Le sujet 2009 - Bac 1ère ES - Français - Commentaire littéraire |
Avis du professeur :
Le sujet porte sur un extrait d'une pièce de Molière : un dialogue qui confronte différentes réactions du public au théâtre. Le sujet est assez difficile car le texte est long. |
(16
points)
Vous commenterez le texte de Molière (texte A).
Texte A : Molière, La Critique de L'Ecole des femmes
La Critique de L'Ecole des femmes met en scène un débat entre des personnages adversaires et partisans de la pièce L'Ecole des femmes, "quatre jours après" la première représentation. Quand Dorante entre en scène, la discussion est en cours.
SCÈNE
V
DORANTE, LE MARQUIS, CLIMENE,
ELISE, URANIE.
DORANTE
Ne
bougez, de grâce, et n'interrompez point votre discours. Vous
êtes là sur une
matière
qui, depuis quatre jours, fait presque l'entretien de toutes les
maisons de
Paris, et jamais on n'a
rien vu de si plaisant que la diversité des jugements qui se
font là-dessus. Car enfin
j'ai ouï condamner cette comédie à certaines gens,
par les
5 mêmes choses que j'ai vu d'autres
estimer le plus.
URANIE
Voilà
Monsieur le Marquis qui en dit force mal.
LE
MARQUIS
Il est vrai, je la trouve
détestable ; morbleu ! détestable du dernier détestable
; ce
qu'on appelle détestable.
DORANTE
Et
moi, mon cher Marquis, je trouve le jugement détestable.
LE
MARQUIS
10 Quoi ! Chevalier, est-ce que tu prétends
soutenir cette pièce ?
DORANTE
Oui,
je prétends la soutenir.
LE
MARQUIS
Parbleu ! je la garantis
détestable.
DORANTE
La
caution n'est pas bourgeoise(1). Mais, Marquis, par quelle
raison, de grâce, cette
comédie
est-elle ce que tu dis ?
LE
MARQUIS
15 Pourquoi elle est détestable ?
DORANTE
Oui.
LE
MARQUIS
Elle est détestable,
parce qu'elle est détestable.
DORANTE
Après
cela, il n'y a plus rien à dire : voilà son procès
fait. Mais encore instruis-nous,
et
nous dis les défauts qui y sont.
LE
MARQUIS
20 Que sais-je, moi ? je ne me suis pas
seulement donné la peine de l'écouter. Mais
enfin
je sais bien que je n'ai jamais rien vu de si méchant(2),
Dieu me damne ; et
Dorilas, contre
qui(3) j'étais, a été de mon avis.
DORANTE
L'autorité
est belle, et te voilà bien appuyé.
LE
MARQUIS
Il ne faut que voir les
continuels éclats de rire que le parterre(4) y fait
: je ne veux point
25 d'autre chose pour témoigner
qu'elle ne vaut rien.
DORANTE
Tu
es donc, Marquis, de ces Messieurs du bel air(5), qui ne
veulent pas que le parterre
ait du
sens commun, et qui seraient fâchés d'avoir ri avec lui,
fût-ce de la meilleure
chose
du monde ? Je vis l'autre jour sur le théâtre(6)
un de nos amis, qui se rendit
ridicule
par là. Il écouta toute la pièce avec un sérieux
le plus sombre du monde ; et
30 tout ce qui égayait
les autres ridait son front. A tous les éclats de rire, il
haussait les
épaules, et
regardait le parterre en pitié ; et quelquefois aussi le
regardant avec
dépit, il lui
disait tout haut : "Ris donc, parterre, ris donc !"Ce fut
une seconde
comédie, que le
chagrin(7) de notre ami. Il la donna en galant homme à
toute
l'assemblée(8),
et chacun demeura d'accord qu'on ne pouvait pas mieux jouer qu'il
fit.
35 Apprends, Marquis, je te prie, et les autres
aussi, que le bon sens n'a point de place
déterminée
à la comédie ; que la différence du demi-louis
d'or et de la pièce de
quinze
sols(9) ne fait rien du tout au bon goût ; que,
debout et assis, on peut donner un
mauvais
jugement ; et qu'enfin, à le prendre en général,
je me fierais assez à
l'approbation
du parterre, par la raison qu'entre ceux qui le composent il y en a
40 plusieurs qui sont capables de juger d'une pièce
selon les règles, et que les autres
en
jugent par la bonne façon d'en juger, qui est de se laisser
prendre aux choses, et
de n'avoir
ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni
délicatesse ridicule.
LE
MARQUIS
Te voilà donc,
Chevalier, le défenseur du parterre ? Parbleu ! je m'en
réjouis, et je ne
manquerai
pas de l'avertir que tu es de ses amis. Hai ! hai ! hai ! hai ! hai !
hai !
DORANTE
45 Ris
tant que tu voudras. Je suis pour le bon sens, et ne saurais souffrir
les ébullitions
de cerveau
de nos marquis de Mascarille(10). J'enrage de voir de ces
gens qui se
traduisent en
ridicules, malgré leur qualité ; de ces gens qui
décident toujours et
parient
hardiment de toutes choses, sans s'y connaître ; qui dans une
comédie se
récrieront
aux méchants endroits, et ne branleront pas à ceux qui
sont bons ; qui
50 voyant un tableau, ou écoutant
un concert de musique, blâment de même et louent
tout à contre-sens, prennent
par où ils peuvent les termes de l'art qu'ils attrapent, et
ne manquent jamais de les
estropier, et de les mettre hors de place. Eh, morbleu !
Messieurs, taisez-vous, quand Dieu
ne vous a pas donné la connaissance d'une
chose
; n'apprêtez point à rire à ceux qui vous
entendent parler, et songez qu'en ne
55 disant mot, on
croira peut-être que vous êtes d'habiles gens.
(1)
Remarque moqueuse : une garantie était dite "bourgeoise"
quand elle était fournie par une personne solvable. Le marquis
est un aristocrate.
(2)méchant :
mauvais, sans valeur.
(3)contre qui : à
côté de qui.
(4)le parterre : les
spectateurs, qui n'appartenaient pas à l'aristocratie, s'y
tenaient debout.
(5)le "bel air" :
les belles manières, celles des gens "de qualité".
Expression qui, après avoir été à la
mode, s'employait souvent ironiquement.
(6) Certains
spectateurs, appartenant à l'aristocratie, prenaient place sur
des chaises, de chaque côté de la scène.
(7)chagrin : mauvaise humeur.
(8) Remarque moqueuse
: en homme de bonne compagnie, puisqu'il s'offre lui-même en
spectacle au public.
(9) Fait allusion au prix payé
par les spectateurs assis aux places "sur le théâtre",
et par ceux qui sont debout, au parterre.
(10)
Mascarille : ce valet, dans Les Précieuses ridicules,
singeait les marquis, ainsi ridiculisés par Molière.
I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES
DU SUJET
Sujet |
Contraintes |
Vous commenterez le texte de Molière |
► Contrainte explicite : le commentaire d'un extrait de La Critique de l'Ecole des femmes de Molière. ► Contraintes implicites : il convient de manifester : – sa connaissance de l'objet d'étude : « le théâtre », mais aussi celle de l’objet d’étude « argumenter, convaincre, persuader ». – Son habileté à organiser ses observations et son analyse : l'extrait proposé est très long, il s'agit de trouver une problématique claire qui permette de structurer le devoir. |
Caractéristiques
générales du texte attendu :
● Il
s'agit de produire un commentaire composé : pas de
paraphrase ou de récit reprenant le texte.
● Ce
commentaire est écrit comme un essai :
arguments,
citations extraites du texte, observation des procédés
d'écriture, analyse.
●
Aucune
allusion aux autres textes du corpus n'est demandée ni
souhaitable. En conclusion, on peut toutefois proposer des
rapprochements.
La recherche de la problématique :
La longueur de l'extrait, inhabituelle en commentaire, exigeait une problématique claire. Comment la trouver et peu à peu la préciser ?
● La
question à 4 points constituait une aide précieuse :
s'interroger sur les
réactions
du public.
●
La définition du statut de l'extrait pouvait aussi aider :
Molière écrit une pièce qui parle… de la
réaction du public lors d'une autre de ses pièces,
comme l'indique le titre : La
Critique de l'Ecole des femmes.
Il
s'agit d'une
forme
de mise en abyme.
Il va donc de soi que Molière cherche à s'exprimer et à
se défendre à travers le personnage de Dorante. La
problématique serait donc :
quel
message veut transmettre Molière ?
●
La recherche du
registre
pouvait
aussi offrir une entrée intéressante : le passage
est
polémique
(Dorante
règle ses comptes avec le marquis et ceux de son espèce).
La problématique serait donc :
quelle
attitude critique Dorante ?
●
Enfin, comme toujours au théâtre, il faut penser à
la double énonciation : les personnages se parlent, sur
scène ; et à travers eux, le dramaturge s'adresse au
public. On retrouve donc la problématique déjà
suggérée, mais complétée :
quel
message veut transmettre Molière / comment le
transmet-il (en évoquant, entre autres choses, les réactions
du public) ?
II - PREMIER PLAN POSSIBLE
On pouvait suivre un plan linéaire, à la condition qu'à l'intérieur de chaque partie il organise tout de même la réflexion :
1. Le faux débat (l.1 à 25)
● Une forme
dialoguée qui met en scène la confrontation
●
Le point
de vue négatif du marquis :
répétitif et tranché.
●
L'absence
de justification du marquis malgré
les demandes pressantes de Dorante : le débat est donc caduc.
2. Le point de vue de Dorante (les deux longues tirades l. 26-55)
● Il commence
d'abord (1ère tirade) par une sorte de réquisitoire
contre le marquis qu'il tourne en ridicule :
la nature du passage est polémique.
●
Il poursuit (2ème tirade) par une
critique
plus générale du public de théâtre.
●
Implicitement, se dessine le
portrait du public idéal.
Ce plan linéaire peut donner lieu à de bonnes copies. Il présente cependant le danger de la paraphrase et peut négliger certains aspects de l'extrait : la mise en abyme, Dorante porte-parole de Molière.
LE PLAN PROPOSE
Le plan choisi, et qui nous a semblé le plus à même de rendre compte de la richesse du texte, suit aussi par moments la linéarité du passage, mais il explore d'autres pistes. Nous avons noté entre parenthèses les problématiques vues plus haut auxquelles renvoient les parties proposées. Ce plan consiste :
1. A examiner
le fonctionnement
du passage : une mise en abyme qui
appelle l'identification
du spectateur à Dorante en ridiculisant le marquis (le statut
du texte).
2. A développer ce que Dorante reproche
au marquis ou à ceux de son espèce (aspect polémique
du passage).
3. A retrouver, dans le discours de Dorante,
la
voix de Molière s'adressant à
ses contemporains (double énonciation).
III - LES PISTES DE REPONSES
PREMIERE PARTIE : le statut du texte : un stratagème astucieux
1. une double mise en abyme :
● Des
spectateurs parlent, "quatre jours après", d'une
pièce qui vient d'être représentée :
"vous êtes là sur une matière qui, depuis
quatre jours, fait presque l'entretien de toutes les maisons de
Paris". Il s'agit donc de la rumeur
qui entoure la représentation d'une nouvelle pièce.
Le public peut donc s'identifier puisqu'en sortant de la
représentation, il aura sans doute la même réaction.
●
Or, la pièce en question est L'Ecole des
femmes de Molière en personne. La mise en abyme est
donc particulièrement sensible pour le public
contemporain de Molière. Le texte
rend en effet compte du débat qu'a suscité la pièce
à sa sortie : ses défenseurs (Dorante), ses détracteurs
(le marquis). Les effets de stichomythies l.5 à 18 accentuent
la confrontation. Les enjeux du débat sont habilement rappelés
dès le début de la scène : l. 4-5.
2. Molière fait habilement en sorte que l'on s'identifie…au défenseur de la pièce.
● En
ridiculisant
le marquis : ses répliques sont
répétitives :
"je la trouve détestable (…) du dernier détestable
; ce qu'on appelle détestable" ; huit fois l'adjectif
"détestable" dans ses répliques. Il est
incapable de justifier, se contentant de répliques
courtes et se réfugiant dans la
tautologie :
"elle est détestable parce qu'elle est détestable".
Il va même jusqu'à avouer implicitement sa bêtise,
avouant qu'il n'a rien écouté de la pièce (l.
20). Il juge donc de quelque chose qu'il ne connaît pas. Du
coup, comme
souvent dans les comédies, lorsque nous rions d'un personnage,
nous ne pouvons nous identifier à lui.
●
En revanche nous
pouvons nous identifier à Dorante. Il
est plus mesuré,
puisqu'il appelle d'abord le marquis au dialogue par une question,
"par quelle raison (…) cette comédie est-elle ce
que tu dis ?" ou un impératif "instruis-nous,
et nous dis les défauts qui y sont". Il est donc prêt
à débattre. Il est, lui, capable
d'argumenter : ses deux longues tirades en
témoignent. Son ton passionné est susceptible de nous
persuader,
en particulier dans la dernière tirade, qui multiplie les
procédés oratoires : anaphore de "qui",
antithèses ("méchants endroits","bons"
/"blâment","louent"), rythme ternaire dans
la dernière phrase.
Il est donc celui qui parle le mieux et s'avère le plus
convaincant.
Transition
● Le public
est en quelque sorte piégé : nous sommes séduits
par Dorante et trouvons le marquis ridicule.
●
Examinons à présent précisément
les reproches adressés par Dorante au marquis.
DEUXIEME PARTIE : les reproches adressés au marquis
1. Un jugement a priori
Le marquis est
incapable
de justifier son rejet car il n'a pas écouté
la pièce (l. 20). Les seuls arguments qu'il avance sont qu'il
a réussi à ranger un de ses amis, Dorilas, de son côté,
et que le parterre a ri (l. 24).
● Par son ironie,
Dorante appuie cette incapacité du marquis à se
justifier : il recourt à l'antiphrase,"l'autorité
est belle", pour répliquer à l'argument de
Dorilas. Il va ensuite, dans sa longue tirade, reprendre le 2ème
argument, en utilisant à nouveau l'ironie comme l'explique la
note : "de ces Messieurs du bel air".
Sur quoi repose ce jugement tout fait ?
2. Il repose sur un principe simple : le mépris aristocratique pour les bourgeois et le peuple.
● Le
peuple et les bourgeois ont aimé : c'est donc une raison
suffisante pour ne pas aimer. Ce
raisonnement apparaît clairement l. 26-28. Il réapparaît
à travers l'anecdote de l'ami l. 28-34 : "à tous
les éclats de rire, il haussait les épaules et
regardait le parterre en pitié". L'ami est tourné
en ridicule ("on ne pouvait pas mieux jouer qu'il fit" fait
ironiquement de lui un pantin, un comédien malgré lui)
comme le marquis dans la scène.
● Implicitement,
c'est toute
une organisation sociale que Dorante critique ici.
3. L'inaptitude au bon sens
Dorante signale "les
ébullitions de cerveau de nos marquis de Mascarille",
périphrase ironique pour désigner les
discours creux et prétentieux des aristocrates qui se croient
intellectuellement supérieur.
●
La dernière tirade, en multipliant les antithèses (déjà
citées) énumère les
contresens dont sont capables les
spectateurs de la même espèce que le marquis : dans une
comédie, "ils se récrieront aux méchants
endroits, et ne branleront pas à ceux qui sont bons".
Leur inaptitude à juger s'étend à d'autres
domaines que le théâtre : notamment la musique (l. 50).
Ils ne sont capables que de contresens : "ils louent tout à
contresens", ils se contentent "d'estropier" les
œuvres ou de "les mettre hors de place".
Transition
Grâce au stratagème mis en place par Molière, on comprend que Dorante est son porte-parole. Son discours prend alors une autre dimension.
TROISIEME PARTIE : La voix de molière
1. la critique des censeurs
● Évidemment
Molière
règle ses comptes avec ses propres détracteurs
: l'allusion à une autre de ses pièces, Les
Précieuses ridicules, avec l'évocation du
personnage de Mascarille, révèle que c'est bien de lui
qu'il s'agit.
●
La critique porte ainsi sur ceux qui "décident
toujours et parlent hardiment de toutes choses sans s'y connaître".
Ce
sont ceux qui, hélas, décident du succès d'une
pièce. Leur pouvoir est immense et
Molière a souvent fait les frais de leur méchanceté.
Il évoque d'ailleurs la censure dont il a été
souvent victime : "estropier"
les textes signifie supprimer des scènes.
2. Le public idéal
On devine que Molière écrit et joue pour un autre public :
● Son
rang social importe peu : "la
différence du demi-louis d'or et de la pièce de quinze
sols ne fait rien du tout au bon goût". Autrement dit, peu
importe le prix payé et la place assigné dans le
théâtre et la société.
●
Une
prédilection pour le public populaire,
plus à même de juger avec bon sens : "je me fierais
assez volontiers à l'approbation du parterre".
●
Molière, travers Dorante, donne donc un
code de lecture. "La bonne façon
de juger" est de "se laisser prendre aux choses, et de
n'avoir ni prétention aveugle, ni complaisance affectée,
ni délicatesse ridicule" : il oppose ici une
réaction spontanée, reposant sur l'émotion, et
les a priori négatifs incapables de voir ("aveugle"),
d'être spontané ("affectée") et de
naturel ("ridicules").
Conclusion
L'intérêt du texte est multiple :
● Il
est historique
puisqu'il rend compte des réactions du public au XVIIe siècle
et de la difficulté de Molière à être
compris par le public aristocratique.
●
Il est aussi comique
car la scène prête à rire.
●
Il est enfin argumentatif. En opposant deux réactions
face à une pièce, Molière
nous invite aussi à nous interroger : ne sommes-nous pas, nous
aussi, dans nos jugements esthétiques, victimes d'a priori ?
Le texte dépasse ainsi largement le théâtre et le
siècle de Molière.
IV - LES FAUSSES PISTES
-
Pas de fausses pistes à noter mais une grande difficulté
: le texte est long.