Le sujet 2006 - Bac L - Philosophie - Dissertation |
Avis du professeur :
Un sujet qui soulève la question morale des devoirs que nous
avons. Ces devoirs s'arrêtent-ils à la personne des autres ou s'étendent-ils
plus loin ? |
N'avons-nous de devoirs qu'envers autrui ?
I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU SUJET
Ce sujet, classique, est plus riche qu'il n'y paraît. Ne
vous contentez pas des deux notions évidentes, de devoir
et d'autrui. Partez de leur analyse, mais un
traitement complet du sujet convoquera également les notions de sujet, conscience, morale, voire religion, histoire, vérité, vivant, liberté, politique. Plus largement, il fait appel à vos réflexions
de citoyen, voire de citoyen du monde.
Un devoir est ce que le sujet humain se sent obligé
de faire, ce sans la réalisation de quoi le sujet se considérerait comme en
dessous de lui-même. Le devoir est donc lié à une réflexion du sujet sur
lui-même et son action, à sa volonté réfléchie par opposition au désir qui
serait une volonté irréfléchie, une tendance spontanée, une pulsion vers un
objet.
Autrui, c'est un alter ego, un autre moi-même. Il
est face à moi comme un objet, mais il se présente comme semblable à moi. De
plus, il est singulier, je peux l'aimer ou le haïr, le désirer, vouloir le
posséder. Il se distingue ainsi des autres en général, de la société.
II - LA PROBLEMATIQUE
La problématique découle de l'analyse. En effet, il semble
évident que nous avons des devoirs envers autrui : je peux le désirer comme un
objet quelconque, mais la réflexion me pousse à le considérer comme un autre
moi-même, comme un sujet libre et agissant, qui arrête mon désir aveugle et
m'ouvre les yeux sur le monde qui m'entoure.
Mais le sujet suggère que nous pourrions avoir des devoirs envers d'autres
"choses". Mais lesquelles ? Des objets théoriques : nous pensons aux
autres en général, à la société, à l'Etat, voire aux animaux. Mais sur quels
critères arrêter notre désir de possession si le regard d'autrui dans sa
singularité ne nous arrête pas ?
Des objets "pratiques", liés à notre réflexion sur notre action : la
liberté, la vérité supposent qu'on sacrifie certains de nos désirs pour être à
la hauteur d'un idéal. Mais cet idéal n'est-il pas notre
idéal ?
Si autrui se distingue de moi, n'ai-je pas aussi des devoirs envers moi même ?
III - LES PISTES DE REFLEXION
Vous auriez pu penser à :
● Le sujet humain se caractérise par une réflexion sur lui-même. Il est doué d'une subjectivité. "Je me pense", je suis donc à la fois sujet et objet de ma pensée. Le je et le moi introduisent l'altérité au coeur du sujet, et donc une série de questionnements : suis-je à la hauteur de ce que je veux être ? Le je réfléchissant doit sacrifier certains désirs du moi pour atteindre un idéal du moi. Les notions d'effort, de travail sur soi introduisent la dimension de l'effort au coeur du rapport sur soi.
● La notion de devoir est donc liée à un ordre idéal que l'on essaye d'atteindre. Cela explique le respect de l'Etat, d'une religion, des institutions. Le sujet, à la réflexion, pense qu'il ne peut se réaliser qu'en respectant un ordre idéal. Il faut ici bien distinguer devoir et contrainte. On est contraint par force, on se sent obligé par un devoir. C'est une loi que l'on se fixe à soi-même (auto-nomie, cf. Kant). Avoir un devoir envers autrui signifie que l'on a conscience qu'une vie humaine, pour autrui et pour soi, n'est possible que parmi d'autres hommes, parmi des semblables. Par le devoir, nous ne sommes plus "égocentriques", nous accédons au sens d'un monde qui nous dépasse et qui donne sens à notre existence.
● Par la notion de devoir, notre action s'inscrit au-delà de notre existence finie. D'où le respect du passé, de l'histoire : nous respectons ce dont nous provenons. Pourquoi respecter ce qui n'est plus ? Nous inscrivons notre action dans un temps large qui lui donne sens.
De même, respecter la nature, les
animaux, est-ce en faire des personnes ? Est-ce les assimiler à autrui,
réfléchissant et singulier ? N'est-ce pas plutôt penser aux générations
humaines futures, donc inscrire notre action dans le temps ?
Les devoirs rendus aux morts, le frein mis à notre désir de possession de la
nature procèdent donc du respect de soi.
IV - LES PISTES DE DEVELOPPEMENT
A - Respecter autrui, c'est se respecter soi-meme
Se sentir obligé envers autrui, c'est prendre conscience que notre existence ne prend sens qu'au milieu de semblables. Nous ne sommes rien sans autrui.
B - Les devoirs envers soi-meme se traduisent par des devoirs envers des institutions qui incarnent un ordre donnant sens a notre existence
Les devoirs envers l'Etat, la société, les institutions nous permettent d'inscrire notre action dans une réalité durable.
C - En derniere instance, les devoirs nous ramenent au respect d'autrui
Respect signifie étymologiquement regard. Le désir est aveugle. Le devoir consiste à arrêter le mouvement vertigineux pour considérer autrui. Autrui me regarde, je ne suis plus seul. Ma conscience me juge. Je ne suis plus d'un bloc.
Conclusion : "Je est un
autre" (Rimbaud). Le sens du devoir, voilà ce qui était en jeu dans ce
sujet : je ne suis humain que si j'accepte d'être regardé, et d'inscrire mon
action dans un champ collectif. Je ne suis plus innocent. Je suis conscience de
moi-même.