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Annales gratuites Bac ES : Dangers de la vérité scientifique

Le sujet  2010 - Bac ES - Philosophie - Dissertation Imprimer le sujet
Avis du professeur :
Le sujet portait sur les dangers de la vérité scientifique. Il fallait donc bien évidemment mettre en rapport la science à la fois avec la morale et la liberté d'un côté, et de l'autre avec la technique qui en est l'application.

Le sujet n'avait rien d'évident. La science fait peur aux candidats et ils ne sont pas à l'aise avec elle. Tout cela laisse penser que ce sujet aura séduit peu de monde, sauf peut-être les amateurs de généralités écologiques, à leurs risques et périls.
LE SUJET

Une vérité scientifique peut-elle être dangereuse ?



LE CORRIGÉ

Titre I - L’analyse du sujet

Ce sujet de dissertation suppose une élaboration précise de ce que l’on peut appeler une « vérité scientifique ». En effet, la vérité est la notion principale du sujet et elle fait partie du programme de philosophie. Nous pouvons dire que ce sujet repose bien sur la maîtrise de cette notion qui est centrale dans le chapitre « la Raison et le Réel », mais qui, plus encore, est centrale en philosophie et dans l’histoire de la philosophie.

Qu’est-ce donc que la vérité ? C’est une propriété du logos, en grec : la raison ; ici entendons « tout ce que produit la raison humaine », c’est-à-dire le discours, la science. La vérité n’est donc pas la réalité, mais une propriété du discours scientifique établi par les hommes, et ce discours est vrai lorsqu’il correspond à la réalité. La vérité est ici spécifiée pour éviter au candidat de s’égarer : le sujet porte sur la vérité scientifique exclusivement, c’est-à-dire tout ce qui est établi par la science, tout ce qui est prouvé, tout ce qui est certain. Il n’est donc pas question d’envisager qu’elle puisse être fausse. Cette précision est nécessaire, car nous lisons souvent chez les élèves une remise en cause de ce que l’on appelle « la vérité scientifique » pour la raison que la science s’étant trompée une fois, elle peut se tromper toujours. La question des erreurs scientifiques ne doit pas être envisagée immédiatement puisqu’ici l’enjeu de la question est de savoir ce que l’homme fait de la vérité scientifique.

En effet, l’autre terme important de ce sujet est « dangereuse » : une vérité scientifique peut-elle être dangereuse ? Voilà le terme qui oriente la question posée : est un danger quelque chose qui nuit voire qui détruit, mais quoi ? Principalement l’homme et son environnement. La question doit amener le candidat à une réflexion générale sur l’usage ou l’impact de certaines vérités scientifiques, c’est-à-dire les conséquences possibles d’une connaissance sur la vie. C’est se demander si la théorie peut avoir des conséquences pratiques néfastes, si ce que l’on sait peut nous nuire, à nous les hommes ou à la nature. Ainsi est introduite dans le sujet une dimension morale, pouvant permettre au candidat de mobiliser ses connaissances sur le chapitre « la Morale » incluant les notions de « Liberté », de « bonheur », de « devoir ». En effet, la question invite le candidat à se demander si la science peut produire des vérités qui seraient, en fait, mauvaises pour l’homme, or elles ne peuvent être mauvaises que parce qu’elles sont aux mains des hommes. Non seulement ce sont eux qui les produisent mais en plus ce sont eux qui en font quelque chose. C’est donc bien leur liberté de l’homme et sa conscience morale qui sont en jeu : les hommes font-ils toujours bon usage de ce qu’ils savent ?

Ainsi, la difficulté principale du sujet et qui peut ouvrir sur une problématique est de ne pas prendre abstraitement « la vérité scientifique » comme une donnée qui s’imposerait aux hommes, mais comme le fruit d’un travail humain, qui, concrètement, dépend entièrement des hommes dans ce qu’elle peut faire. Si elle peut être dangereuse, ce n’est pas en elle-même, mais parce que l’homme en fait quelque chose de dangereux. Cette possibilité qui doit être interrogée par le candidat ne dépend donc pas de la vérité scientifique (qui est pourtant le sujet grammatical de la question) mais de l’homme. Tel est l’implicite du sujet.

Une dernière remarque : la science, c’est toute connaissance établie avec méthode sur un objet spécifique, qu’il s’agisse d’une science purement théorique comme les mathématiques, d’une science expérimentale comme la science physique ou la biologie, ou encore d’une science humaine comme l’histoire (bien que la vérité du discours historique soit plus contestable). Mais, s’il ne faut rien écarter, il semble judicieux de privilégier ici les sciences expérimentales qui connaissent des applications pratiques claires, notamment dans le domaine de la technique. Telle pouvait être la dernière notion du programme de philosophie en jeu dans ce sujet.



Titre II – La problématique

Il apparaît donc clairement qu’un problème est posé à l’homme : s’il produit des connaissances vraies, et si, au départ, il recherche la vérité pour ce que cela peut lui apporter de bien, ne peut-il pas aussi faire un mauvais usage de ce qu’il découvre ? Une vérité scientifique ne peut-elle pas être dangereuse ?

Ainsi, au départ, la science et la vérité sont recherchées par l’homme soit pour le seul plaisir de connaître le monde qui l’entoure, soit à des fins pratiques pour améliorer ses conditions de vie ou sa maîtrise de la nature. Au départ, la vérité est un bien recherché par l’homme parce qu’elle lui apporte quelque chose de bien : plaisir, satisfaction intellectuelle ou matérielle, amélioration et progrès technique. Or cette bonne chose qu’est la vérité pourrait être quelque chose de mal en représentant un danger pour l’homme. Pourquoi ? Parce que celui-là même qui la produit en ferait possiblement mauvais usage.

Une facilité qui devait être évitée : prendre comme une évidence les potentialités dangereuses de la science et de la vérité scientifique. C’est peut-être une évidence au XXIème siècle à l’heure de la prolifération nucléaire, d’une remise en cause profonde de notre gestion environnementale et des désastres financiers reposant sur une abstraction grandissante des cours boursiers, devenant plus mathématiques que correspondant à une réalité économique…mais… tout cela est fort récent et n’efface pas les 21, 22, 23 siècles de recherche scientifique et de recherche de la vérité où nous étions loin de ces dangers-là. Donc : tenir à distance l’actualité pour construire sa problématique.



Titre III – la boite a outils

Quelques pistes permettant d’organiser une réflexion progressive, argumentée et illustrée par des exemples.

La thèse selon laquelle « une vérité scientifique ne peut constituer un danger parce qu’elle apporte à l’homme quelque chose qu’il recherche et qui l’aide » peut être illustrée par la démarche de tous les philosophes antiques qui étaient à la fois des savants et des sages, c’est-à-dire des hommes recherchant dans une même quête le vrai et le bien, c’est-à-dire le savoir et le bonheur. Platon ou Aristote sont de grands philosophes de l’Antiquité grecque, à l’origine et au fondement même de la philosophie occidentale, qui illustrent parfaitement cette quête d’une vérité scientifique comme la quête d’un bien. Pour ces philosophes, la vérité scientifique ne peut être dangereuse parce que ceux qui la découvrent sont animés par une quête du bien et du bonheur. C’est celui qui est ignorant qui va faire quelque chose de mal et agir de telle sorte que la vérité devienne un danger, mais comment un ignorant peut-il faire mauvais usage de la vérité puisqu’il ne la connaît pas ? !

Nous pourrions montrer les limites d’une telle thèse en abordant la possibilité que les hommes s’emparent de la vérité scientifique comme d’une arme. On pense souvent à cela dans la vie quotidienne : que la vérité ne doit pas être révélée à n’importe qui parce qu’elle peut se retourner contre nous. Il faut se garder de s’engouffrer dans cette réflexion sur la vie quotidienne, mais ce qu’elle a de vrai c’est que l’homme peut toujours faire mauvais usage de ce qu’il sait, qu’il s’agisse de la vérité de tous les jours ou d’une vérité scientifique. La différence est qu’une vérité scientifique a un plus grand pouvoir, l’impact pratique de cette connaissance théorique qu’est la vérité scientifique est immense. C’est ce qu’on a vu avec la découverte du nucléaire, à partir des découvertes d’Einstein. Aujourd’hui, la vérité scientifique découverte par Einstein concernant la matière a rendu possible une application éminemment dangereuse : la bombe atomique. Mais ce qui est bien un danger pour l’humanité ce n’est pas la vérité scientifique en elle-même, c’est-à-dire la connaissance des propriétés de la matière, mais l’usage que l’on a fait de cette connaissance. Aujourd’hui le danger est redoublé par la prolifération nucléaire : quelques pays possédant l’arme nucléaire, ce monopole leur procure une puissance qui pousse d’autres pays à rechercher pour eux-mêmes une arme comparable.

Une référence philosophique classique peut permettre d’aborder cette ambivalence : Descartes qui faisait de l’homme « un maître et possesseur de la nature ». Si l’homme peut savoir comment fonctionne la nature, il agrandit son pouvoir sur elle jusqu’à la dominer plutôt qu’être dominé par elle.

Nous pouvions penser encore à Galilée et à sa découverte, aujourd’hui incontestable, du phénomène gravitationnel. On sait aussi que Galilée a soutenu la thèse de Copernic selon laquelle c’est la terre qui tourne autour du soleil. L’héliocentrisme est une théorie scientifique aujourd’hui parfaitement reconnue, mais au tournant du XVIème et du XVIIème siècles elle était considérée comme une erreur ou plus exactement comme une doctrine pouvant remettre en cause bien trop de dogmes pour être reconnue comme vraie. En ce sens, cette vérité scientifique pouvait être dangereuse, non dans ses conséquences ou applications techniques, mais parce qu’elle bouleversait toutes les croyances et représentations d’une époque qui reposait sur la foi religieuse et ses dogmes.



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