Le sujet 2009 - Bac ES - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique |
Avis du professeur :
Le texte de Locke porte sur l'universalité du sentiment de justice. Texte délicat à lire et à expliquer qui demande de la nuance et sans doute des références, notamment littéraires. |
Expliquez le
texte suivant :
Quant à savoir s'il existe le moindre principe moral qui fasse l'accord de tous, j'en appelle à toute personne un tant soit peu versée dans l'histoire de l'humanité, qui ait jeté un regard plus loin que le bout de son nez. Où trouve-t-on cette vérité pratique universellement acceptée sans doute ni problème aucun, comme devrait l'être une vérité innée ? La justice et le respect des contrats semblent faire l'accord du plus grand nombre ; c'est un principe qui, pense-t-on, pénètre jusque dans les repaires de brigands, et dans les bandes des plus grands malfaiteurs ; et ceux qui sont allés le plus loin dans l'abandon de leur humanité respectent la fidélité et la justice entre eux. Je reconnais que les hors-la-loi eux-mêmes les respectent entre eux ; mais ces règles ne sont pas respectées comme des lois de nature innées : elles sont appliquées comme des règles utiles dans leur communauté ; et on ne peut concevoir que celui qui agit correctement avec ses complices mais pille et assassine en même temps le premier honnête homme venu, embrasse la justice comme un principe pratique. La justice et la vérité sont les liens élémentaires de toute société : même les hors-la-loi et les voleurs, qui ont par ailleurs rompu avec le monde, doivent donc garder entre eux la fidélité et les règles de l'équité, sans quoi ils ne pourraient rester ensemble. Mais qui soutiendrait que ceux qui vivent de fraude et de rapine ont des principes innés de vérité et de justice, qu'ils acceptent et reconnaissent ?
John Locke, Essai sur l'entendement humain
La connaissance
de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit
que l'explication rende compte, par la compréhension précise
du texte, du problème dont il est question.
I – LA PRESENTATION DU TEXTE
Ce texte de Locke
renvoie à de nombreuses notions du programme : la morale,
la justice
et le droit,
la société,
principalement. Mais il fait aussi intervenir la notion de
vérité.
Par
ailleurs il fait appel à des repères précis du
programme : les distinctions universel/particulier,
pratique/théorique,
relatif/absolu
peuvent être utiles pour l'expliquer, ou encore l'opposition
principe/conséquence.
C'est
bien la difficulté de ce texte : il pose un problème
classique de la philosophie, mais d'une manière assez
complexe, qui fait appel à des connaissances précises.
Il exige donc une lecture particulièrement rigoureuse et
attentive.
II - L'IDEE PRINCIPALE DU TEXTE
Locke parle dans ce
texte de l'existence d'un principe moral universel, et pose la
question de savoir sur quoi reposerait un tel principe.
Il
s'oppose à l'idée d'un principe moral universel fondé
sur la nature
de l'homme (inné), et ramène finalement toute morale à
la nécessité dans laquelle sont les hommes de vivre en
société.
Ainsi toute société humaine,
pour exister, a besoin de fait que certains principes soient
respectés (respect des contrats, justice) et c'est le besoin
qui fonde la morale. C'est donc la société
et non la nature qui est le fondement de la définition du bien
et du juste.
III - LES NOTIONS ET LES CONCEPTS-CLES DU TEXTE
1. Expressions importantes à analyser :
● "[Un] principe moral qui fasse l'accord de tous". A mettre en relation avec "[une] vérité pratique universellement acceptée"
Le
principe moral désigne une
règle, une norme qui commande l'action morale. Un principe
désigne ce qui est premier : un fondement de la vérité.
Donc un principe moral est ce qui va fonder
l'action morale, la déterminer comme morale.
Qui
fasse l'accord de tous : Locke fait
intervenir un critère d'universalité mais aussi de
vérité
(la vérité doit faire l'accord de tous pour être
reconnue comme telle). Donc il s'agit de savoir ici si les hommes
peuvent être d'accord
(reconnaitre comme vrai) un principe moral (par lequel on distinguera
le bien du mal, le juste de l'injuste).
Cette analyse est
confirmée par l'expression suivante : la "vérité
pratique" renvoie au principe
moral.
● "Lois de la nature innées". "Règles utiles".
Il faut distinguer
les deux expressions : la loi de la nature innée renvoie
à l'idée d'un fondement naturel, inscrit
en chacun, du bien et du mal, du juste et de
l'injuste : idée que par
nature, les hommes pourraient savoir, ou
déterminer les principes de justice et de vérité.
Locke
oppose à cela l'idée que le respect des règles
est fondé seulement sur l'intérêt pratique d'une
communauté (utilité). Sans ces règles aucune
communauté ne pourrait exister (même un groupe de
mafieux doit respecter certaines règles, dont le respect d'un
contrat, ou d'une promesse pour subsister).
L'inné
est ce qui est inscrit par nature en chaque homme (versus acquis). Il
renvoie à l'opposition entre nature et société.
2. A noter la difficulté de l'exemple de Locke :
En effet l'exemple
de la communauté de brigands qui soutend l'argumentation est
un peu subtil car l'idée est examinée par Locke pour
être rejetée.
Il existe un sentiment naturel, ou une
idée universellement partagée du bien et du mal :
celle par exemple qui veut qu'on doit
respecter un contrat. Même les
brigands respectent les contrats entre eux. Mais
ils ne les respectent que par intérêt (règles
utiles) et non par respect d'une quelconque
loi morale. Car on voit bien qu'ils
enfreignent par ailleurs cette loi morale (fraude, rapine, pillage,
assassinat).
IV - LA STRUCTURE DU TEXTE
On peut distinguer quatre étapes, très équilibrées :
Depuis "Quant à savoir [...]" jusqu'à "[...] une vérité innée ?" : Locke pose le problème, et annonce sa thèse par une question rhétorique : peut-on trouver un principe moral universel ? (vérité innée).
Depuis "La justice et le respect [...]" jusqu'à "[...] et la justice entre eux" : Il évoque une réponse possible, mais qui repose sur un leurre : le juste et le respect des contrats seraient les principes moraux universellement reconnus, puisqu'ils sont respectés même chez les brigands.
Depuis "Je reconnais que les hors-la-loi [...]" jusqu'à "[...] comme un principe pratique" : Il distingue règle utile et principe pratique mettant ainsi en évidence que si les brigands respectent ces règles communes de justice, ce n'est pas par respect pour une loi morale universelle, puisqu'en dehors de leur communauté de brigands, ils se conduisent "mal".
Depuis "La justice et la vérité [...]" jusqu'à "[...] qu'ils acceptent et reconnaissent ?" : Il conclut par sa thèse : la justice et la vérité ne sont pas déterminées par la nature, ne sont pas présentes en l'homme de manière innée, mais seulement par les besoins de la vie en société.
V – QUELQUES PISTES DE DEVELOPPEMENT DE L’INTERET PHILOSOPHIQUE
Pour mettre le texte
en perspective et en discuter la thèse on peut soulever
quelques questions :
● Si
la morale et le droit dépendent de l'intérêt
d'une société, qu'en est-il d'un droit universel ?
Comment concevoir les rapports entre les peuples ?
● Si
la morale n'est pas fondée sur la nature de l'homme, peut-on
garantir son universalité ? Cela ne conduirait-il pas à
une complète relativité de la morale et de la justice ?
Références
utiles :
Kant :
idée d'une loi morale universelle fondée sur la raison
(faculté naturelle de l'homme) et déterminée
indépendamment de toute considération d'intérêt.
(La volonté bonne est désintéressée).
Les
Utilitaristes :
qui au contraire fondent la morale sur l'utile
(ce qui est bien est ce qui produit le plus de bonheur possible dans
une société). Stuart Mill, par exemple.
Pascal :
l'idée que le droit varie d'un pays à l'autre ("vérité
au-delà des Pyrénées, fausseté en
deçà").