Le sujet 2006 - Bac Hôtellerie - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique |
Avis du professeur :
Le texte de Spinoza porte sur la liberté de penser. |
Puisque le libre jugement des hommes est extrêmement divers, que chacun pense
être seul à tout savoir et qu'il est impossible que tous donnent la même
opinion et parlent d'une seule bouche, ils ne pourraient vivre en paix si
l'individu n'avait renoncé à son droit d'agir suivant le seul décret de sa
pensée. C'est donc seulement au droit d'agir par son propre décret qu'il a
renoncé, non au droit de raisonner et de juger ; par suite nul à la vérité ne
peut, sans danger pour le droit du souverain(1), agir contre son décret, mais
il peut avec une entière liberté donner son opinion et juger et en conséquence
aussi parler, pourvu qu'il n'aille pas au-delà de la simple parole ou de
l'enseignement, et qu'il défende son opinion par la Raison seule, non par la ruse, la colère ou la haine, ni dans l'intention de changer quoi que
ce soit dans l'Etat de l'autorité de son propre décret.
Spinoza
(1) : souverain : autorité Individuelle ou collective à qui seule "il appartient de faire des lois" (selon Spinoza)
QUESTIONS :
1. Dégagez la thèse de l'auteur et précisez les étapes de son
raisonnement.
2. Expliquez :
a. "il peut avec une entière liberté donner son opinion et juger et
en conséquence aussi parler."
b. "ni dans l'intention de changer quoi que ce soit dans l'Etat de
l'autorité de son propre décret."
3. La liberté d'expression doit-elle être illimitée ?
I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU TEXTE
Le texte de Spinoza est en rapport avec les notions de droit, de liberté (au sens
politique du terme) et de raison.
Il ne présente pas de difficultés particulières pourvu que l'on suive
attentivement le fil du raisonnement et que l'on distingue clairement liberté de penser et liberté d'agir.
II - L'IDEE GENERALE ET L'ARGUMENTATION DU TEXTE
● L'idée principale peut se
formuler ainsi : l'entière liberté d'expression est un droit légitime, qui ne met en aucun cas en danger la paix civile, pourvu que
ce droit soit bien compris.
● Le texte met en jeu les notions de liberté, de droit (qui suppose implicitement celle de devoir), et d'Etat : il distingue la liberté de penser et de s'exprimer et la
liberté d'agir, la
première fondant un droit que l'Etat (la communauté humaine organisée politiquement par un système
de lois et sous une autorité souveraine) doit reconnaître à tous les individus.
● Le texte commence par un constat : la diversité des jugements et des opinions entre les
individus, diversité dont la source est la liberté de penser de chacun.
La conséquence est
que si tous les hommes agissaient selon leurs libres jugements respectifs, il y aurait
nécessairement des conflits multiples et incessants. Il faut donc que les
hommes, pour vivre en paix dans une communauté organisée, renoncent à leur
libre-arbitre (c'est-à-dire à leur "droit d'agir suivant le seul décret de
[leur] pensée") et obéissent aux lois communes en vigueur.
Mais ce devoir
d'obéissance dans ses actions ne signifie pas un renoncement à son droit de penser et de parler.
Dans l'Etat, la liberté d'agir doit être limitée, mais la liberté d'expression
doit être "entière". Bien plus, on pourrait dire : pour que la liberté d'expression soit "entière", il faut que la liberté d'action soit limitée.
Spinoza ajoute encore une dernière précaution : la libre expression de sa
pensée doit être raisonnable, argumentée, non violente et non passionnelle. En
effet, les discours de "ruse", de "colère" ou de
"haine" visent à séduire et à manipuler les hommes, on peut donc les
considérer comme des prémices d'action, qui mettent en danger l'autorité souveraine.
III - LES EXPLICATIONS
a. "Il peut avec une
entière liberté donner son opinion et juger et en conséquence aussi
parler" : Cette phrase vise à définir précisément la liberté de
penser dans un Etat, en la distinguant de la liberté d'agir. Si la liberté d'agir est limitée par l'obéissance aux lois, la liberté de penser est "entière" et inséparable de la liberté d'expression.
● Le terme "entier" est important :
cette liberté est une ou elle n'est pas, elle ne peut être fragmentée. Il n'y a
pas de domaine ou de sujet "tabous".
● "donner son opinion", c'est exprimer sa pensée aux autres en
donnant sens à une situation commune, c'est donc aussi "juger", c'est
pourquoi on ne peut penser librement sans s'exprimer librement
("parler").
b. "ni dans l'intention de changer quoi que ce soit dans l'Etat de l'autorité de son propre décret" : Cette phrase vise à indiquer la limite de la liberté d'expression : la liberté d'expression est "entière" mais limitée par le passage à l'acte ou même son "intention". Toute parole qui inciterait à la désobéissance effective des particuliers aux lois communes de l'Etat est à interdire et à condamner.
IV - LE DEVELOPPEMENT DE LA QUESTION : LA LIBERTE D'EXPRESSION DOIT-ELLE ETRE LIMITEE ?
● La
liberté d'expression doit être entière.
On peut remarquer d'abord que cette question ne rend pas précisément compte de
la thèse de l'auteur dans toutes ses nuances.
Pour Spinoza, la liberté d'expression doit être "entière" (elle peut
porter sur tous les sujets) mais ne doit jamais aller "au-delà de la
simple parole" raisonnable.
Ainsi, Spinoza condamne par avance tous les discours d'incitation à la haine,
au meurtre, à la désobéissance, à l'insurrection.
Les lois en effet, limitent notre liberté d'action individuelle, mais elles
sont la garantie d'une liberté commune. Tout individu qui, au nom de sa liberté
d'agir, enfreint la loi, met en danger cette liberté commune. L'Etat, qui n'est
rien d'autre que l'organisation raisonnable de cette liberté commune, doit donc
concilier l'entière liberté d'expression et la limitation de la liberté
d'action.
● Les
limites de la "raison"
L'auteur reconnaît implicitement que les limites
de cette entière liberté d'expression sont difficiles à cerner. Où finit la
parole, où commence l'acte ou même l'intention ?
C'est pourquoi il fait référence à la raison, comme faculté qui s'efforce de
penser au-delà des simples opinions subjectives et passionnelles.
En fait, il semble que la liberté d'expression soit nécessaire pour établir un
espace de discussion publique entre les hommes afin d'échanger ses opinions, voire
d'essayer d'accorder les différents points de vue.
Ainsi, c'est raisonnablement et pacifiquement que les individus doivent exercer
leur liberté d'expression.