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Annales gratuites Bac Hôtellerie : L'universalité de la raison

Le sujet  2004 - Bac Hôtellerie - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique Imprimer le sujet
LE SUJET

TEXTE :

Les enfants ne sont doués d'aucune raison avant d'avoir acquis l'usage de la parole ; mais on les appelle des créatures raisonnables à cause de la possibilité qui apparaît chez eux d'avoir l'usage de la raison dans l'avenir. Et la plupart des hommes, encore qu'ils aient assez d'usage du raisonnement pour faire quelques pas dans ce domaine (pour ce qui est, par exemple, de manier les nombres jusqu'à un certain point), n'en font guère d'usage dans la vie courante : dans celle-ci, en effet, ils se gouvernent, les uns mieux, les autres plus mal, selon la différence de leurs expériences, la promptitude de leur mémoire, et la façon dont ils sont inclinés vers des buts différents ; mais surtout selon leur bonne ou mauvaise fortune, et les uns d'après les erreurs des autres. Car pour ce qui est de la science, et de règles de conduite certaines, ils en sont éloignés au point de ne pas savoir ce que c'est.

Hobbes

QUESTIONS :

1) Dégagez la thèse du texte et la progression du raisonnement.

2) Expliquez :
a) "on les appelle des créatures raisonnables à cause de la possibilité qui apparaît chez eux d'avoir l'usage de la raison dans l'avenir" ;
b) "dans celle-ci [la vie courante], en effet, ils se gouvernent [...] surtout selon leur bonne ou mauvaise fortune, et les uns d'après les erreurs des autres."

3) Quels peuvent être les usages de la raison dans la vie courante ?

LE CORRIGÉ

I - Dégagez la thèse du texte et la progression du raisonnement.

Thèse :

"pour ce qui est de la science, et de règles de conduites certaines, [les hommes] en sont éloignés au point de ne pas savoir ce que c'est".
Hobbes reprend un thème traditionnel de la philosophie : le propre de l'homme est d'être raisonnable. Mais il insiste sur la distinction à opérer entre la faculté de raisonner et l'usage effectif de la raison. Ce n'est pas parce que l'on est capable de raisonner que l'on se sert de cette faculté dans les faits.

Progression du raisonnement :

Hobbes s'appuie sur deux exemples ("Les enfants", "la plupart des hommes"). Il tire des conclusions, affirmées comme des évidences, de ses observations. Pour finir, il livre en conclusion sa thèse censée expliquer ("car") ce qui précède.
"Les enfants [..] dans l'avenir" : Hobbes prend l'exemple des enfants : ils n'ont pas encore l'usage de la raison mais apparaît déjà la faculté ("possibilité") de raisonner. Le passage à l'usage de la raison se fait par la médiation de l'usage de la parole.
"Et la plupart [..] des autres" : Hobbes prend l'exemple de "la plupart des hommes" : ils peuvent faire usage de leur raison, puisqu'ils savent parler et pourtant ce n'est pas la raison qui règle leur corps et leur esprit. Hobbes énumère ensuite ce qui tient lieu de raisons dans la conduite et la pensée des hommes.
"Car pour ce qui [..] savoir ce que c'est " : Hobbes livre sa conclusion, expliquant l'étrange phénomène (ne pas se servir d'une faculté que l'on a) : c'est sa thèse, pessimiste. Les hommes sont tellement éloignés de toute certitude qu'ils n'ont plus même l'idée de la rechercher en raisonnant. Pour chercher, il faut une vague idée de ce que l'on cherche ! Or, cela fait défaut à la plupart des hommes. La thèse de Hobbes est abrupte et laconique : on peut s'interroger sur l'énigme de cet éloignement...

II - Expliquez :

a) "on les appelle des créatures raisonnables [...] dans l'avenir".

Les enfants désignés ici par Hobbes ne savent pas encore parler (cf. étymologie : in-fans, celui qui ne parle pas). Qu'est-ce qui distingue dès lors un nourrisson d'un animal ? Ni l'un ni l'autre n'ont l'usage de la parole donc, selon Hobbes, celui du raisonnement ! Hobbes affirme sans justification qu' "apparaît chez eux[...] l'usage de la raison dans l'avenir". On peut s'interroger : comment cette possibilité apparaît-elle ? On peut penser au regard du bébé qui témoigne d'une interrogation propre à mettre en mouvement la faculté de raisonner une fois l'usage de la parole acquis.
On peut penser encore à la tentative de préhension des objets : le bébé cherche à saisir les objets qui l'entourent. C'est peut-être le prélude à une compréhension future du monde comme objet de science (cf. en Allemand, begreifen signifie à la fois saisir, prendre et comprendre).
Nous avons ainsi élucidé suffisamment cette possibilité d'une faculté à venir.

b) "dans celle-ci [...] des autres".

On comprend que l'enfant, ne pouvant pas parler (limitation biologique), ne peut pas raisonner : pour raisonner, en effet, il faut mettre en forme ses pensées grâce au langage. Mais comment expliquer que des hommes adultes, des êtres parlants donc, puissent ne pas user de leur raison ?
Soyons attentifs au texte : Hobbes reconnaît un usage du raisonnement dans le maniement des nombres. Hobbes oppose donc l'arithmétique et la vie courante. Pour expliquer cette opposition, on peut songer à la vieille opposition platonicienne entre le sensible et l'intelligible : les hommes usent de leur raison dans les domaines abstraits où ils sont sans repères et sans passions (du moins la plupart des hommes). Mais s'agissant de la vie courante, ils sont aveuglés par leurs passions ("inclinés") et ils se reposent sur des impressions corporelles ("expériences", "mémoires"). Se réglant sur le corps, ils n'usent pas de leur esprit alors qu'ils le pourraient. Enfin l'usage de la raison suppose un effort de questionnement et de mise en forme, que n'ont pas l'énergie et le courage de fournir la plupart des hommes (par opposition à l'homme de réflexion). Hobbes met donc l'accent sur la passivité humaine : ils pourraient raisonner, mais ils sont ballottés au gré des évènements ("fortune"), leurs idées viennent de leurs expériences plus que d'un effort de réflexion. Ils en viennent à répéter les erreurs des autres plutôt qu'à penser par eux-mêmes : cela sonne comme une condamnation sans appel de Hobbes concernant la passivité humaine.

III - Quels peuvent être les usages de la raison dans la vie courante ?

Comment user de la raison dans des situations concrètes ?
Les hommes, empêtrés dans le sensible et leurs passions, sont éloignés de toute certitude. Ainsi le premier usage de la raison dans la vie courante doit être de lever son esprit des choses terrestres vers les idées (vieux thème platonicien) et de discipliner ses passions (thème stoïcien et cartésien). Il faut cultiver le désir de l'intelligible et le sens de la réflexion : il s'agit d'une éthique, présente à chaque instant de la vie quotidienne.
De plus, pour le savoir, il faut appuyer ses raisonnements non sur ce que l'on voit ou sur ce que l'on sent, mais sur des principes rationnels. La science expérimentale nous en fournit un bon exemple : une expérimentation n'est valide que si elle obéit à un protocole rationnel. Ce que l'on voit spontanément est souvent trompeur (cf. lever, coucher du soleil).
Enfin, la technique moderne nous montre que l'on peut agir sur la matière, non pas en répétant des procédés inventés par d'autres mais en inventant de nouveaux procédés rationnels, grâce au langage et au dessin : le plan de l'architecte en est un bon exemple.

IV - Les fausses pistes :

Il fallait bien distinguer faculté de raisonner et usage de la raison, ainsi que l'importance du langage dans le raisonnement.

V - Le point de vue du correcteur :

Texte difficile, qui fait appel à une solide culture (référence à Platon).

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