Le sujet 2006 - Bac S - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique |
Avis du professeur :
Sujet sur le mensonge et la confiance indispensable à la vie
en communauté. |
Expliquer le texte suivant :
En s'écartant, même sans le vouloir, de la vérité, on contribue beaucoup à diminuer la confiance que peut inspirer la parole humaine, et cette confiance est le fondement principal de notre bien-être social actuel ; disons même qu'il ne peut rien y avoir qui entrave davantage les progrès de la civilisation, de la vertu, de toutes les choses dont le bonheur humain dépend pour la plus large part, que l'insuffisante solidité d'une telle confiance. C'est pourquoi, nous le sentons bien, la violation, en vue d'un avantage présent, d'une règle dont l'intérêt est tellement supérieur n'est pas une solution ; c'est pourquoi celui qui, pour sa commodité personnelle ou celle d'autres individus, accomplit, sans y être forcé, un acte capable d'influer sur la confiance réciproque que les hommes peuvent accorder à leur parole, les privant ainsi du bien que représente l'accroissement de cette confiance, et leur infligeant le mal que représente son affaiblissement, se comporte comme l'un de leurs pires ennemis. Cependant c'est un fait reconnu par tous les moralistes que cette règle même aussi sacrée qu'elle soit, peut comporter des exceptions : ainsi -et c'est la principale- dans le cas où, pour préserver quelqu'un (et surtout un autre que soi-même) d'un grand malheur immérité, il faudrait dissimuler un fait (par exemple une information à un malfaiteur ou de mauvaises nouvelles à une personne dangereusement malade) et qu'on ne pût le faire qu'en niant le fait. Mais pour que l'exception ne soit pas élargie plus qu'il n'en est besoin et affaiblisse le moins possible la confiance en matière de véracité, il faut savoir la reconnaître et, si possible, en marquer Ies limites.
Mill, L'Utilitarisme.
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise.
Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension
précise du texte, du problème dont il est question.
I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU TEXTE
Ce texte ne pose pas de problème de compréhension. Mais il
convoque de nombreuses notions du programme : vérité,
politique, société, morale, devoir, bonheur. Il y a donc un important travail d'explication
des notions à fournir, en convoquant différents domaines du programme.
Prenez garde de ne pas vous concentrer uniquement sur la notion de vérité. Le
texte concerne plutôt le devoir de vérité, c'est-à-dire la morale.
II - L'IDEE PRINCIPALE DU TEXTE
Le texte affirme un principe universel : il faut dire la vérité. Cette règle est justifiée par la
nécessité d'instaurer la confiance entre les
hommes.
Il vous faudra bien montrer le problème soulevé par cette thèse apparemment
simple : la vérité est la règle, mais si elle est justifiée, c'est qu'elle
n'est pas la valeur suprême, qui est, selon Mill, le bien-être social.
Le devoir de vérité n'est donc pas absolu comme le pensait Kant (Sur un
Prétendu Droit de Mentir). On peut mentir si cela contribue au bonheur
humain. Mais alors comment distinguer le bon du mauvais mensonge ?
III - LES NOTIONS-CLES DU TEXTE
● Vérité : Ne vous lancez pas dans des développements sur la vérité théorique, opposée à l'erreur et à l'illusion. Ici, vérité s'oppose à mensonge (cacher ou déformer un fait dans l'intention de priver autrui d'une information). Il s'agit donc de vérité factuelle dans sa dimension morale de rapport à autrui.
● Société : "Bien-être social", "progrès de la civilisation" renvoient à cette notion. Comment faire coexister une multiplicité d'individus ? Comment instaurer une cohésion sociale ? Les oppositions "avantage présent"/long terme, "commodités générales"/intérêt général, "mal"/"bien" renvoient à cette nécessité d'unité de cohésion, voire de bonheur social.
●
Politique : "confiance",
"parole humaine", "bien-être social", "progrès de la civilisation",
"vertu" y renvoient. Le but de Mill n'est pas d'instaurer l'ordre et
la paix sociale par la force, mais de parvenir au bonheur par le verbe et par la
"confiance réciproque".
Pas d'ordre imposé d'en haut donc. Mais un lien qui se tisse entre et par les
individus, par la parole.
Cette dialectique individu/société induit celle, relevant de la logique, qui
distingue le couple règle/exception. La parole doit être réglée (se référer à
des règles reconnues par tous) mais souple (en situation, proférée par des
individus pris dans un contexte).
IV - LA STRUCTURE DU TEXTE
● De "En s'écartant" à "une telle confiance", première partie : thèse du texte. Mill énonce le devoir de vérité en vue du bien-être social.
● De "c'est pourquoi" à "pires ennemis", conséquence de la thèse : rechercher uniquement son intérêt personnel revient à violer cette règle qui pèse sur nous, aussitôt que nous vivons en société, faire exception à la règle est donc mauvais socialement.
● De
"Cependant" à "marquer les limites", problème des
exceptions légitimes à la règle.
Mill s'appuie sur l'autorité des moralistes pour dire que le mensonge n'est pas nécessairement mauvais si l'intention
qui anime le "menteur" est liée à l'intérêt d'autrui, non de soi. Cet
usage du mensonge doit cependant être réglé, limité.
V - LES PISTES DE DEVELOPPEMENT
● Le devoir de vérité est-il absolu comme l'affirme Kant (rigorisme moral) ou relatif, lié au bien-être social ? (utilitarisme de Mill)
● Qu'est-ce qui fonde la
cohésion sociale, la force ou la parole ?
Comment instaurer une cohésion sociale ? Ce débat traverse la philosophie
politique. Selon Platon, seule la parole vraie peut
fonder la société, tandis que selon Machiavel,
c'est la force.
● Le mensonge, la
fiction, les mythes peuvent-ils être fondateurs pour une société, comme le
pensait Nietzsche ?
D'où un problème fondamental : quels sont les rapports entre politique et
morale ? La politique est-elle une esthétique, une création de valeurs fédérant
tout un peuple (avec ses risques d'excès, voire de totalitarisme) ou doit-elle
être une morale, respectueuse de règles universelles reconnues par tous (avec
un risque d'uniformité, de grisaille impersonnelle) ?