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Annales gratuites Bac Hôtellerie : Texte de Rousseau

Le sujet  1995 - Bac Hôtellerie - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique Imprimer le sujet
LE SUJET


Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu'ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique, en un mot tant qu'ils ne s'appliquèrent qu'à des ouvrages qu'un seul pouvait faire, et qu'à des arts qui n'avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent, sains, bons, et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d'un commerce (1) indépendant.


Mais, dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours d'un autre, dès qu'on s'aperçut qu'il était utile à un seul d'avoir des provisions pour deux, l'égalité disparut, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons.

ROUSSEAU.

Note : (1) Ici, "commerce" : ensemble des relations entre les hommes.


QUESTIONS :

A - Autour de quelle opposition le texte est-il bâti ?

B - Vous expliquerez les expressions :
"ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature".
"le travail devint nécessaire".

C - Traitez la question suivante sous la forme d'un développement argumenté : en quoi l'esclavage et la misère peuvent-ils accompagner l'accroissement des richesses ?

LE CORRIGÉ

I - QUELLE ANALYSE POUR CE SUJET ?

Le thème de ce texte est l'origine du travail social dans sa forme aliénée ("esclavage").

Le problème est le suivant : comment l'humanité est-elle passée de l'état de nature, en lequel on peut supposer les hommes libres ("commerce indépendant"), à l'état social actuel, où règne la dépendance généralisée des hommes les uns vis-à-vis des autres ?

La thèse de Rousseau consiste à affirmer que l'origine de cette dégradation est l'apparition d'une nouvelle forme d'activité, qui n'existait pas à l'état de nature : activité collective destinée à extraire de la nature les produits nécessaires à la subsistance de l'humanité.


II - UNE DEMARCHE POSSIBLE.

A - AUTOUR DE QUELLE OPPOSITION LE TEXTE EST-IL BATI ?

L'opposition est soulignée par l'articulation du texte selon deux moments.

Jusqu'à "commerce indépendant", Rousseau introduit le premier élément de l'opposition dont la formule centrale est : "des ouvrages qu'un seul pouvait faire".

Elle nous apprend que les hommes, à l'état de nature, n'ont pas besoin les uns des autres pour tirer de la nature individuellement, les biens nécessaires à leur subsistance.

De "mais dès l'instant" jusqu'à la fin du texte, un deuxième moment pose le deuxième élément de l'opposition dont la formule centrale est : "un homme eut besoin du secours d'un autre".

Elle nous apprend que le racisme de la formation de sociétés où les hommes sont interdépendants, est la nécessité dans laquelle les hommes se sont trouvés de se mettre à plusieurs pour tirer leur subsistance de la nature.


B - EXPLIQUER LES EXPRESSIONS.

- "Ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature" : énumération de qualificatifs positifs, mais tempérée par la deuxième partie de la formule.

En effet, Rousseau ne prétend pas que la condition de l'individu naturel était absolument bonne et heureuse.

Il ne prétend pas non plus que la condition de l'homme en société est absolument et irréductiblement mauvaise.

- "Le travail devint nécessaire" : le travail désigne ici deux choses qui sont liées entre elles.

D'abord, la dépendance des travailleurs les uns vis-à-vis des autres, ensuite, la contrainte mutuelle qui en résulte.

Pourquoi "nécessaire" : parce que le projet d'accumuler des richesses, des "provisions", empêche de revenir à la situation initiale, où chaque homme ne cherchait à tirer de la nature que ce qui lui suffisait individuellement.


C - EN QUOI L'ESCLAVAGE ET LA MISERE PEUVENT-ILS ACCOMPAGNER L'ACCROISSEMENT DES RICHESSES ?

Il y a un paradoxe apparent dans la question. Une première analyse montre en effet que l'accroissement des richesses favorise le développement du bonheur et de la liberté de l'homme.

Bonheur, parce que le fait de disposer de biens matériels nombreux permet à l'homme de se détacher de sa dépendance immédiate à l'égard de la nature.

L'animal, lui, ne peut que s'adapter plus ou moins bien, et en quelque sorte pauvrement , à ce que peut lui offrir la nature (cf. la disparition de certaines espèces).

De plus, la qualité de la vie change : l'homme découvre des jouissances qui ne sont plus platement naturelles.

Liberté ensuite, parce que si les richesses augmentent, la rivalité des hommes diminue, à condition que la distribution sociale des richesses soit équitable .

Cependant, il y a un revers de la médaille. Plus les hommes inventent de nouveaux produits, de moins en moins naturels, plus ils se croient perdus si ces produits viennent à manquer.

D'où une misère psychologique constante, même chez ceux qui ont le plus de biens.

De plus, l'organisation politique de la société, loin de chercher à corriger les inégalités de richesse, s'emploie au contraire, sous des formes toujours nouvelles, à maintenir la propriété privée des biens, sans se préoccuper de la différence des individus à cet égard. D'où la misère matérielle.

Quant à l'esclavage, il provient lui aussi de l'accroissement des richesses. D'abord, poussés par le désir de nouvelles productions, les hommes déjà dépendants dans le travail, accroissent la nécessité de cette dépendance. Ils sont interdépendants, c'est-à-dire dépendants de leurs désirs mutuels.

Ensuite, ceux qui sont propriétaires du plus grand nombre de richesses, peuvent devenir propriétaires des outils de production -en clair, des usines.
L'esclavage est alors vertical : des hommes sont sous la dépendance de ceux qui détiennent les instruments de production des biens qui sont pourtant vitaux pour tous .


III - LES REFERENCES UTILES.

PLATON, La République, livres III et IV.

MARX, Le Capital, livre I Le manifeste du parti communiste .


IV - LES FAUSSES PISTES.

Faire de ce texte un manifeste pour le retour à l'état de nature.

Faire de ce texte une critique irrémédiable de l'état social, où l'affirmation que le bonheur humain est impossible en société.

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