Le sujet 2008 - Bac ES - Philosophie - Dissertation |
Avis du professeur :
Ce sujet est très classique jusque dans sa formulation. C'est
quasiment une question de cours. |
Est-il plus facile de connaître autrui que de se connaître soi-même ?
I – Analyse du sujet et de ses difficultes
Si le sujet est d'apparence classique, il mêle néanmoins trois notions ou groupes de notions : la conscience, autrui, la connaissance, sans pouvoir être réduit à une seule d'entre elles. L'énoncé du sujet invite à une analyse comparative qui suppose une réponse argumentée, il faut éviter d'y répondre comme à une question de cours.
II - LA PROBLEMATIQUE
La formation du sujet met en parallèle deux objets de
connaissance possibles : autrui d'un côté, soi-même de l'autre.
A priori, autrui fait partie du monde extérieur, domaine de la connaissance scientifique, objective. La connaissance
de soi-même renvoie évidemment à autre chose : la conscience (et
l'inconscient). Si l'on peut se prendre soi-même comme objet d'étude ou de
connaissance, puis-je m'objectiver totalement, quels moyens ai-je pour le
faire ? La question inverse aurait pu être posée : est-il plus facile de
se connaître soi-même que de connaître autrui ? L'immédiateté, l'intimité
que nous entretenons avec nous-mêmes sembleraient faciliter la connaissance de
soi, alors qu'autrui (les autres humains) peut se dérober, se cacher, ou
simplement ne pas être disponible pour la connaissance. Au contraire, on peut
penser que l'idée que je me fais de moi-même est nécessairement faussée par mon
orgueil, mes passions, mon corps, alors que le point de vue extérieur que j'ai
sur autrui me permet de comprendre les autres mieux qu'ils ne se comprennent
eux-mêmes. La conscience de soi n'est pas
nécessairement connaissance de soi, mais la
connaissance d'autrui ne me donne pas accès au mystère de la connaissance des
autres.
III - LES PISTES DE REFLEXION
Le degré de facilité que le sujet invite à déterminer doit
être questionné : en passant d'autrui à moi-même, je ne passe pas purement du
monde extérieur à mon monde intérieur, comme si je passais de l'étude d'une
pierre à l'étude des causes de ma colère. Autrui est
un autre "moi-même", un sujet, mais qui se présente à moi comme objet.
Chez autrui, je ne vois que des effets physiques
(paroles, actes, gestes) qu'un robot pourrait tout aussi bien produire. Pour
vraiment connaître autrui, je dois supposer que ces effets ont pour cause une
conscience semblable à la mienne (choix, motivations, décisions, réflexion).
Mais ce raisonnement déductif (s'il m'a frappé, c'est qu'il avait une raison de
le faire) vaut aussi pour moi-même : je ne suis pas qu'une intériorité enfermée
en elle-même. Mes actes et mes paroles font que je suis moi aussi autrui pour une
autre conscience. Bien plus : ne comprenant pas toutes les raisons de
mes actes, la connaissance d'autrui m'aide à la connaissance de moi-même. Les
autres sont autant d'exemples de "moi-même" inconscients de tout ce
qui détermine leurs actes. La psychanalyse, dans l'étude des lapsus, des rêves et des actes manqués, montre à quel
point "je est un autre", selon le mot de Rimbaud. Freud se servait
indifféremment des rêves d'autrui et de ses propres rêves pour explorer l'âme
humaine : il pratiquait l'analyse des autres comme l'auto-analyse. La connaissance
de soi fait miroir à la connaissance d'autrui.
IV - LES PISTES DE DEVELOPPEMENT
On pourrait approfondir le sujet en se concentrant sur l'interaction humaine avec autrui.
Les autres n'ont jamais seulement une valeur scientifique, ils ont une dignité de personnes. Connaître une personne, c'est
d'abord la comprendre, et cette compréhension passe par l'empathie. Nous ne pouvons objectiver autrui, nous y
voyons toujours une part de nous-mêmes.
Un homme incapable d'émotions sera incapable de connaître autrui, car il sera
incapable de le reconnaître en tant que personne sensible, ayant ses propres
fins, manifestant une intentionnalité.
Il est certes plus facile d'objectiver autrui (d'être inhumain) que de
s'objectiver soi-même, mais notre devoir est de supposer et de respecter chez autrui la même part d'humanité
inconnaissable que nous constatons en nous-mêmes (*).
Les auteurs incontournables pour ce sujet sont Freud, Sartre (le thème de
chosification, l'instrumentalisation des autres), mais aussi Kant, sur le
respect et la différence entre chose et personne, et Hegel sur la
reconnaissance réciproque des consciences.
(*) Le respect d'autrui implique que l'on résiste à la fausse
facilité avec laquelle on peut réduire autrui à ses habitudes, ses réflexes, ses
manies.
Autrui veut être compris avant d'être connu, car la
connaissance pourrait ici signifier domination et
manipulation.