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Annales gratuites Brevet Série Collège : Texte de Andrei Makine

Le sujet  1998 - Brevet Série Collège - Français - Questions Imprimer le sujet
LE SUJET

(Ce texte est extrait d'un roman autobiographique. Il relate une scène d'enfance)


Un jour, je tombai sur une photo que je n'aurais pas dû voir... Je passais mes vacances chez ma grand-mère, dans cette ville aux abords de la steppe russe où elle avait échoué après la guerre. C'était à l'approche d'un crépuscule d'été chaud et lent qui inondait les pièces d'une lumière mauve. Cet éclairage un peu irréel se posait sur les photos que j'examinais devant une fenêtre ouverte. Ces clichés étaient les plus anciens de nos albums. Leurs images franchissaient le cap immémorial de la révolution de 1917, ressuscitaient le temps des tsars et, qui plus est, perçaient le rideau de fer très solide à cette époque, m'emportant tantôt sur le parvis d'une cathédrale gothique, tantôt dans les allées d'un jardin dont la végétation me laissait perplexe par sa géométrie infaillible. Je plongeais dans la préhistoire de notre famille...

Soudain, cette photo !

Je la vis quand, par pure curiosité, j'ouvris une grande enveloppe glissée entre la dernière page et la couverture. C'était cet inévitable lot des clichés qu'on ne croit pas dignes de figurer sur le carton rêche des feuilles, des paysages qu'on ne parvient plus à identifier, des visages sans relief d'affection ou de souvenirs. Un lot dont on se dit chaque fois qu'il faudrait, un jour, le trier pour décider du sort de toutes ces âmes en peine...

C'est au milieu de ces gens inconnus et de ces paysages tombés dans l'oubli que je la vis. Une jeune femme dont l'habit jurait étrangement avec l'élégance des personnages qui se profilaient sur d'autres photos. Elle portait une grosse veste ouatée d'un gris sale, une chapka (1) d'homme aux oreillettes rabattues. Elle posait en serrant contre sa poitrine un bébé emmitouflé dans une couverture de laine.

"Comment a-t-elle pu se faufiler, me demandais-je avec stupeur, parmi ces hommes en frac (2) et ces femmes en toilette du soir ?" Et puis autour d'elle, sur d'autres clichés, ces avenues majestueuses, ces colonnades, ces vues méditerranéennes. Sa présence était anachronique, déplacée, inexplicable. Dans ce passé familial, elle avait l'air d'une intruse avec son accoutrement que seules affichaient de nos jours les femmes qui, en hiver, déblayaient les amas de neige sur les routes...


Andreï MAKINE, Le Testament français, 1995.

(1) coiffure de fourrure (mot russe).
(2) habit de cérémonie.



I - GRAMMAIRE


1) "Je tombai", "je passais"
Pour chacun de ces verbes, identifiez le temps utilisé, dont vous préciserez la valeur dans le récit.

2) "Soudain, cette photo !"
Quelles sont les caractéristiques grammaticales de cette phrase et quel est l'effet produit ?

3) "Par pure curiosité"
Précisez la fonction de ce groupe nominal.

4) "Je la vis quand", "C'est au milieu... que je la vis"

a) Quelle est la nature de "la" ?

b) Relevez le groupe nominal représenté, chaque fois, par "la".

c) Que remarquez-vous en ce qui concerne l'utilisation de "la" dans la phrase "C'est au milieu... que je la vis" ?


II - VOCABULAIRE


1) "La préhistoire de notre famille"

a) Quelle est la formation du mot en gras ?

b) Justifiez l'emploi de ce mot en vous appuyant sur quelques expressions du passage allant de "Un jour" à "la préhistoire de notre famille".

2) "Des visages sans relief d'affection ou de souvenirs"

a) Quelle est la figure de style utilisée dans cette expression ?

b) Précisez le sens de cette expression.

3) "L'habit jurait étrangement"

a) Quel est le sens de "jurer" dans la phrase ?

b) Utilisez ce verbe dans une phrase de votre invention dans laquelle il aura un sens différent.

4) "Sa présence était anachronique, déplacée, inexplicable"
Expliquez le sens des deux adjectifs en gras en précisant la nuance qui les différencie.


III - COMPREHENSION


Pour répondre aux questions qui suivent, appuyez-vous sur les questions de grammaire et de vocabulaire.

1) Ce texte est écrit longtemps après la découverte de la photographie.
Trouvez dans le texte des indices qui le prouvent.

2) Comment "cette photo" se distingue-t-elle des autres "clichés" ?
Justifiez votre réponse en vous appuyant sur le texte.

3) Que ressent l'enfant devant cette photo ? Appuyez votre réponse par des citations précises.

LE CORRIGÉ

I - GRAMMAIRE

1) "Je tombai" est au passé simple, tandis que "je passais" est à l'imparfait.
Le passé simple sert à exprimer un événement dans le récit et interrompt le cours des vacances que rend un imparfait à valeur durative.

2) "Soudain, cette photo !" est une phrase exclamative qui marque la surprise, et c'est en même temps une phrase nominale, c'est-à-dire sans verbe.

3) "Par pure curiosité" est complément circonstanciel de cause du verbe "ouvris".

4) a) Dans l'expression "je la vis", "la" est un pronom personnel féminin singulier.

b) Il représente d'abord "cette photo" à la ligne qui précède, puis "une jeune femme".

c) "La" représente un groupe nominal placé après le pronom. Ce qui crée un effet appelé "prolepse".


II - VOCABULAIRE

1) "La préhistoire"

a) "Pré" est un préfixe qui signifie "avant" et modifie le sens du mot "histoire".

b) L'histoire de la famille, celle que l'enfant connaît, semble commencer "après la guerre" de 1914-1918.
Les photos qui évoquent la période qui précède sont les "clichés les plus anciens".
"Ils franchissaient le cap immémorial de la révolution de 1917, ressuscitaient le temps des tsars".

2) "Des visages sans relief d'affection ou de souvenirs"

a) C'est une métaphore.

b) Le mot "relief" est pris au sens figuré, il veut dire "ce qui ressort" ou ce qui donne de la valeur.
Cela signifie que ces photos n'ont aucune valeur particulière, qu'elles ne suscitent ni affection ni souvenirs auxquels on puisse tenir.

3) "L'habit jurait étrangement"

a) "Jurer" veut dire ici "trancher", "ne pas aller du tout avec".

b) Cet homme grossier jure comme un charretier.
Je te jure que je n'ai rien dit du secret que tu m'as confié.

4) "Anachronique" s'applique à un objet, à une personne qui ne correspond pas avec l'époque dans laquelle il ou elle se trouve.
C'est une sorte de "déplacement", mais "déplacé" veut dire simplement "qui n'est pas à sa place".
Il s'agit donc là d'un sens beaucoup plus large.


III - COMPREHENSION

1) Sachant que Makine a écrit et publié Le Testament français en 1995, on peut deviner qu'il évoque des souvenirs qui datent de son enfance : "un jour", "à cette époque".
Il n'est qu'un enfant, il est chez sa "grand-mère" qui vit encore et l'a à sa garde.
Il y a des choses qu'on lui interdit ("que je n'aurais pas dû voir").

2) Cette photo se distingue :

- premièrement parce qu'elle fait partie d'un "lot de clichés qu'on ne croit pas dignes de figurer" dans l'album ;
- deuxièmement parce qu'elle présente un saisissant contraste entre une femme du peuple et "des hommes en frac et des femmes en toilette du soir".
Elle "jure" au milieu d'eux.

3) L'enfant ressent essentiellement une "pure curiosité" qui le pousse à ouvrir l'enveloppe, puis de l'étonnement ("Comment...?").
Cette photo est "inexplicable".

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