Le sujet 2008 - Bac L - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique |
Avis du professeur :
Un texte de Sartre sur la liberté : pour beaucoup
d'entre vous, une véritable bouée de sauvetage ! |
Expliquez le texte suivant :
Puisque la liberté exige que la réussite ne découle pas de la décision comme une conséquence, il faut que la réalisation puisse à chaque instant ne pas être, pour des raisons indépendantes du projet même et de sa précision ; ces raisons forment l'extériorité par rapport à tout projet et la liberté est la perpétuelle invention des moyens de tourner ces difficultés extérieures, mais il est bien entendu que la réussite doit être seulement possible, c'est-à-dire qu'il n'y a action que si les difficultés extérieures peuvent toujours être si élevées ou si neuves que l'invention humaine ne puisse pas les surmonter. Ainsi est-il toujours entendu à la fois que l'entreprise humaine a réussi à cause de la libre décision et de la libre inventivité qui a surmonté les obstacles et à la fois qu'elle a réussi parce que ce sont ces obstacles-là et non d'autres plus grands qui lui ont été imposés. Toute entreprise humaine réussit par hasard et en même temps réussit par l'initiative humaine. Si le tireur n'avait pas eu le soleil dans l'œil il m'atteignait, je manquais ma mission de reconnaissance. II s'en est donc fallu d'un rayon de soleil, de la vitesse d'un nuage, etc. Mais, en même temps, mes précautions étaient prises pour éliminer tous les dangers prévisibles. En un mot les possibles se réalisent dans la probabilité. La liberté se meut dans la sphère du probable, entre la totale ignorance et la certitude ; et le probable vient au monde par l'homme.
Sartre, Cahiers pour une morale
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise.
Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension
précise du texte, du problème dont il est question.
I – L'analyse DU TEXTE ET DE SES DIFFICULTES
La notion centrale de ce texte est la liberté, à travers l'exemple de l'action dans le
monde, de son échec et de sa réussite.
Le texte ne présente pas de difficultés majeures, mais il déroule une
argumentation serrée qu'il faut suivre de près.
Les formules souvent denses et brillantes de Sartre doivent être expliquées
minutieusement.
II - L'IDEE PRINCIPALE DU TEXTE
Le problème posé par le texte est celui de la signification
de la liberté humaine dans l'action. Pour Sartre, la liberté n'est pas
théorique, elle doit être éprouvée, vécue, dans un monde de situations concrètes. On n'est jamais libre parce
qu'on ne fait rien, et toute situation nous impose des choix, le non-choix
étant un choix comme un autre.
Sartre prend ici l'exemple de l'issue, du résultat (heureux ou malheureux)
d'une action. Pour qu'il y ait véritablement liberté, cette action ne doit être
vouée ni à la réussite, ni à l'échec, elle ne doit être soumise à aucune
nécessité, ni à l'illusion d'une totale liberté. Sartre s'emploie à montrer que
la vraie liberté se nourrit de la connaissance de la nécessité et de
l'incertitude du résultat. C'est à ces conditions que l'action est à la fois
libre et humaine.
III - LES NOTIONS-CLES DU TEXTE
Les notions importantes sont bien sûr l'action, la liberté,
mais surtout le hasard et la contingence.
Vous pouviez donc vous servir des repères au programme :
contingent / nécessaire / possible.
Le nécessaire est ce qui est soumis à une loi
impérative. Si tout était nécessaire, il n'y aurait pas de liberté. Si rien
n'était nécessaire, il serait impossible d'agir, car l'action s'appuie sur des
processus nécessaires (je ne suis libre de marcher que si mon corps, lui, n'est
pas libre de ne pas m'obéir).
La contingence (ce que Sartre appelle ici le
probable ou le possible) est une modalité du réel : c'est ce qui aurait pu
être autrement. Il est contingent qu'un cercle soit tracé au compas, ce qui est
nécessaire (essentiel), c'est que l'ensemble de ses points soit équidistant à
un point central. Ici, la contingence concerne le résultat de l'action
humaine : pour Sartre, paradoxalement, la contingence
est essentielle au sens de l'action. Toute action est un pari sur le
réel, un compromis entre mon intention et l'état du monde, et non pas
l'expression d'un triomphe de ma volonté qui se serait substituée, imposée au
réel.
IV - LA STRUCTURE DU TEXTE
On peut distinguer deux mouvements dans l'argumentation de
Sartre: la première phrase (l. 1 à 7) constitue la première partie, le
reste du texte (l. 7 à 16) la seconde.
Sartre commence donc par poser l'hétéronomie de
la liberté humaine : certes je suis libre de me fixer des buts, mais ces
buts ne peuvent se réaliser qu'avec le concours d'éléments extérieurs que je ne
maîtrise pas. La réussite de mes actions, projets, objectifs ne peut être une
conséquence nécessaire de ma volonté, de ma décision. Il y a l'extériorité
inévitable, ou encore l'adversité du monde, que je peux certes anticiper, mais
jamais totalement prévoir de façon à annuler son influence. L'extériorité du
monde s'oppose donc à l'intériorité de ma liberté. Par la pensée, je suis dans
mon royaume, on peut dire qu'il y a un sentiment de facilité, de
non-résistance, je peux penser ce que je veux, jusqu'à l'absurde ; avec l'action,
la réussite est conditionnelle : l'humain est confronté au non-humain, la
pensée est confrontée à la matière ou aux pensées adverses. Le modèle de
l'action serait ici l'action politique ou guerrière, soumise à mille aléas, et
opposée à la production matérielle qui, sauf exception, se contente de répéter
un processus mille fois éprouvé. Une machine n'agit pas, un réparateur
d'ordinateur agit peu : il se borne à remettre en état un mécanisme
nécessaire, à résoudre un problème qui, par définition, a été déjà résolu.
L'action au sens de Sartre se situe bien plus haut : sa grandeur est de
pouvoir échouer, de pouvoir se briser sur des difficultés inattendues, ce qui
suppose un projet complexe qui s'expose délibérément à l'échec parce qu'il est
novateur, complexe, profondément humain. On ne dira pas du sommelier qu'il est
un homme d'action au moment où il ouvre une bouteille, car le bouchon est fait
pour cela et n'importe qui aurait pu le faire. Par contre choisir un vin pour
tel plat, tels convives, telles circonstances l'expose à l'échec et exprime un
projet. La grandeur de l'action est donc dans le risque
auquel elle s'expose d'être balayée par la toute-puissance du réel.
Dans la seconde partie, Sartre développe l'idée d'un compromis nécessaire pour
la réussite de l'action humaine. L'inventivité humaine est requise, y compris
et surtout en tant que capacité d'anticiper et d'épouser l'obstacle pour
parvenir à ses fins. Mais l'obstacle ne peut jamais être entièrement prévu, et
la liberté humaine doit composer avec lui. Je ne peux m'en remettre au hasard
et agir comme un lanceur de dés sous prétexte que la réalité est confuse. Le
succès de l'action humaine se fonde sur une coopération
contingente entre ingéniosité de l'esprit et bonne disposition du réel.
Cette coopération n'est jamais acquise. Le terrain de l'action est donc le
probable : l'homme ne peut se permettre d'ignorer les lois de la nature,
mais il ne peut se permettre de dicter la loi de sa volonté.
Il est condamné à être à la fois acteur et spectateur de ses actions.
V – LE PROBLEME SOULEVE PAR LE TEXTE ET SES PISTES DE DEVELOPPEMENT
La valeur morale de l'action permet d'interroger la valeur
morale de l'homme: l'homme est souvent dit "fils de ses oeuvres",
défini par ses actes.
L'intérêt du texte de Sartre est de montrer la spécificité de l'action humaine
par rapport à la vie animale (dominée par la nécessité vitale), par rapport à
l'impuissance de la pure pensée qui refuse la confrontation avec un réel
qu'elle juge impur, et enfin par rapport à tout homme qui n'ose assumer la
responsabilité de ses actes.