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Annales gratuites Bac S : Morale et justice

Le sujet  2008 - Bac S - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique Imprimer le sujet
Avis du professeur :

Un texte de Schopenhauer sur la morale et la justice.
Le texte est un peu long avec un raisonnement qui développe avec précision une comparaison entre la morale et la justice.

LE SUJET


Expliquer le texte suivant :

Si la morale ne considère que l'action juste ou injuste, si tout son rôle est de tracer nettement, à quiconque a résolu de ne pas faire d'injustice, les bornes où se doit contenir son activité, il en est tout autrement de la théorie de l'État. La science de l'État, la science de la législation n'a en vue que la victime de l'injustice ; quant à l'auteur, elle n'en aurait cure, s'il n'était le corrélatif forcé de la victime ; l'acte injuste, pour elle, n'est que l'adversaire à l'encontre de qui elle déploie ses efforts ; c'est à ce titre qu'il devient son objectif. Si l'on pouvait concevoir une injustice commise qui n'eût pas pour corrélatif une injustice soufferte, l'État n'aurait logiquement pas à l'interdire. Aux yeux de la morale, l'objet à considérer, c'est la volonté, l'intention ; il n'y a pour elle que cela de réel ; selon elle, la volonté bien déterminée de commettre l'injustice, fût-elle arrêtée et mise à néant, si elle ne l'est que par une puissance extérieure, équivaut entièrement à l'injustice consommée ; celui qui l'a conçue, la morale le condamne du haut de son tribunal comme un être injuste. Au contraire, l'État n'a nullement à se soucier de la volonté, ni de l'intention en elle-même ; il n'a affaire qu'au fait (soit accompli, soit tenté), et il le considère chez l'autre terme de la corrélation, chez la victime ; pour lui donc il n'y a de réel que le fait, l'événement. Si parfois il s'enquiert de l'intention, du but, c'est uniquement pour expliquer la signification du fait. Aussi l'État ne nous interdit pas de nourrir contre un homme des projets incessants d'assassinat, d'empoisonnement, pourvu que la peur du glaive et de la roue nous retienne non moins incessamment et tout à fait sûrement de passer à l'exécution. L'État n'a pas non plus la folle prétention de détruire le penchant des gens à l'injustice, ni les pensées malfaisantes ; il se borne à placer, à côté de chaque tentation possible, propre à nous entraîner vers l'injustice, un motif plus fort encore, propre à nous en détourner ; et ce second motif, c'est un châtiment inévitable.

A. Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation

La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

LE CORRIGÉ


I – ANALYSE DU TEXTE ET DE SES DIFFICULTES

Les notions présentes dans le texte sont le droit, la morale, la justice, l'Etat.
Le texte ne présente pas de difficultés majeures, l'auteur expose une thèse qu'il détaille au fil de l'argumentation, dans une claire opposition morale/Etat.

II - L'IDEE PRINCIPALE DU TEXTE

Tout le texte de Schopenhauer repose sur la volonté de définir quelle est la mission de l'Etat, autrement dit quelle est la relation entre la morale (personnelle et privée) et le domaine d'intervention du droit (public et politique). Il importe de distinguer soigneusement l'un et l'autre, même si évidemment la morale inspire le droit et réciproquement. La morale s'intéresse avant tout à l'intention, la valeur de l'action, l'Etat (le droit) a pour domaine les conséquences pour autrui des actes, indépendamment ou presque des motivations de l'auteur. La morale analyse la motivation individuelle, l'Etat défend la société. On peut être un homme injuste (du point de vue moral) sans être coupable (du point de vue légal) de quoi que ce soit. Inversement, on peut être un homme coupable (du point de vue de la justice) sans être injuste du point de vue moral (circonstances atténuantes, euthanasie d'une personne souffrante, etc.).

III - LES NOTIONS-CLES DU TEXTE

La morale se situe d'emblée à la source même des actes, au niveau de la volonté, de l'intention, de la motivation. La moralité d'un acte est donc invisible, indémontrable. Jésus, peut-être, visait la célébrité et non pas le salut du genre humain. Kant suppose même qu'étant donné le mal radical qui habite la nature humaine, peut-être qu'aucun acte moralement pur n'a jamais existé sur terre, l'homme ayant toujours en tête le choix entre bien et mal. Seule une volonté sainte, très problématique, n'envisagerait que le bien en toute circonstance.
La légalité obéit à une autre logique : elle défend la société, elle a une utilité sociale qui est de dissuader le passage de l'intention à l'acte. Elle considère moins l'agent que l'ensemble de la collectivité qu'il faut protéger. Pour l'Etat, l'obéissance à la loi suffit pour garantir la paix civile. Les lois en elles-mêmes peuvent être injustes moralement (apartheid, interdictions, etc.) mais leur respect est nécessaire à la cohésion sociale.

IV - LA STRUCTURE DU TEXTE

L'auteur, des lignes 1 à 9, expose une première fois sa thèse.
Des lignes 9 à 13, il reprend l'argument sur la morale.
De la ligne 13 à la fin il précise le rôle de l'Etat.
Lignes 1 à 9 : Schopenhauer pose la distinction entre la morale et l'Etat. La morale trace les limites de l'action juste en soi, c'est-à-dire de façon à donner des critères de jugement à tout homme, à le rendre juge de la moralité de ses actes devant le tribunal de sa conscience. Le point de vue légal, étatique, est tout autre : il part de la victime d'un acte, en tant que représentante de toute la société. C'est la victime qui déclenche l'alerte légale et non pas l'immortalité en soi. L'Etat remonte donc de la victime à l'auteur de l'acte. Schopenhauer pousse le paradoxe jusqu'à imaginer un acte injuste qui n'aurait pas de conséquences sur autrui. L'Etat n'aurait pas à s'en soucier. On pourrait citer ici l'exemple du suicide, ou l'auteur et la victime étant une même personne, la dépénalisation s'est faite progressivement alors que la morale religieuse chrétienne tient toujours le suicide pour une faute grave.
Ligne 9 à 13 : reprenant une distinction de Kant, Schopenhauer expose les critères moraux (et non légaux) de l'action. La morale est le pur royaume des buts, des fins et des valeurs, indépendamment des actes, des conséquences. En pensée, il n'y a pas de différence entre le projet et l'acte : Tout projet est immédiatement réalisé, visualisé par la facilité qu'il y a à le penser. Pas de différence donc entre injustice pensée et injustice commise (consommée) : mieux encore, le passage à l'acte est presque moins grave, d'un point de vue moral, que la méchanceté de la pensée et l'habitude de cette méchanceté.
Ligne 13 à la fin : L'Etat, en revanche, n'a ni les moyens, ni la volonté de remonter à l'intention qui a présidé à l'acte, que cet acte soit réussi (assassinat) ou manqué (tentative). C'est la matérialité des faits qui lui importe. Aujourd'hui, il y a certes des investigations psychologiques portant sur l'accusé, mais cela ne fait que moduler l'intervention de l'Etat et non pas s'y substituer. Le rôle de l'Etat est donc de protéger les victimes en punissant des actes délictueux. Mais ce n'est pas la seule fonction de son action : la peine a aussi valeur d'exemplarité : Elle montre à l'assassin en pensée ce qu'a subi l'assassin en acte. Cette exemplarité ne suffit pas à éliminer les mauvaises pensées, et constitue un motif dissuasif pour ne pas agir de façon illégale.

V – Les pistes de developpement

La fin du texte permet de s'interroger sur ce que serait un Etat qui aurait "la folle prétention" de "détruire le penchant à l'injustice", ce qui est le projet de nombreuses utopies. Un tel dispositif supposerait la fin de la liberté humaine et de la démocratie : un régime de liberté suppose nécessairement un consentement au conflit, au risque aléatoire ; mais c'est aussi ce qui permet à chaque citoyen de construire sa propre moralité et humanité.

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