il reprend.
Dès
qu'il se tait, en effet, les bruits de bal recommencent, puis
s'arrêtent
Vous
voyez ?...
20 Une
bouffée de bruits de bal.
Vous entendez
?...
Bruits
de bal.
Quand
je me tais... (Bruits de bal)...
ça recommence quand je commence, cela se tait.
C'est
merveilleux ! Mais, assez causé ! Je suis là pour
accomplir une mission périlleuse.
25 Quelqu'un
sait qui je suis. Tous les autres ignorent mon identité. J'ai
tellement
d'identités
différentes ! C'est-à-dire que l'on me prend pour ce
que je ne suis pas.
Le
crime - car il y aura un crime - n'est pas encore consommé. Et
pourtant, chose
étrange, moi
le détective, me voici déjà sur les lieux mêmes
où il doit être perpétré
!...
Pourquoi ? Vous le saurez plus
tard.
30 Je vais disparaître un instant, pour me
mêler incognito(3)
à la foule étincelante des
invités.
Que de pierreries ! Que de bougies ! Que de satins I Que de chignons
! Mais on
vient !... Chut !... Je
m'éclipse. Ni vu ni connu !
Il sort, par la droite, sur la pointe des pieds, un doigt sur les lèvres.
Jean
Tardieu, "Il y avait foule au manoir", in La
Comédie du langage, 1987
(1)
Plaid à pèlerine : ample manteau orné d'une
cape.
(2) Manoir : petit château à la campagne.
(3)
Incognito : anonymat, en secret.
I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES
DU SUJET
Sujet |
Contraintes |
Vous commenterez le monologue de Dubois-Dupont… |
► contrainte explicite : le commentaire d'un extrait de "Il y avait foule au manoir" de Tardieu. ► contrainte
implicite : |
Vous analyserez ce que cette présentation a d'artificiel. |
►bien analyser les termes du libellé : "cette
présentation" : renvoie clairement aux premiers
mots du passage "je me présente" ; il s'agit
donc de la présentation du personnage par lui-même ; |
Vous étudierez les effets produits par ce monologue sur le spectateur. |
►la question revient à s'interroger sur les émotions suscitées et donc les registres. |
Caractéristiques générales du texte attendu :
Il s'agit de
produire un commentaire composé : pas
de paraphrase ou de récit
reprenant le texte.
● Ce commentaire est écrit comme
un essai : arguments,
citations extraites du texte, observation des procédés
d'écriture, analyse.
●
Aucune allusion aux autres textes du corpus n'est demandée ni
souhaitable. En conclusion, on peut toutefois proposer des
rapprochements.
● Il faut faire une introduction
qui présente le texte et annonce le parcours de lecture
proposé, deux
parties organisées qui
répondent aux deux questions, et une rapide
conclusion.
II - LES PISTES DE REPONSES
PREMIERE PARTIE : une présentation artificielle
Type de plan possible
On peut reprendre le libellé de la question pour repérer dans le texte les éléments de réponse :
● De
quoi le monologue est-il une présentation ? :
du personnage, du lieu, du moment, de l'action à venir. On
retrouve tout ce qui constitue une scène d'exposition au
théâtre.
●
Qu'est-ce
qui est artificiel ? : l'énonciation (le
personnage s'adresse directement au public) ; le personnage
annonce plus ou moins la suite de l'action ; il dénonce
l'illusion théâtrale en nous demandant d'imaginer le
lieu à partir de ce qu'il dit.
Ces éléments
pourraient constituer le plan de la réponse, mais il est plus
judicieux d'axer toute la réponse sur le caractère
artificiel de tous les éléments qui sont présentés
dans le passage.
Plan proposé
Nous proposons donc le plan suivant :
1. La présentation du personnage par lui-même : il brise la convention théâtrale qui veut que personnage et public, scène et salle soient séparés et ne communiquent pas.
● D'ordinaire
au théâtre, la présentation d'un personnage se
fait par d'autres. Elle peut aussi se faire par le personnage en
personne au cours d'un monologue qu'il s'adresse à lui-même.
●
Or, ici, le personnage s'adresse
au public : il lui pose des questions ("vous
avez entendu?", "vous voyez ? Vous entendez ?"),
il recourt fréquemment à la deuxième personne
("vous les connaîtrez tout à l'heure"). Il
nous interpelle directement : "je me présente",
"je suis Dupont". Il lit même sa carte de visite. En
s'adressant à nous, Dubois-Dupont efface la frontière
qui existe d'habitude entre la salle et la scène.
●
Le même procédé principe vaut pour
l'action : le
personnage annonce l'action à venir, "il y
aura un crime". Surtout,
le détective est là avant le crime, ce
qui n’est pas très ordinaire.
2. La présentation du moment et des lieux n'est pas non plus ordinaire : elle brise la convention théâtrale qui veut que la scène cherche à créer l'illusion notamment par le décor.
● Le
moment, "le beau soir de printemps" est
représenté symboliquement par "la branche d'arbre
en fleur" que le personnage tient à la main. La
didascalie "montrant la branche" montre que le
personnage dénonce l'illusion théâtrale :
vois cette fleur, semble-t-il dire, elle te permet de t'imaginer que
c'est le printemps.
●
Les
lieux ne sont pas présentés par le décor
mais dans le discours du personnage : "que de pierreries !
Que de bougies ! Que de satins ! Que de chignons !".
La salle de bal reste du domaine du hors scène : on
l'imagine, grâce au bruit (didascalie lignes
14-15) mais on
ne la voit pas.
●
Le
bruit venu de la salle est aussi le lieu d'un artifice
exagéré : se devine, derrière la "bouffée
de bruit de bal" qui se fait entendre par intermittence, le
travail de l'ingénieur du son en train d'appuyer sur ses
boutons.
Transition
Tous ces artifices rompent avec la convention théâtrale : le paradoxe est qu'ils sont souvent utilisés au théâtre. Mais ici, le personnage les affiche, les exhibe même... et cela, évidemment, pour susciter divers effets chez le spectateur.
DEUXIEME PARTIE : les effets produits par ce monologue sur le spectateur
Type de plan possible
Il est évident que l'effet produit est le rire. Reste à analyser sur quels éléments du texte il repose. La réponse peut donc s'organiser autour des formes de comique ; on peut aisément repérer :
1. le
comique de mots : l'absurde de certaines
formules ;
2. le
comique de situation : l'absurde d'un détective
présent avant le crime ;
3. le
comique de caractère : la caricature du
détective.
Mais cela ne suffit pas : à bien examiner ces trois formes de comique, on voit qu'ils en créent une quatrième qui est la parodie. On voit aussi que les deux premières formes de comique sont un peu redondantes.
Plan proposé
Nous proposons donc le plan suivant :
1. Le comique de l'absurde : un comique contraire à la raison, au sens commun.
● La
situation : un détective présent
avant le crime : "chose étrange, moi le détective,
me voici déjà sur les lieux mêmes où il
doit être perpétré" ; il veut se mêler
"incognito" à la foule des invités alors que
son accoutrement est extrêmement voyant ("grands
carreaux", "casquette assortie genre anglais").
●
Le
langage : certains jeux de mots sont drôles
et prennent sens ("homme de confiance et de méfiance").
Mais la plupart du temps, le langage dérape vers le non
sens. Il utilise des tautologies
("les raisons de ma présence ici sont mystérieuses
autant que... mystérieuses") ; des redondances
("Je n'en dis pas plus. Je me tais. Motus.") ; des
jeux de
mots sans queue ni tête ("Baron de Z... Zède
comme Zèbre, comme Zéphyr...").
2. Une scène parodique
● Le
personnage est une caricature qui se nourrit de plusieurs personnages
de fiction. Il porte le costume du détective anglais Sherlock
Holmes créé par Conan Doyle : il
parle d'ailleurs de sa ressemblance avec "le célèbre
policier anglais Smith". Il œuvre dans un univers clos, le
château du Baron de Z, comme Hercule
Poirot, le héros d'Agatha Christie. Surtout, il
s'inspire des Dupont-Dupond,
les deux policiers jumeaux créés par Hergé dans
Tintin :
il en porte le nom, il parle comme eux ("motus", "chut"
qui rappellent le "motus et bouche cousue" que répètent
les deux personnages de la bande dessinée), il est comme eux
ridicule ("il rit bêtement", ou la didascalie finale
"sur la pointe des pieds, un doigt sur les lèvres")
et semble pour toutes ces raisons peu efficace.
●
Le monologue parodie
aussi les expositions au théâtre censées
exposer l'action, les personnages, le lieu et le temps. Ici, tout est
outré,
exagéré pour le plus grand plaisir du
public.
Conclusion
Le texte est drôle et insolite : il rompt avec les monologues habituels, il trouve son inspiration dans les romans policiers ou les bandes dessinées.
C'est ce qui en fait un texte résolument moderne : il n'a qu'une vingtaine d'années, il est surtout très accessible à un public, même novice en matière de théâtre.
III - LES FAUSSES PISTES
● Il
ne fallait pas pour la première question s'en tenir à
la seule présentation du personnage par lui-même (son
identité), sous peine de n'avoir rien à dire.
●
Il ne fallait pas chercher d'autres registres que le
comique sous peine de contresens.