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Annales gratuites Bac L : Vérité et intérêt

Le sujet  2010 - Bac L - Philosophie - Dissertation Imprimer le sujet
Avis du professeur :
Le sujet portait sur la valeur et les finalités de la recherche de la vérité. Il est particulièrement adapté à vous, élèves de série littéraire, dans la mesure où il met évidemment en jeu la vérité de type philosophique.

C'est un sujet classique. Tout l'enjeu consistait à prendre en compte les différentes connaissances possibles en s'interrogeant sur leur valeur et leurs finalités et à établir entre elles une hiérarchie en regard de la question posée.
LE SUJET

La recherche de la vérité peut-elle être désintéressée ?



LE CORRIGÉ



Analyse du sujet

Sujet difficile et ambitieux qui couvre une part importante du programme de l’année de terminale et exige qu’on mobilise des éléments qui ne plaisent pas nécessairement aux élèves des séries littéraires, ceux relatifs à la connaissance (chapitre La Raison et le Réel). Si la question de la recherche de la vérité met bien évidemment en jeu la philosophie dont c’est la définition (« philo » = j’aime ; « sophia » = sagesse et vérité), elle couvre aussi tous les autres domaines de la connaissance. Cela va des sciences expérimentales, comme la physique ou la biologie, aux sciences humaines (histoire, psychologie, etc.). La question ouvre donc un large champ d’investigation auquel il faut encore ajouter deux notions : celles de Technique et de Morale.

Le mot « désintéressement » renvoie en effet à une attitude morale. Le désintéressement c’est, au sens propre, le fait de ne pas rechercher une intérêt personnel, égoïste, dans une action quelconque, d’agir dans un but altruiste, par simple sentiment d’obligation ou par commandement moral. Dans l’énoncé du sujet, « désintéressement » désigne le fait de rechercher la vérité pour elle-même et non comme moyen de quelque chose (par exemple une action technique efficace sur la nature). Ce désintéressement peut encore se comprendre à travers l’opposition entre action d’une part et contemplation d’autre part.

La PROBLEMATIQUE DU SUJET

Il ne fait aucun doute que la conception utilitaire de la vérité, d’une vérité dont on attend des applications techniques immédiates, un surcroît de bien-être ou de profit, est devenue aujourd’hui dominante. Au contraire, les connaissances gratuites, celles qui participent seulement à la formation de l’esprit et à l’épanouissement de l’individu sont considérées comme de moindre valeur. Dans l’idéologie contemporaine marquée par le souci du profit, les humanités contribuent certes à la formation éthique de l’honnête homme mais ne produisent pas tout de suite de bénéfice pour les hommes.

La problématique du sujet apparaît très vite dès lors qu’on se souvient que depuis quatre siècles la recherche de la vérité s’est orientée vers l’utilité. Utilité que résume parfaitement la formule d’Auguste Comte : « savoir pour prévoir pour pouvoir ». Une connaissance vraie des phénomènes permet leur anticipation et leur prévision, elle fournit donc aux hommes les moyens d’une action efficace.

Mais la recherche de la vérité n’a pas toujours eu les mêmes motifs. La vérité a pu être recherchée non comme moyen d’une certaine fin mais comme fin en soi. C’est l’exemple que nous fournit toute la tradition antique. Dans l’Antiquité, les connaissances servent moins à produire des richesses (le système de production s’appuyait alors sur des esclaves) qu’à comprendre la nature avec les outils de la raison. La recherche de la vérité y est une occupation libre parce qu’elle est indépendante de toute application, et qu’elle ne mêle pas les productions de l’esprit aux servitudes de la matière. C’est ainsi que dans la Grèce antique les mathématiques, pourtant très développées, ont rarement trouvé d’applications pratiques ou utilitaires immédiates. Archimède a tout au plus utilisé ses connaissances mathématiques et physiques pour construire des armes de guerre, des catapultes notamment, et seulement parce que la guerre était une activité noble.

La réflexion peut donc partir de l’opposition historique entre la constitution de la connaissance telles qu’elle s’opérait dans l’Antiquité et la connaissance scientifique que nous connaissons depuis Galilée et Descartes, c’est-à-dire depuis le moment où la mathématisation de la nature et l’établissement de lois, à partir de rapports constants entre les phénomènes, a ouvert de nouvelles capacités d’action sur la nature.

En fournissant un utile point de comparaison, l’histoire permet de se demander si la conception intéressée et utilitaire de la vérité n’est pas réductrice, voire dangereuse. S’il reste encore de la place dans la science moderne pour une recherche de la vérité qui ne viserait pas l’avoir (développer toujours plus les moyens de l’homme en exploitant toujours davantage les ressources de la nature) mais ferait place à l’être (en contribuant à l’enrichissement des connaissances de l’homme en général et à l’épanouissement de chaque individu en particulier). Plus loin encore on peut se demander si on peut penser à part l’être et l’avoir sans compromettre à terme l’essence et l’avenir de l’homme.

La boite a outils

L’opposition entre intérêt et désintéressement recouvre l’opposition entre science et philosophie telle qu’elle est apparue au XVIIIe siècle. Mais on peut remarquer qu’au sein même de la science dans sa définition moderne la dichotomie entre intérêt et désintéressement existe aussi. Elle prend la forme de l’opposition entre « recherche fondamentale » et « recherche appliquée ». La recherche fondamentale cherche à établir une connaissance des phénomènes sans autre but que la connaissance elle-même, sans se soucier d’en tirer un profit immédiat sur un plan technique ou économique. Il s’agit alors simplement de connaître les propriétés de la matière et de la vie. La recherche appliquée vise davantage une valorisation des connaissances scientifiques en leur trouvant des débouchés techniques immédiatement utiles aux hommes et économiquement rentables pour les investisseurs. Un exemple éloquent de recherche fondamentale est la découverte du laser. Ce n’est que récemment, à partir des années 1960, que le laser a trouvé des applications techniques capitales, mais le principe d’une amplification de la lumière a été découvert par Albert Einstein dès 1917. Ce qui a pu faire dire au physicien Pierre Aigrain : « Nous avions l’habitude d’avoir un problème et de chercher la solution. Dans le cas du laser, nous avions déjà la solution et nous cherchions le problème ».

Incidemment cet exemple permet de dire que le désintéressement peut parfois être l’allié paradoxal de l’intérêt. Chercher son intérêt uniquement à court terme c’est se priver des moyens des solutions fondamentales des problèmes à venir. Cela introduit dans la réflexion sur la science et l’intérêt la dimension du Temps. Le désintéressement peut être un intérêt différé dans le temps, et ce n’est pas parce qu’on ne voit pas l’intérêt d’une vérité aujourd’hui que cette vérité ne sera pas utile demain et peut être même indispensable.

Plus globalement, l’utilitarisme et sa critique pouvaient tourner autour de deux pôles : d’un côté l’idéal humaniste formulé par Descartes dans le Discours de la méthode, celui de devenir « comme maîtres et possesseurs de la nature ». A l’aube du monde moderne, Descartes exprime ainsi tout le rêve d’un progrès humain placé sous le signe d’une instrumentalisation de la science et d’une maîtrise de la nature au bénéfice direct et unique des hommes. De l’autre côté, on pouvait trouver une critique de cet idéal de domination de la nature chez Heidegger, avec l’idée que la science, via la technique, procède à un « arraisonnement » de la nature avec tous les dangers que cela suppose.

Une conception purement utilitaire de la recherche de la vérité comporte, outre les dangers inhérents à la science et à la technique, le risque pour l’homme de perdre son essence : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », disait déjà Rabelais. Une recherche désintéressée de la vérité n’est pas seulement possible, elle est nécessaire pour échapper à l’instrumentalisation de l’homme par la technique. Un monde dans lequel les vérités n’auraient de valeur qu’en fonction de leur utilité serait un monde où l’homme aurait perdu tout pouvoir sur lui-même en se faisant l’égal des instruments qu’il aurait développés pour assurer son existence.

C’est justement là que le modèle antique de la recherche de la vérité reprend sens, avec l’idée que la recherche de la vérité n’est pas séparable d’une conception de l’homme en général, d’une manière de vivre et de s’affirmer en tant qu’homme, c’est-à-dire une éthique. De ce point de vue, il semble que toute l’éducation du philosophe-roi chez Platon pouvait être utile. C’est la fameuse allégorie de la Caverne. Platon y montre le philosophe s’élevant de degré en degré vers la contemplation des essences, c’est-à-dire la connaissance des formes les plus hautes et les plus pure de la vérité. Il est important de noter que si le philosophe platonicien redescend dans la caverne gouverner les hommes avec les lumières de la vérité, ce n’est qu’à contrecœur : la connaissance constituant en elle-même et par elle-même la plus haute fin possible.

Il convenait toutefois de moduler une conception purement et simplement désintéressée de la recherche de la vérité, une conception contemplative et comme hors du monde de l’épanouissement du sujet, en soulignant le fait que c’est dans la mesure même où les Grecs ont délégué le soin de la production matérielle de leur existence à des esclaves qu’ils ont pu s’adonner à la philosophie. Pareillement pour nous ce n’est que dans la mesure où la technique nous libère du souci de notre existence matérielle (par exemple par l’augmentation de la productivité et la baisse du temps de travail) que nous pouvons nous consacrer à la recherche désintéressée de la vérité. Autrement dit, la possibilité d’une vérité désintéressée tient à l’existence de vérités qui nous intéressent directement en nous procurant le loisir et le temps propres à l’épanouissement éthique de notre existence.

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