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Annales gratuites Bac L : Erreur Vérité Méthode

Le sujet  2004 - Bac L - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique Imprimer le sujet
LE SUJET

Expliquer le texte suivant :

L'origine de toutes les erreurs est, en un certain sens, la même que celle des erreurs de calcul, qui arrivent aux arithméticiens. En effet, il arrive souvent qu'à défaut d'attention ou de mémoire, nous faisons ce qu'il ne faut pas faire ou que nous omettons ce qu'il faut faire, ou bien que nous croyons avoir fait ce que nous n'avons pas fait, ou que nous avons fait ce que nous croyons n'avoir pas fait. Ainsi, il arrive que, dans le calcul (auquel correspond le raisonnement dans l'esprit), on oublie de poser certains signes nécessaires ou qu'on en mette qu'il ne faut pas ; qu'on néglige un des éléments du calcul en les rassemblant, ou qu'on opère contre la règle. Lorsque notre esprit est fatigué ou distrait, il ne fait pas suffisamment attention aux opérations qu'il est en train de faire, ou bien, par une erreur de mémoire, il accepte comme déjà prouvé ce qui s'est seulement profondément enraciné en nous par l'effet de répétitions fréquentes, ou d'un examen prolongé, ou d'un désir ardent. Le remède à nos erreurs est également le même que le remède aux erreurs de calcul : faire attention à la matière et à la forme(1), avancer lentement, répéter et varier l'opération, recourir à des vérifications et à des preuves, découper les raisonnements étendus, pour permettre à l'esprit de reprendre haleine, et vérifier chaque partie par des preuves particulières. Et puisque dans l'action on est quelquefois pressé, il est important de s'habituer à garder le sang-froid et la présence d'esprit, à l'exemple de ceux qui, même au milieu du bruit et sans calculer par écrit, savent exécuter des opérations sur des nombres très élevés. Ainsi l'esprit s'habitue à ne pas se laisser facilement distraire par les sensations externes ou par ses imaginations et ses affections propres, mais à rester maître de ce qu'il est en train de faire, à conserver sa faculté critique ou, comme on dit communément, son pouvoir de faire retour sur lui-même, de manière à pouvoir, tel un moniteur(2) étranger, se dire sans cesse à lui-même : vois ce que tu fais, pourquoi le fais-tu actuellement ?

Leibniz, Remarques sur Descartes

(1) "la matière et la forme" : le contenu et l'enchaînement du raisonnement.
(2) "moniteur" : quelqu'un qui avertit, conseille.

La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

LE CORRIGÉ

I - LES TERMES DU SUJET

L'erreur : un jugement faux, c'est-à-dire non conforme aux règles de la logique (incohérent), et/ou non conforme à l'objet jugé.
Ce texte se rapporte donc implicitement au thème de la vérité, aussi bien formelle que matérielle.

II - L'ANALYSE DU PROBLEME

Pourquoi nous trompons-nous ? Quelle est l'origine de nos erreurs ? Pourquoi nos raisonnements sont-ils parfois incohérents ou faux ?
Le problème est d'importance : car cerner l'origine de nos erreurs, c'est pouvoir y remédier et avancer ainsi plus sûrement dans le chemin vers la vérité.
Or l'origine de nos erreurs est, pour Leibniz (et c'est la thèse du texte), d'ordre psychologique ou, si l'on veut, morale : c'est le "défaut d'attention ou de mémoire" ; nous ne sommes pas assez réfléchis, pas assez consciencieux, et ainsi nous errons, nous tombons dans l'erreur (du latin "errare" : errer).
Ce n'est donc pas la raison elle-même qui est en cause, mais la manière dont nous en usons dans notre investigation du réel. On peut donc y remédier. Si sa raison n'est pas en cause, trouver la vérité est possible pour l'homme, grâce à une méthode rigoureuse.

III - UNE DEMARCHE POSSIBLE

L'argumentation du texte est basée sur une analogie : les erreurs de raisonnement chez les hommes ont la même origine que les erreurs de calcul chez les mathématiciens. Trouver l'origine des erreurs de calcul, c'est donc trouver l'origine de l'erreur en général. Toute la première partie du texte s'attache donc à cette analogie (ligne 1 à 10) tandis que la seconde partie en déduira le remède, aussi bien dans le domaine théorique de la connaissance (ligne 10 à 14) que dans celui pratique de l'action (ligne14 à fin).

L'arithmétique est faite d'un lexique (les nombres) et d'une syntaxe (les règles d'addition, soustraction, etc...). Calculer, c'est donc user de manière définie à l'avance des règles, de façon à convertir les nombres les uns par les autres pour arriver à un résultat immanquable. Si donc il y a erreur, c'est nécessairement par "défaut d'attention ou de mémoire", par "oubli" ou "distraction" de celui qui en use. Il fait des erreurs de lexique, (il "oublie certains signes") ou de syntaxe (il "opère contre la règle"). C'est pourquoi le remède réside finalement dans une plus grande réflexion (du latin re-flexio = faire retour sur soi). L'esprit doit être plus présent à soi dans chacune des opérations qu'il effectue, plus consciencieux dit-on à juste titre, afin d'éviter la distraction.

Ce texte s'inscrit donc dans cette tradition qui, avec Descartes, voit l'origine des erreurs, non dans un défaut de l'entendement humain mais dans une faute de la volonté (jugement par prévention ou par précipitation).
L'analogie entre les erreurs de jugement en général et les erreurs de calcul semble légitime : le jugement est en effet le résultat d'un enchaînement de propositions selon un lexique (les mots) et une syntaxe (la grammaire). Mais le texte laisse impensé le problème du rapport entre le langage usuel et le réel, problème que le mathématicien ne rencontre pas. Ce n'est pas un hasard si Leibniz avait le projet d'une langue philosophique universelle, qui serait comme une algèbre de la pensée.

IV - DES REFERENCES UTILES

  • Descartes, Discours de la méthode
  • Leibniz, Monadologie
  • Carnap, La construction logique du monde
  • V - LES FAUSSES PISTES

    Une paraphrase qui ne saisirait pas les enjeux implicites, en particulier l'importance de la méthode dans son rapport à la vérité.

    VI - LE POINT DE VUE DU CORRECTEUR

    Un texte clair et solidement argumenté, mais dont l'enjeu philosophique n'est pas d'emblée évident.

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