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Annales gratuites Bac L : Langage et passion

Le sujet  2003 - Bac L - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique Imprimer le sujet
LE SUJET

Expliquer le texte suivant :

Les noms des choses qui ont la propriété de nous affecter, c'est-à-dire de celles qui nous procurent du plaisir ou du déplaisir, ont, dans la conversation courante des hommes, une signification changeante parce que tous les hommes ne sont pas affectés de la même façon par la même chose, ni le même homme à des moments différents. Etant donné en effet que tous les noms sont donnés pour signifier nos représentations, lorsque nous avons des représentations différentes des mêmes choses, nous ne pouvons pas facilement éviter de leur donner des noms différents. Car même si la nature de ce que nous nous représentons est la même, il reste que la diversité des façons que nous avons de la recueillir, diversité qui est fonction de la différence de constitution de nos corps et des préventions de notre pensée, donne à chaque chose une teinture de nos différentes passions. C'est pourquoi, lorsqu'ils raisonnent, les hommes doivent prendre garde aux mots, lesquels ont aussi, au delà de la signification de ce que nous imaginons leur être propre, une signification renvoyant à la nature, à la disposition et à l'intérêt de celui qui parle ; tels sont les noms des vertus et des vices : car un homme appelle sagesse ce qu'un autre appelle crainte ; et l'un appelle cruauté ce qu'un autre appelle justice ; l'un prodigalité ce qu'un autre appelle magnificence ; l'un gravité ce qu'un autre appelle stupidité, etc. Il en résulte que de tels noms ne peuvent jamais être les véritables fondements d'aucune espèce de raisonnement. Les métaphores et les figures du discours ne le peuvent pas davantage : mais elles sont moins dangereuses parce qu'elles professent leur caractère changeant, ce que ne font pas les autres noms.

Thomas Hobbes, Léviathan

La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

LE CORRIGÉ

I - LES TERMES DU SUJET

Quelques termes sont à éclaircir.

A - REPRESENTATION

Nous nous représentons des choses présentes. Il est ici question de notre expérience subjective du monde. Chaque individu a une manière différente de se représenter une chose. La représentation résulte donc à la fois de l'objet regardé et du sujet qui regarde.

B - AFFECTION

Le sens du mot est ici le sens courant : "quelque chose m'affecte" signifie "me procure du plaisir ou de la peine".
Le texte ne concerne pas toutes les représentations mais celles qui nous affectent moralement. C'est dans le domaine moral que le problème du langage se pose avec le plus d'acuité. Je peux en effet voir un visage de face ou de profil, j'en ai deux représentations différentes. Mais cela ne fait pas problème : il s'agit du même visage. En revanche, un homme peut considérer une action comme juste, un autre la jugera cruelle. Il ne s'agit pas de l'établissement des faits mais d'un jugement moral.

C - PASSIONS

Les passions désignent le vécu subjectif de l'Homme dans le monde. "Patior" en latin signifie subir une épreuve.
Alors qu'une émotion est une affection passagère (colère, surprise...), une passion est une affection durable. Elle "marque" un homme (L'amoureux, L'avare), elle le définit.

II - L'ANALYSE DU PROBLEME

Nous jugeons des vices et des vertus, du bien et du mal, en fonction de nos passions. Or, ces passions diffèrent d'un homme à un autre. Ce que l'un nomme vice, l'autre peut l'appeler vertu. Les noms ne signifient pas la même chose pour tout le monde. Il est donc dans le domaine moral impossible de se mettre vraiment d'accord sur le sens des mots, chacun y projette ses propres passions. Le langage, dont le but est de communiquer, de dialoguer, de "s'entendre" au sens fort du terme, est donc le lieu d'un perpétuel malentendu. Et cela, là où il serait urgent de s'entendre : la vie commune entre les hommes, la morale et la politique.
Comment donc l'Homme peut-il surmonter ce handicap originel du langage pour parvenir à dialoguer vraiment avec les autres hommes ?

III - UNE DEMARCHE POSSIBLE

A - LES ETAPES DE L'ARGUMENTATION

1) "Les noms [...] des moments différents"

C'est la thèse du texte. Les noms ont une signification différente selon les individus qui jugent en fonction de la manière dont ils sont affectés par les choses.

2) "Etant donné [...] passions"

Justification et approfondissement de la thèse.
- "Etant donné [...] noms différents" : Les noms ont pour origine notre représentation des choses. En d'autres termes, les choses n'ont pas un nom naturel, tout nom est une convention, une étiquette que nous posons artificiellement sur les choses.
- "Car même [...] différentes passions" : Le langage a pour origine nos passions. Nous nommons les choses en fonction de nous-même, non par fidélité aux choses elles-mêmes. Le plaisant et le déplaisant sont jugés tels en fonction de la "constitution de nos corps". Les vices et les vertus sont jugés en fonction "des préventions de notre pensée", c'est-à-dire de nos préjugés.

3) "C'est pourquoi, [...]" jusqu'à la fin du texte

Hobbes tire les conséquences pratiques de sa thèse. Il donne ainsi des éléments de réponse à la problématique que nous avons dégagée :
- Il ne faut pas faire confiance au langage. Le raisonnement est cette activité qui permet de déblayer les faux-sens, les contresens... Il n'y a pas de "mot de la fin", simplement une activité, le raisonnement critique, qui tente de lutter contre les mots marqués par les passions humaines.
- Il faut considérer les mots comme des figures de rhétorique, c'est-à-dire comme artificiels.

B - ETUDE CRITIQUE

Il convient de situer Hobbes dans une problématique générale du langage. Hobbes ici se montre résolument nominaliste.
Les noms ne sont que des noms, de simples étiquettes, ne révélant rien des choses elles-mêmes. Il s'oppose ainsi aux réalistes (cf. Platon) pour qui les noms révèlent la réalité de la chose. Certains poètes (ex : Mallarmé) cherchent à nommer les choses elles-mêmes pour en cerner l'essence.
L'apport de Hobbes est le suivant : si les noms ne révèlent pas les choses, ils révèlent cependant les passions humaines, à ce titre ils ne sont pas de simples étiquettes.

IV - DES REFERENCES UTILES

  • Platon, Le Cratyle
  • Mallarmé, Poésies
  • Ponge, Le parti pris des choses
  • V - LES FAUSSES PISTES

    S'enfermer dans une question de cours sur le langage. Bien voir l'enjeu moral et politique du texte.

    VI - LE POINT DE VUE DU CORRECTEUR

    Un texte clair qui demande une lecture rigoureuse, sans difficulté conceptuelle notable.

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