Le sujet 2009 - Bac S - Philosophie - Dissertation |
Avis du professeur :
Le sujet porte sur le désir et ses limites. Attention à ne pas en rester à des généralités, ce serait catastrophique. |
Est-il absurde
de désirer l'impossible ?
I – L'ANALYSE DU SUJET
● Un
sujet de facture classique. Le risque majeur est de substituer à
ce sujet qui interroge le sens ("est-il absurde") d'un
paradoxe (désirer l'impossible) un autre plus général
comme par exemple "pourquoi désire-t-on ?" ou "que
faut-il désirer ?"
Le sujet porte donc explicitement
sur une notion du programme et il fait aussi référence
à la série des repères conceptuels : contingent,
nécessaire, possible.
● Il
était utile d'indiquer d'abord le paradoxe qui est en jeu dans
la question.
Désirer l'impossible, c'est donner au désir
un objet, un but qu'on ne pourra atteindre puisque l'impossible,
c'est
par définition ce qui ne peut pas être,
ce
qui ne peut advenir. Il fallait aussi souligner que l'impossible
relève de la nécessité, de ce qui ne peut pas
être.
Par différence avec le possible qui n'est pas
mais qui pourrait être, l'impossible désigne ce qui ne
peut pas être et ne pourra jamais advenir.
Dès lors,
la question posée s'impose à nous comme une évidence
et sa réponse l'est tout autant : il paraît bien absurde
de désirer ce qu'on ne peut et ne pourra jamais atteindre ou
obtenir.
● Absurde
peut s'entendre ici en double sens :
1. Comme non-sens,
contraire à la raison ou au bon sens.
2. Comme inutile
parce que sans effet.
Selon le premier sens, on peut souligner que c'est le propre du désir que de ne pas se plier à la rationalité qui serait plutôt le fait de la volonté. En effet, alors que la volonté se fonde sur la raison, le désir apparaît au contraire comme ce qui échappe à la libre décision, ce qui nous aliène bien plutôt que ce qui dérive de l'exercice de notre libre choix.
Selon le second sens, on examine non plus ce désir de l'impossible sous l'angle de la dimension rationnelle ou raisonnable mais du point de vue de ses effets. Est-il toujours inutile de désirer l'impossible ? Autrement dit, faut-il limiter ses désirs à la sphère du possible ?
Il y a certainement ici une brèche qui s'ouvre face à un sujet dont la réponse se présente comme allant de soi. Le questionnement doit en effet viser à retourner cette évidence première qui consiste à affirmer qu'il est absurde de désirer ce qu'on obtiendra pas.
II - LA PROBLEMATIQUE
Après avoir
examiné le paradoxe et argumenté l'idée selon
laquelle désirer l'impossible est absurde il faut donc
questionner ce principe selon lequel nous devrions limiter nos désirs
à l'ordre du possible. Une telle perspective requiert de
s'intéresser à la nature même du désir.
S'il n'est pas nécessairement mesuré et maîtrisé,
il a une force, une puissance qui peut être productrice
d'effets. Le désir ne peut-il pas ainsi produire son objet ?
Si l'on parle de la force du désir, c'est bien, en effet,
parce qu'il a en lui la puissance de faire advenir ce qui n'est pas
et pourquoi pas, c'est ce qu'il faut examiner, de transformer l'ordre
de la nécessité, de témoigner d'une force
d'affirmation.
On peut alors examiner le désir sous cet
angle et réfléchir à ce qu'il instaure comme
dynamique dans l'existence, dynamique qui permet au sujet désirant
de développer sa puissance d'agir ou de faire du désir
un moteur susceptible de changer l'ordre du monde.
On comprend ainsi qu'il n'est peut-être plus aussi absurde qu'il le paraissait de prime abord de désirer l'impossible mais qu'il faut peut être faire de ce principe de désirer l'impossible "une maxime de vie".
III - LA BOITE A OUTILS
Quelques pistes permettant d'organiser une réflexion progressive qui part de l'idée que "désirer l'impossible est absurde" pour arriver par un cheminement argumenté à cette idée que "désirer l'impossible est nécessaire" :
● Pourquoi est-il absurde de désirer l'impossible ?
Parce que c'est
irrationnel et déraisonnable. On pouvait ici s'appuyer sur les
analyses de Platon dans le Gorgias qui montre que le désir
est par nature démesuré, incontrôlable. Il peut,
par conséquent, donner prise à une quête vouée
à l'absurde parce qu'inaccessible.
Descartes montre aussi
dans le Discours de la méthode (3ème partie) que
la véritable sagesse consiste à éviter de
désirer l'impossible. Notre bonheur tient au bon usage de
notre volonté et non à l'impulsion non raisonnée
de nos désirs. Selon sa morale par provision, il faut ainsi
"changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde".
● Mais une telle perspective qui invite finalement à restreindre ses désirs à l'ordre du possible, n'est-elle pas, en un sens, une forme d'abdication ou de renoncement ?
On pourrait ici
faire appel aux analyses de Nietzsche et à sa critique du
nihilisme (Généalogie de la morale) : sous le
vêtement de la sagesse, n'est-ce pas une forme de renoncement
qui se cache, et une impuissance plus qu'une décision ?
Contre
la morale du sacrifice, Nietzsche refuse la condamnation du désir
et en dévoile la puissance créatrice.
On pouvait aussi
faire appel à Spinoza qui montre dans l'Ethique (3ème
partie) que le désir est producteur de valeur : nous ne
désirons pas une chose parce qu'elle est bonne mais au
contraire nous la désirons parce que nous la jugeons bonne.
Si
le désir précède son objet et le produit, il
faut donc repenser le rapport du désir à la réalité.
On pouvait ainsi
montrer qu'il y a dans le désir, une force qui peut être
une puissance de transformation du monde.
Désirer
l'impossible, c'est faire du désir une force, force de
dépassement de soi ou de transformation du monde. Le désir
peut ainsi avoir le statut d'une "valeur régulatrice"
(Kant).