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Annales gratuites Bac ES : morale et mauvaises actions

Le sujet  2007 - Bac ES - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique Imprimer le sujet
Avis du professeur :

Les mauvaises actions ! Voilà un beau sujet ! Mais à prendre avec des pincettes...
Un texte de Nietzsche, ce n'est jamais facile à expliquer. C'est un sujet qui s'adresse plutôt aux meilleurs d'entre vous.

LE SUJET


Expliquez le texte suivant :

Nous n'accusons pas la nature d'immoralité quand elle nous envoie un orage et nous trempe : pourquoi disons-nous donc immoral l'homme qui fait quelque mal ? Parce que nous supposons ici une volonté libre aux décrets arbitraires, là une nécessité. Mais cette distinction est une erreur. En outre, ce n'est même pas en toutes circonstances que nous appelons immorale une action intentionnellement nuisible ; on tue par exemple une mouche délibérément, mais sans le moindre scrupule, pour la pure et simple raison que son bourdonnement nous déplaît, on punit et fait intentionnellement souffrir le criminel afin de se protéger, soi et la société. Dans le premier cas, c'est l'individu qui, pour se conserver ou même pour s'éviter un déplaisir, cause intentionnellement un mal ; dans le second, c'est l'État. Toute morale admet les actes intentionnellement nuisibles en cas de légitime défense, c'est-à-dire quand il s'agit de conservation ! Mais ces deux points de vue suffisent à expliquer toutes les mauvaises actions exercées par des hommes sur les hommes : on veut son plaisir, on veut s'éviter le déplaisir ; en quelque sens que ce soit, il s'agit toujours de sa propre conservation. Socrate et Platon ont raison : quoi que l'homme fasse, il fait toujours le bien, c'est-à-dire ce qui lui semble bon (utile) suivant son degré d'intelligence, son niveau actuel de raison.

Nietzsche, Humain, trop humain

La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

LE CORRIGÉ


I – PRESENTATION DU TEXTE ET DE SES DIFFICULTES

Ce texte porte principalement sur la morale, et secondairement, à travers les exemples choisis, sur la politique (la société, l'Etat, la justice et le droit).
C'est un texte polémique, qui remet en question la philosophie morale classique. Il présente une double difficulté : cerner la thèse adverse, et repérer les différents niveaux de réfutation de cette thèse dans l'argumentation.
Un texte à choisir et à expliquer avec précaution !

II - L'IDEE PRINCIPALE DU TEXTE

La question qui traverse le texte peut se formuler ainsi : la condamnation morale d'une action humaine a-t-elle un sens ?
De quel droit juge-t-on une personne en lui disant : "Ce que tu as fait là, c'est mal, et tu es coupable de ce mal." ?
La réponse de l'auteur, et donc la thèse du texte, est que cette condamnation morale n'a aucun sens. "Quoique l'homme fasse, il fait toujours le bien", pourvu que l'on comprenne "son bien à soi", comme "sa propre conservation".

L'enjeu du texte est d'invalider le principe même d'une morale universelle : il n'y a pas de bien en soi, ni de mal en soi. Chacun cherche nécessairement ce qui est bon pour lui ou, en termes nietzschéens, ce qui développe sa volonté de puissance. La condamnation morale ne peut donc provenir que de la confiscation des valeurs de bien et de mal par un pouvoir, en vue d'imposer une morale collective, peut-être pour le plus grand "bien" de la société, mais au détriment des meilleurs.

III - LES NOTIONS-CLES DU TEXTE

● Le registre lexical du texte est celui de la morale ("immoralité" l.1,"immoral" l.2 et 5, "scrupule" l.7, "morale" l.11, "mauvaises, bien, bon" l.14, 17, 18).
Au sens strict,
la morale est l'ensemble des principes de conduite visant à faire le bien et à éviter le mal.

● La morale présuppose donc un libre-arbitre : une volonté qui peut choisir librement de faire le bien et d'éviter le mal, par intention bonne. D'où les expressions récurrentes du texte qui sont autant de références implicites à la théorie du libre-arbitre : "volonté libre aux décrets arbitraires" (l.3), "intentionnellement" (l.6, 8, 11, 12), "délibérément" (l.6).

● A ce registre, l'auteur oppose implicitement celui de la "nécessité" (l.4), en particulier à la fin du texte. En effet, cette opposition entre "volonté libre" et "nécessité" est au fondement de toute l'argumentation de l'auteur.
La morale condamne les hommes parce qu'elle les juge
libres, et donc responsables de leurs actes. Elle est donc fondée sur le principe du libre-arbitre, qui est selon l'auteur une "erreur" (l.4).

En effet, "quoique l'homme fasse" (l.17), il cherche nécessairement "son plaisir", "sa propre conservation". Il n'est pas plus libre et responsable de faire le mal que l'orage ne l'est de nous tremper. Les hommes ne font rien d'autre que d'obéir à la nécessité de leur nature propre.

IV - LA STRUCTURE DU TEXTE

● De la ligne 1 à 4, l'auteur dégage le présupposé au fondement de toute condamnation morale : nous condamnons les hommes parce que nous "supposons" qu'ils font volontairement le mal, dans une intention mauvaise.

● De la ligne 4 à 13, il montre à travers deux exemples que cette morale admet pourtant des exceptions : il y a des actions "intentionnellement nuisibles" qui paradoxalement ne font pas l'objet d'une condamnation. Lorsque l'on tue une mouche parce que son "bourdonnement nous déplaît", lorsque l'on châtie un criminel parce qu'il gêne la société. Il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire sur le choix de ces deux exemples. Relevez au moins la dimension ironique du rapprochement, voire de l'analogie implicite.

● De la ligne 13 à la ligne 16, nous sommes dans le passage le plus important du texte. Ces deux exemples révèlent en négatif le vrai principe de toute conduite humaine. Les hommes, ou les États, ne veulent que leur propre conservation, même si c'est parfois au détriment des autres.

● La ligne 16 à la fin est une référence très ironique à Socrate et Platon, figures éminentes de la philosophie classique. C'est une réinterprétation irrévérencieuse du fameux "Nul ne fait le mal volontairement". Non pas parce qu'il ignore le bien (comme le pensaient Socrate et Platon) mais parce qu'il ne peut faire que son bien.

V – LE PROBLEME SOULEVE PAR LE TEXTE ET SES PISTES DE DEVELOPPEMENT

L'enjeu du texte est, pour reprendre un titre célèbre du même auteur, de se situer "par delà le bien et le mal".
La morale classique affirme la possibilité de déterminer universellement le bien et le mal, et la faculté chez l'homme de choisir librement. Voir par exemple la morale de Kant, morale de la liberté, de la responsabilité, et de l'intention bonne.

Nietzsche voit dans cette morale classique un effet de pouvoir et une illusion. Les hommes ne font qu'agir selon la nécessité de leur nature, et il n'y a pas de bien ou de mal universels. Il n'y a que des volontés faibles ou des volontés fortes, ces dernières étant pour ainsi dire entravées par les morales collectives.

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