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Annales gratuites Bac L : Désir et satisfaction

Le sujet  2009 - Bac L - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique Imprimer le sujet
Avis du professeur :
Le texte de Schopenhauer porte sur le rapport entre douleur, désir et satisfaction.
Le sujet peut parfois paraître classique mais la pensée de Schopenhauer est très originale et les candidats devront lire et expliquer le texte avec précision.
LE SUJET


Expliquez le texte suivant :

II n'y a pas de satisfaction qui d'elle-même et comme de son propre mouvement vienne à nous ; il faut qu'elle soit la satisfaction d'un désir. Le désir, en effet, la privation, est la condition préliminaire de toute jouissance. Or avec la satisfaction cesse le désir et par conséquent la jouissance aussi. Donc la satisfaction, le contentement ne sauraient être qu'une délivrance à l'égard d'une douleur, d'un besoin ; sous ce nom, il ne faut pas entendre en effet seulement la souffrance effective, visible, mais toute espèce de désir qui, par son importunité, trouble notre repos, et même cet ennui qui tue, qui nous fait de l'existence un fardeau. Or c'est une entreprise difficile d'obtenir, de conquérir un bien quelconque ; pas d'objet qui ne soit séparé de nous par des difficultés, des travaux sans fin ; sur la route, à chaque pas, surgissent des obstacles. Et la conquête une fois faite, l'objet atteint, qu'a-t-on gagné ? Rien assurément, que de s'être délivré de quelque souffrance, de quelque désir, d'être revenu à l'état où l'on se trouvait avant l'apparition de ce désir. Le fait immédiat pour nous, c'est le besoin tout seul c'est-à-dire la douleur. Pour la satisfaction et la jouissance, nous ne pouvons les connaître qu'indirectement ; il nous faut faire appel au souvenir de la souffrance, de la privation passée, qu'elles ont chassées tout d'abord. Voilà pourquoi les biens, les avantages qui sont actuellement en notre possession, nous n'en avons pas une vraie conscience, nous ne les apprécions pas ; il nous semble qu'il n'en pouvait être autrement ; et, en effet, tout le bonheur qu'ils nous donnent, c'est d'écarter de nous certaines souffrances. II faut les perdre pour en sentir le prix ; le manque, la privation, la douleur, voilà la chose positive, et qui sans intermédiaire s'offre à nous.

Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation

La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

LE CORRIGÉ


I – la PRESENTATION DU TEXTE

Le texte de Schopenhauer qui traite du désir ne présente pas de difficultés majeures à la première lecture. Il exige toutefois d'être très attentif au mouvement de l'argumentation qui construit une définition propre des termes de "désir", de "douleur" ainsi que de "satisfaction".

Il faut donc impérativement éviter de plaquer sur le texte le sens ordinaire ou commun de ces termes. Il est aussi très important de mettre en évidence la progression du texte qui construit des liens entre les différentes notions.

II - L'IDEE PRINCIPALE DU TEXTE

Il s'agit donc pour Schopenhauer de définir le contentement à partir d'une donnée première qui caractérise l'existence humaine, le désir.
Le contentement n'est qu'une suspension toujours provisoire de la douleur.
Cette définition négative du contentement peut expliquer que Schopenhauer ne recourt pas à la notion de bonheur (une seule référence dans le texte), qui renvoie à un état durable et à une satisfaction effective et complète.

Le problème posé par ce texte est donc celui de l'accès à la satisfaction et de ce que l'homme peut en attendre : si l'homme est par essence voué au désir, c'est à dire au manque, n'est-il pas condamné à une perpétuelle insatisfaction ?
● L'enjeu de ce texte profondément pessimiste est de montrer qu'étant donné la nature du désir qui est de se reproduire indéfiniment, il est illusoire de vouloir être heureux. Il s'agit pour Schopenhauer de proposer une définition négative ou minimale du contentement.

III - LES NOTIONS ET LES CONCEpTS-CLES DU TEXTE

Il est essentiel de bien montrer comment les définitions s'enchaînent dans le texte ainsi que les liens qu'elles ont entre elles.

La satisfaction et le contentement : les deux termes sont synonymes et désignent selon Schopenhauer la suspension d'un désir ou d'une douleur.
On remarque que Schopenhauer assimile la satisfaction du désir à la jouissance, terme qui est plutôt associé à la volupté, à un plaisir d'ordre sensuel.

En effet, Schopenhauer établit une identité entre la douleur et le désir puisqu'il définit celui-ci négativement, comme un manque, une privation qui suscite chez l'homme un désagrément ou même de l'ennui.

On pouvait ici noter que Schopenhauer utilise deux termes, la douleur et la souffrance, pour désigner cet état de trouble ou d'insatisfaction. Alors que la douleur est physique, la souffrance est plutôt morale, elle renvoie ainsi au "souvenir" d'un état de manque physique ou de trouble, de peine morale.
Schopenhauer montre donc la nature
ambivalente du contentement, de la satisfaction qui est à la fois suspension d'une douleur ou d'une souffrance et cessation de la jouissance associée à ce désir. Il fallait être attentif à la troisième phrase du texte "Or avec la satisfaction cesse le désir et par conséquent la jouissance aussi" qui seule pouvait poser un véritable problème de compréhension : Schopenhauer souligne ici que le désir est privation et en même temps plaisir de ce manque.

Si le désir est comme il le dit "condition préliminaire de toute jouissance", alors sitôt comblé et supprimé, il disparaît et avec lui la jouissance dont il est la condition : lorsque la condition cesse d'exister, elle fait aussi cesser l'existence de ce qu'elle conditionne.
On voit aussi qu'avec ce texte, Schopenhauer dépasse l'approche commune qui oppose le contentement à la douleur, le plaisir au manque. Il montre, au contraire, qu'il faut bien plutôt les penser en termes de relation.

IV - LA STRUCTURE DU TEXTE

On peut dégager trois moments dans le texte, qui est construit comme un syllogisme sous la forme d'une double affirmation de laquelle Schopenhauer déduit une conclusion.

Première affirmation
Depuis "Il n'y a pas de satisfaction" jusqu'à "fardeau".
La satisfaction ou le contentement n'est que ce qui met un terme au désir, c'est-à-dire à un manque que Schopenhauer caractérise soit comme douleur, soit comme besoin. Il n'y a donc pas de positivité du contentement puisqu'il ne se définit que comme la cessation d'un manque, du désir qui semble être notre condition. L'homme est en un sens condamné à une existence toujours tourmentée par la quête d'un plaisir voué à renaître, ou par l'ennui, c'est-à-dire l'absence de désir ou par la satisfaction trop aisée des désirs.

Deuxième affirmation
Depuis "Or c'est une entreprise difficile d'obtenir" jusqu'à "tout d'abord" :
En effet, Schopenhauer explique que la satisfaction des désirs n'est pas donnée mais s'obtient au prix d'efforts qui doivent permettre de dépasser les nombreux obstacles qui s'opposent à sa quête. En outre, il s'avère qu'une fois ce but atteint, nous sommes voués à voir d'autres désirs ressurgir. Ainsi notre condition première nous condamne-t-elle aux affres de la privation. Le contentement ne s'éprouve finalement que dans la remémoration de ce manque, par le contraste que l'état provisoire de satisfaction offre en regard de celui plus douloureux du manque.

Conclusion
Depuis "Voilà pourquoi" jusqu'à "s'offre à nous" :
Le bonheur n'est donc jamais que la suspension provisoire de la souffrance. Il n'a aucune positivité, il n'est comme dit Schopenhauer "rien que de négatif". Seule la souffrance, la douleur sont positives c'est-à-dire réelles, effectives en tant qu'elles constituent le fondement de notre condition humaine.

V – QUELQUES PISTES DE DEVELOPPEMENT DE L’INTERET PHILOSOPHIQUE

L'intérêt du texte de Schopenhauer tient à l'analyse qu'il fait de la logique du désir : si nos peines proviennent souvent de ce que nos désirs ne sont pas satisfaits, il faut aussi constater que la satisfaction des désirs est à l'origine de nouveaux besoins.

On pourrait montrer, en écho à cette perspective, que l'analyse de Platon dans le Gorgias éclaire d'une autre façon l'ambivalence du désir : semblable au tonneau percé des Danaïdes, toujours plein, toujours vide, le désir est impossible à combler. Faut-il pour autant conclure que nous devons renoncer à tout espoir d'accéder au bonheur ?

On pourrait en contrepoint faire appel aux analyses d'Aristote qui montre dans l'Ethique à Nicomaque qu'il est en notre pouvoir d'atteindre le bonheur, ou à Epicure dont la Lettre à Ménécée qui explique comment l'on peut maîtriser ses désirs.


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