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Annales gratuites Bac S : Esprit et vérité

Le sujet  2005 - Bac S - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique Imprimer le sujet
LE SUJET


Expliquez le texte suivant :

Il est assez difficile de comprendre, comment il se peut faire que des gens qui ont de l'esprit, aiment mieux se servir de l'esprit des autres dans la recherche de la vérité, que de celui que Dieu leur a donné. Il y a sans doute infiniment plus de plaisir et plus d'honneur à se conduire par ses propres yeux, que par ceux des autres ; et un homme qui a de bons yeux ne s'avisa jamais de se les fermer, ou de se les arracher, dans l'espérance d'avoir un conducteur. Sapientis oculi in capite ejus, stultus in tenebris ambula(1). Pourquoi le fou marche-t-il dans les ténèbres ? C'est qu'il ne voit que par les yeux d'autrui, et que ne voir que de cette manière, à proprement parler, c'est ne rien voir. L'usage de l'esprit est à l'usage des yeux, ce que l'esprit est aux yeux ; et de même que l'esprit est infiniment au-dessus des yeux, l'usage de l'esprit est accompagné de satisfactions bien plus solides, et qui le contentent bien autrement que la lumière et les couleurs ne contentent la vue. Les hommes toutefois se servent toujours de leurs yeux pour se conduire, et ils ne se servent presque jamais de leur esprit pour découvrir la vérité.

Malebranche, De la Recherche de la Vérité

(1) "Les yeux du sage sont dans sa tête ; l'insensé marche dans les ténèbres."

La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
 

LE CORRIGÉ


I - LES TERMES DU SUJET

Esprit : l'esprit est distinct du corps. Il désigne une faculté qu'a l'homme de distinguer le vrai du faux et de reconnaître des idées vraies, des évidences. De même que les yeux permettent de voir la réalité empirique, de même l'esprit permet de "voir" le vrai (notion d'évidence, du latin videre, voir).

Recherche de la vérité : c'est une définition classique de la philosophie. Celle-ci, depuis Socrate au moins tente de dépasser les opinions, les "on-dit" et se définit par une quête de quelque chose d'universel et de permanent. Cette quête est personnelle, singulière : il s'agit d'une expérience de l'homme qui éprouve, met à l'épreuve les fruits de sa réflexion.

II - L'ANALYSE DU PROBLEME

La problématique du texte est formulée au moyen d'une analogie : pourquoi un homme veut-il voir de ses propres yeux pour croire à l'existence d'une réalité sensible alors qu'il se contente le plus souvent de suivre l'opinion d'autres hommes concernant la recherche spirituelle de la vérité ? Et pourtant, de même que l'homme a des yeux qui lui permettent de voir (vision = faculté du corps), de même il a un esprit qui lui permet de penser par lui-même (faculté de l'âme).
Ainsi ce texte exprime t-il un étonnement de l'auteur : les hommes ont la faculté de penser par eux-mêmes et pourtant ils ne l'exercent pas.

III - UNE DEMARCHE POSSIBLE

Le texte comprend deux parties, la deuxième analysant et conceptualisant la première. Les deux expriment l'étonnement que nous venons d'énoncer.
Dans une première partie ("Il est" [...] "ambula"), Malebranche exprime son jugement avec prudence ("il est assez difficile de comprendre", "sans doute") et en accord avec le sens commun (notions de plaisir, d'honneur, citation d'un adage latin). Dans une deuxième partie, l'auteur est plus analytique ("pourquoi ? "), plus radical ("le fou"), plus conceptuel enfin (il construit alors une analogie autour de la notion d'usage).
Une lecture critique du texte se devait de noter le statut singulier de cette analogie. Non justifiée mais accroissant l'étonnement commun, c'est une élaboration personnelle qui permet de dépasser le sens commun. C'est la thèse du texte.
Comment expliquer cette thèse ? Malebranche tient pour évident que "l'esprit est infiniment au-dessus des yeux" ! Comment peut-il comparer l'esprit aux organes de la vision ? N'en fait-il pas un organe (spirituel certes), donc une chose ? Ne chosifie-t-il pas l'esprit ? Notre lecture semble justifiée par le texte : [l'esprit] "que Dieu leur a donné". L'esprit n'est pas un souffle, c'est une chose que Dieu nous a donnée.
Ainsi, ce qui permet à Malebranche de passer d'une comparaison entre les yeux et l'esprit (première partie) à l'affirmation d'une supériorité de l'esprit sur les yeux (deuxième partie) est un présupposé théologique implicite qui commande en fait toute l'argumentation.

IV - DES REFERENCES UTILES

Descartes, Les Méditations Métaphysiques

Kant, Critique de la Raison Pure

V - LES FAUSSES PISTES

Le rapport entre les deux parties, analytique, pour classique qu'il soit en philosophie, devait être vu (il n'y a pas de progression argumentative à proprement parler).

VI - LE POINT DE VUE DU CORRECTEUR

Le texte est plus difficile qu'il n'en a l'air. Derrière la critique de l'opinion et l'exigence de penser par soi-même, se cachait un présupposé à mettre en évidence, et qui seul justifiait la thèse, paradoxale.


 

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