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Annales gratuites Bac L : Langage et pensée

Le sujet  2009 - Bac L - Philosophie - Dissertation Imprimer le sujet
Avis du professeur :

Le rapport de la pensée et du langage, un grand classique en philosophie !
Sujet classique mais les candidats seront jugés sur la précision et l'originalité de leurs connaissances.
LE SUJET


Le langage trahit-il la pensée ?


LE CORRIGÉ


I – L'ANALYSE DU SUJET

Un sujet classique sur le rapport entre langage et pensée, vous permettant des renvois à d'autres notions du programme (la vérité/l'art/la conscience/la perception/autrui/...) et la mobilisation de vos connaissances en linguistique et en littérature.

1.a. La notion au programme est le langage. Au sens large, elle désigne l'aptitude à constituer tout système articulé de signes permettant l'expression. On insistera dans ce sujet sur le langage des mots.
1.b. La première difficulté du sujet réside dans le sens du mot "pensée", qui n'est ni constant ni unique, et qui dépend en grande partie de la manière dont on conçoit le rapport de la pensée au langage ! Il fallait donc partir d'une définition très large, par exemple : l'ensemble des phénomènes produits par l'activité de l'esprit, et en travaillant le sens au sein même de la dissertation.

2. Le verbe "trahir" pose problème dans la mesure où au sens littéral il désigne l'action volontaire d'abandonner une personne ou une cause en cessant de lui être fidèle. Il faut donc ici l'entendre dans un sens métaphorique : le langage ne ferait qu'exprimer très infidèlement la pensée.

3. C'est d'ailleurs ce présupposé implicite que l'on vous demandait d'interroger : le langage n'est-il qu'un instrument grossier et insuffisant pour exprimer la pensée, qui par là même se perdrait en se livrant dans les mots ?

II - LA PROBLEMATIQUE

La pensée, au sens strict, est une activité spirituelle intérieure. Le langage est un système matériel extérieur de signes. On pense communément que la pensée, en s'extériorisant dans le langage, perd quelque chose de son essentielle richesse et profondeur ; le langage serait en effet trop superficiel, trop pauvre, pour exprimer la pensée. En "livrant" la pensée, en la dévoilant, il cesserait de lui être fidèle, il la "trahirait".
● Mais cette idée de "trahison" ne repose-t-elle pas sur une conception discutable du langage et de son rapport à la pensée ?
Faut-il voir dans le langage et la pensée deux notions de natures radicalement différentes ? Y a-t-il la pensée (indicible dans sa richesse) d'abord, et le langage (instrument secondaire et inadéquat) ensuite ? Le langage ne serait-il pas au contraire ce par quoi la pensée existe en s'apparaissant à elle-même ?
Le langage : "trahison" ou "révélation" de la pensée ?

III - LA BOITE A OUTILS

On pouvait prendre comme point de départ nos expériences communes et diverses de malentendus, ("je n'ai pas voulu dire cela", "les mots ont dépassé ma pensée", ...) ou d'insuffisances ("je ne sais pas comment exprimer ce que je ressens ...", "les mots me manquent...") pour relever l'inadéquation, voire l'infidélité possible du langage, d'autant plus que certains écrivains eux-mêmes en témoignent : "le sentiment que les mots m'entrainaient, trahissaient ma vraie pensée " (Roger-Martin du Gard). Le langage semble alors être un moyen insuffisant, grossier, infidèle pour exprimer la pensée, dont la richesse et la profondeur resteraient indicibles. La pensée se perdrait en se livrant, en s'abandonnant dans le langage.
On pense alors le langage et la pensée comme deux réalités de natures différentes. C'est l'analyse de Bergson : le langage spatialise ce qui est de l'ordre de la durée spirituelle. En se livrant dans le langage, la pensée se dénature. "Langage et pensée restent incommensurables" (Bergson).

Mais remarquons que toute critique du langage se fait par le langage lui-même, qui semble bien être le cercle duquel on ne peut pas sortir. D'ailleurs, même la pensée la plus intérieure est encore parole silencieuse adressée à soi-même. Si les mots nous manquent, est-ce par insuffisance du langage ou confusion de nos pensées ?

Il faut alors concevoir autrement le rapport entre langage et pensée. La pure activité interne de l'esprit ne devient véritablement pensée que par et dans le langage. Car c'est en se différenciant d'elle-même dans le système matériel de signes qu'elle devient pensée d'elle-même. C'est pourquoi Hegel critique l'idée selon laquelle la plus haute pensée serait la pensée ineffable ; l'ineffable, c'est au contraire la pensée obscure, l'émotion immédiate, l'ébranlement pathologique, bref ce qui n'est pas encore de la pensée claire à elle-même.

Le langage serait alors, selon l'expression de Merleau-Ponty, "le geste même de la pensée", ce par quoi la pensée se fait être en se révélant à elle-même.

Pourquoi alors cette impression persistante de trahison ? Plusieurs pistes de réflexion seraient à interroger.

Il y aurait une différence entre le langage commun, quotidien, utile socialement mais impersonnel et superficiel ; et le langage littéraire, poétique, ou artistique en général, qui n'est plus un simple outil de communication mais l'expression de notre "moi profond", pour reprendre le terme de Bergson. En communiquant utilement mais superficiellement dans la vie de tous les jours, nous aurions l'impression implicite et la frustration de "trahir" l'expression de notre individualité propre.
Ceci amène à nous interroger sur la difficile détermination des frontières entre
le sensible et l'intelligible, et les possibilités qu'offrent les différents langages artistiques.

Dans la même optique, le sujet pose implicitement le problème de l'existence d'une pensée inconsciente qui se trahirait elle-même dans le langage du lapsus, des actes manqués, et des rêves.


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