Le sujet 2008 - Bac Hôtellerie - Philosophie - Dissertation |
Avis du professeur :
Le sujet porte sur la notion de bonheur mais dans une
perspective un peu surprenante. |
Est-ce à la loi de décider de mon bonheur ?
I - L'analyse du sujet et de ses difficultés
Le sujet met en relation deux notions du
programme : la loi et le bonheur. La difficulté de la question, mais aussi
sa richesse, tient au concept très général de
loi : de quelle loi s'agit-il ? La loi politique ou
juridique, la loi morale, la loi de la nature ? Le sujet se prête donc a de
multiples entrées et perspectives.
On désigne communément par bonheur un état de
satisfaction pleine et durable chez un individu.
Au sens politique et juridique, la loi est une
règle obligatoire établie par une autorité souveraine et régissant les rapports
des hommes au sein d'une même communauté (par exemple, les lois de
propriété...)
Au sens moral, elle constitue un principe obligatoire de conduite pour une
personne (par exemple, le principe de sincérité).
Au sens scientifique, elle indique un rapport nécessaire ou constant entre des
phénomènes naturels (par exemple, la loi de la chute des corps).
Une décision est ce qui résulte d'un choix et donne ainsi un contenu au vouloir
et à l'action.
II - la problematique
L'expression "mon bonheur" indique déjà les contours du problème : la loi est, par définition, générale. Est-il nécessaire, possible ou légitime qu'elle décide du bonheur individuel ? Encore une fois, il est difficile de dégager une problématique unique pour un tel sujet, même si la question politique de l'exigence d'un bonheur collectif semble en être la dimension principale.
III - Pistes de réflexion et de développement
● "le bonheur est une idée neuve en Europe" affirmait Saint-Just au moment de la Révolution française. Le citoyen aurait droit au bonheur et ce serait à l'Etat de satisfaire et de réaliser effectivement ce bonheur collectif par un système de lois et un ensemble de décisions. L'idée est intéressante si elle affirme simplement que l'Etat doit réaliser les conditions du bonheur de chacun en satisfaisant au moins ce que John Rawls nomme les "besoins sociaux de base" (avec la difficulté de trouver une mesure commune des besoins), mais elle devient inquiétante, voire dangereuse, si on entend par là un droit de l'Etat à imposer de l'extérieur aux individus un idéal de bonheur commun. La loi déciderait alors de mon bonheur aux dépens de ma liberté. Or, le bonheur n'est-il pas avant tout une affaire privée en rapport avec la singularité de chaque être ?
● On peut retenir cependant de cette
première réflexion qu'il n'y a pas de bonheur sans une satisfaction minimum des
besoins nécessaires. Epicure a bien compris que le bonheur passe par la
satisfaction des désirs naturels et nécessaires. En ce sens, la nature donne la
mesure du bonheur puisqu'elle est la loi même du plaisir dans la modération.
Mais la loi naturelle ne décide rien au sens strict, et le bonheur repose tout entier, dans
la morale d'Epicure, sur le libre arbitre et la raison vigilante de l'individu.
Plus généralement les lois de la nature dessinent des conditions objectives
plus ou moins propices au bonheur, mais l'individu reste maître de ses
jugements et de ses décisions. Même dans le stoïcisme, qui insiste pourtant sur
l'existence d'une nécessité universelle se manifestant dans des lois
inflexibles de la nature, le bonheur consiste pour l'individu à garder un état
de satisfaction intérieure lié au mérite d'avoir jugé et décidé au mieux, même
dans les circonstances les plus défavorables.
Ainsi, les lois de la nature, du droit ou du politique dessinent peut-être des
conditions objectives plus ou moins favorables au bonheur individuel, mais n'en
décident pas, tant le bonheur est une affaire d'intériorité personnelle.
Pourtant, Freud dans Malaise dans la culture, montre l'importance de
l'éducation dans la possibilité ultérieure pour l'individu d'être heureux. Si
on entend par loi l'ensemble des contraintes, des règles implicites, des normes
de comportement véhiculés par les moeurs, coutumes, croyances, valeurs d'une
civilisation et intériorisé par l'individu sous la contrainte de l'éducation,
alors il faut bien reconnaître, selon l'auteur, l'importance décisive de la loi
pour le bonheur et l'équilibre psychique de l'individu en termes d'économie
libidinale.
● De manière plus générale, il y a
peut-être un conflit profond entre la morale et l'aspiration au bonheur
personnel. Dans la philosophie morale de Kant, la loi morale commande à chaque
individu d'être vertueux plutôt que d'être heureux. Elle décide de mon bonheur
dans la mesure où elle le subordonne à mon devoir. C'est d'ailleurs à la seule
condition d'obéir à la loi morale en lui que l'homme paradoxalement est libre
et se rend, sinon heureux, tout au moins digne de l'être.