Le sujet 2008 - Bac ES - Philosophie - Dissertation |
Avis du professeur :
Un sujet sur le désir, ça motive toujours. |
Peut-on désirer sans souffrir ?
I – PRESENTATION Du sujet
● C'est un sujet classique qui ne présente pas de difficultés de compréhension. Il suppose toutefois une certaine maîtrise de la notion de désir, des différentes approches qu'en proposent les philosophes afin que le traitement du sujet ne se limite pas à des lieux communs.
II - ANALYSE DU SUJET ET DE SES DIFFICULTES
● Il est indispensable de
proposer une analyse précise de la notion de désir.
Désirer, c'est rechercher quelque chose que l'on n'a pas. Le désir est donc par
définition manque, privation.
On comprend ainsi le sens de la question : si le désir est manque, alors
il est source de souffrance. Quand je désire, je ressens souvent du mal-être,
de la peine de ne pas posséder l'objet de mon désir : je souffre au sens
où je pâtis, je subis ce désir, je n'en suis pas maître et je souffre au sens où le manque de cet
"objet" que je désire suscite en moi un sentiment physique ou
intellectuel de manque.
Mais le désir est aussi recherche de quelque
chose, tension vers un but qu'il se fixe. Il
n'est donc pas seulement de l'ordre de ce que l'on subit de la passion mais il
est aussi impulsion, source d'actions qui peuvent non seulement transformer le
monde mais aussi celui qui désire. Un être sans désir, pleinement satisfait,
serait en un sens un être sans projet.
Il est donc important de prendre acte de l'ambivalence
du désir : à la fois privation et engagement dans l'action, il ne peut
être condamné ou valorisé de façon unilatérale.
Toute la difficulté du sujet tient dans l'analyse du rapport qui existe entre
le désir et la souffrance. Tout désir implique-t-il nécessairement de la
souffrance ? A quelles conditions le désir peut-il être envisagé comme
dépourvu de souffrance ?
Il est utile de préciser la notion de désir par rapport à d'autres notions
comme le besoin, l'appétit
ou la volonté.
On distingue souvent le désir du besoin ou de l'appétit en ce qu'il est
accompagné de conscience.
Alors que l'appétit est une inclination qui porte à satisfaire un besoin dont
on n'a pas toujours conscience, le désir quant à lui est accompagné de
conscience. De plus, le désir ne saurait être circonscrit à la sphère des
nécessités vitales : j'ai besoin de manger mais je désire un gâteau. Le
désir relève souvent de l'imagination. Il est ce que je m'imagine comme bon (et
ne l'est pas nécessairement, l'objet de mon désir peut aussi être nuisible,
engendrer plus de désagréments que de bien-être comme dans le cas d'une
consommation excessive d'alcool).
Le désir se distingue aussi de la volonté dans
la mesure où il est, comme on l'a vu, ce que je subis, ce qui échappe à ma
maîtrise : il m'envahit sans que je puisse le contrôler et ne semble pas
relever d'un choix.
Il y a dans le désir quelque chose d'involontaire : il m'affecte et
m'éprouve, comme une contrainte que je subis.
III - LA PROBLEMATIQUE du sujet
On a compris que le désir comporte une part de souffrance.
C'est ce constat qui est présupposé par le sujet et qui explique la question.
Une fois qu'on a analysé et expliqué les rapports entre le désir et la souffrance,
il reste à examiner s'il est possible
d'envisager un désir qui ne soit pas porteur de souffrance.
Ce qui suppose :
1. qu'on examine s'il est possible d'exercer un contrôle sur ses désirs de
façon à ce qu'ils ne soient plus seulement subis ;
2. qu'on examine si on peut envisager le désir autrement que comme un manque, une privation.
Il est donc indispensable de ne pas s'en tenir à une approche unilatérale du désir
(en le condamnant ou en en proposant une approche exclusivement positive).
Il est intéressant de ne pas limiter la souffrance à la seule dimension de la
peine, du mal-être ou du désagrément et de montrer que la souffrance est source
de mal-être parce qu'elle nous met dans un état de passivité
(exemple des passions), de non maîtrise qui redouble notre peine.
Pour résumer :
On pourrait commencer par examiner le présupposé du sujet : le lien
désir-souffrance.
1. Le désir est-il par essence lié à la souffrance ? Pourquoi et
comment désirer conduit à souffrir ?
2. Sommes-nous alors condamnés à renoncer à nos désirs pour éviter de
souffrir ?
3. Mais si le désir est l'essence de l'homme, il faut examiner s'il est
possible d'exercer une maîtrise sur nos désirs et faire ainsi apparaître la
valeur et la positivité du désir.
IV - quelques PISTES DE REFLEXION
A/ L'analyse des liens entre le désir et la souffrance :
● Le désir comme manque : Platon
montre dans le Gorgias que le désir condamne l'homme à la souffrance.
Même satisfait, le désir renaît et empêche l'homme d'accéder à la sérénité. Il
est semblable à un tonneau percé, impossible à remplir. Tout désir est ainsi
pris dans le cycle infini de la réplétion / satisfaction et du
manque / souffrance.
● Plus radicalement, le désir n'existe peut-être que pour n'être pas
satisfait. Pascal montre ainsi que le joueur ne recherche pas tant le gain que
le sentiment du risque. Le désir nous met ainsi à l'épreuve de notre finitude,
de nos limites.
Le propre de désir tient à ce qu'il n'a pas d'objet qui lui soit par avance
assigné. Nos désirs sont sans limites, c'est pourquoi ils se donnent souvent
des objets inaccessibles ou des buts irréalisables.
B/ Le bon usage des désirs :
● Il est possible toutefois
d'envisager une maîtrise des désirs. Tous les désirs ne sont pas identiques
comme le montre Epicure dans la Lettre à Ménécée : sa
typologie permet d'établir des critères pour distinguer entre désirs nocifs et
désirs utiles. La sagesse consiste donc non pas à s'affranchir de tous nos
désirs mais à ne satisfaire que ceux qui peuvent nous procurer plus de
bien-être que de désagrément.
● On peut donc envisager un désir qui n'engendre pas nécessairement de la
souffrance parce qu'il n'est plus subi mais qu'il est orienté vers des objets ou des buts qui sont
sources de bien-être et qu'il nous révèle aussi notre pouvoir sur nos désirs.
C/ La positivité du désir :
On comprend ainsi qu'il peut y avoir dans le désir quelque
chose de positif. Désirer, c'est viser quelque chose que l'on n'a pas ;
c'est vouloir transformer l'ordre du monde.
Il y a ainsi dans le désir une force, une positivité. Spinoza montre dans le
livre III de l'Ethique que le désir est l'essence de l'homme. Le désir
est défini comme l'effort par lequel il persévère dans l'être, par lequel il
s'affirme.
Le désir dans cette perspective n'est plus seulement ce que je subis mais aussi
ce qui donne de la valeur aux choses et aux êtres.
Le désir précède son objet et le produit : c'est parce que je désire une
chose que je la juge bonne. Le désir orienté par la connaissance adéquate du
monde permet ainsi à tout homme d'augmenter sa puissance d'agir et d'accéder au
bonheur.
On peut ainsi envisager au terme de ce parcours, un désir délié de la
souffrance.