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Annales gratuites Bac ES : Croissance et inégalités

Le sujet  2002 - Bac ES - Sciences Economiques et Sociales - Dissertation Imprimer le sujet
LE SUJET

Dans quelle mesure la croissance permet-elle de réduire les inégalités ?

Document 1 :

     La croissance de l'économie française a débouché sur une transformation profonde des modes de vie au cours du siècle [...]. Ce processus s'accompagne d'une amélioration, lente mais bien réelle, des conditions de vie, permise par l'élévation des revenus des ménages : aussi bien les revenus directs, du fait de la répartition des gains de productivité, que les revenus indirects, à travers la redistribution et les biens collectifs offerts par les pouvoirs publics et les organismes de sécurité sociale (éducation, santé, etc.).
     [...] La société de l'abondance demeure pourtant bien loin. Les progrès réalisés n'ont pas été partagés par tous de la même façon, qu'il s'agisse du logement, des soins ou des loisirs. La montée du chômage nourrit les inégalités sociales et une exclusion croissante de cette société riche. Les plus touchés sont les moins qualifiés et les jeunes [...]. Le ralentissement de la croissance fige les hiérarchies sociales et aiguise la "lutte des places".

Source : Alternatives économiques, Hors série n°42, 1999.

Document 2 :

Quelques indicateurs concernant la France

 

1989

1991

1993

1995

1997

1999

Croissance du PIB en volume (en %)

4,3

1,1

- 0,9

1,9

1,9

2,9

Taux de chômage BIT(1) (en %)

9,3

9,4

11,7

11,6

12,4

11,1

Total des emplois précaires (en milliers)

1 367

1 231

1 374

1 675

1 830

2 039

Allocataires minima sociaux (en milliers)

2 194

2 214

2 318

2 401

2 411

2 399

(1)BIT : Bureau international du travail.

Sources : OCDE, INSEE, enquêtes emplois, Direction de la sécurité sociale, SESI.

Document 3 :

Par les possibilités de croissance supplémentaire qu'elle ouvre, la libéralisation commerciale est potentiellement bénéfique aux nations prises, chacune, comme un tout. Mais, à l'intérieur de chaque pays, certains gagnent et d'autres perdent... surtout si la croissance n'est pas au rendez-vous. Ceux qui produisent des biens importés du Sud sont en effet soumis à une pression qui lamine leurs revenus, quand elle ne leur fait pas perdre leur emploi. Ceux qui consomment les biens importés tirent, eux, un avantage appréciable de l'échange [...]. Quelques-uns perdent leur emploi, parfois sans espoir d'en retrouver, le très grand nombre bénéficie d'une amélioration de pouvoir d'achat.
[...] Comme pour le progrès technique, encore une fois, l'échange international ne mène pas magiquement au progrès social !

Source : Anton Brender, L'impératif de solidarité, La Découverte, 1996.

Document 4 :

Si le commerce international ou l'immigration étaient la cause principale des inégalités contemporaines, on observerait un phénomène inégalitaire qui se "limiterait" à une inégalité inter-groupe : les travailleurs sans diplôme s'appauvrissent, les autres s'enrichissent. Or une force beaucoup plus sourde est à l'œuvre : celle d'un éclatement des inégalités au sein de chaque groupe socio-culturel. C'est en effet au sein de chaque tranche d'âge, de chaque catégorie de diplôme, de chaque secteur de l'économie que le phénomène inégalitaire se produit.
[...] La société passe sous l'effet de la scolarisation à un mode de production inégalitaire où les diplômés restent entre-eux, sous-traitant à d'autres les tâches "viles" qu'ils ne veulent pas faire [...]. Cette nouvelle logique d' "appariements sélectifs(1)" serait donc en fait la réponse logique de la société au changement de la composition de sa force de travail.

Source : Daniel Cohen, Richesse du monde, pauvretés des nations, Flammarion, 1997.

(1) Rapprochement d'individus selon certains critères.

Document 5 :

La seconde moitié des Trente glorieuses a, en quelque sorte, "inventé" les classes moyennes par une réduction de la hiérarchie économique, c'est-à-dire par un moindre écart entre les riches et les pauvres [...]. Cette évolution est en fait la conséquence de mouvements complexes et divers qui ne concernent pas seulement l'intensité des inégalités, mais aussi leur structure : la société française de 1956 était encore fortement agricole [...] et plus généralement formée de petits indépendants ruraux dont beaucoup périclitaient. La hiérarchie salariale était plus importante, malgré l'émergence du plein-emploi, les salaires des ouvriers et des employés des services étant nettement plus faibles que la moyenne. Surtout, les victimes silencieuses des années 50 et 60 étaient les personnes âgées [...].
     Depuis, la situation a changé : les agriculteurs ne représentent plus que 4% de la population active et sont soutenus par une politique agricole volontariste ; les travailleurs indépendants croissent de nouveau et leur revenu s'élève plus rapidement que la moyenne. Le troisième âge contemporain, dont les retraites sont issues de carrières complètes et de salaires plus élevés, a un niveau de vie comparable à la moyenne de la population, et dispose de plus de patrimoine que la génération précédente.

Source : Louis Chauvel, "La toupie et le sapin", Sciences humaines, n° 72, mai 1997.

Document 6 :

Quelques indicateurs socio-économiques en France

 

Sont allés au cinéma au cours des 12 derniers mois (en %)

Espérance de vie à 35 ans (en années)

Salaires féminins en % des salaires masculins

1973

1997

1960 - 1969

1982 - 1996

1984

1999

Agriculteurs exploitants

17

23

38,4

43

-

-

Artisans, commerçants,
chefs d'entreprise

28

34

37,9

41,5

-

-

Cadres, professions intellectuelles supérieures

56

65

41,7

44,5

67

75,6

Professions intermédiaires

48

46

39,8

42

79

85,6

Employés

34

34

38,2

40

80,4

90,1

Ouvriers

25

24

36,2

38

77

81,5

Sources : d'après INSEE, TEF, cédérom, 2000 / 2001, et Données sociales, 1999.

Note : Nomenclature des catégories socioprofessionnelles avant 1982 et des professions et catégories socioprofessionnelles après 1982.

LE CORRIGÉ

I - L'ANALYSE DU SUJET

Le sujet proposé en dissertation est une question classique du programme, étudiée dans les thèmes : "Changement social et inégalités" et "Le rôle économique et social des pouvoirs publics". Le libellé du sujet invite à une discussion sur le rôle de la croissance dans la réduction des inégalités. Le candidat peut s'appuyer sur les documents qui cadrent le sujet mais il doit aussi enrichir son devoir par des connaissances personnelles, par exemple sur l'évolution de la société française depuis 1945 ou sur les degrés d'inégalités dans d'autres pays développés : Etats-Unis, Europe du Nord.

II - LE CORRIGE

INTRODUCTION

Les ruptures de croissance économique observées dans les pays riches dans les années 70 ont marqué le début des difficultés économiques et sociales.
Après 1945, la prospérité des "Trente Glorieuses" avait favorisé l'élévation du niveau de vie de la population et une réduction des inégalités sociales.
La crise et la stagnation économique des années 80 et 90, marquée par l'élévation du chômage et de la précarité, ont rendu d'autant plus visible (et difficilement acceptable) le creusement des écarts.
Cependant, le maintien aux Etats-Unis, d'une croissance forte depuis des années, la reprise de la croissance en France depuis 1998 ne semblent pas se traduire par une diminution claire des inégalités dans tous les domaines.
On peut ainsi montrer que si la croissance économique est une condition nécessaire pour la réduction des inégalités sociales, elle n'est pas suffisante.

A) LA CROISSANCE FAVORISE LA REDUCTION DES INEGALITES

1) La croissance permet l'élévation des revenus

Après 1945 le PIB augmente de 5 à 6% par an, les revenus des ménages s'élèvent et favorisent ainsi la croissance (cercle vertueux fordiste).
Les salaires augmentent grâce à une répartition des gains de productivité favorable. La croissance permet de financer la protection sociale (Etat-providence) Doc 1.
Les situations de pauvreté se réduisent. Les besoins élémentaires (alimentation, logement, santé, ...) sont peu à peu satisfaits pour le plus grand nombre.
Les changements structurels induits par la croissance réduisent le poids des catégories défavorisées (petits agriculteurs, ouvriers spécialisés, troisième âge) Doc 5.

2) La croissance transforme le mode de vie de l'ensemble de la population

Au delà du niveau de vie, c'est le mode de vie qui s'améliore : conditions de logement, transport, accès au loisirs plus large, baisse du temps de travail.
L'accès aux soins et à l'école est rendu plus facile, comme l'attestent l'élévation de l'espérance de vie pour toutes les PCS (Doc 6) et l'augmentation des taux de scolarisation.
Cette prospérité ouvre enfin des perspectives de promotion sociale. La mobilité sociale ascendante progresse, grâce à des effets de structure (Cf Thelot) mais aussi à une plus grande égalité des chances.
Le sociologue Henri Mendras montre ainsi le développement des classes moyennes.

Le titre proposé par Louis Chauvel (Doc 5) est significatif des transformations de la stratification sociale : "La toupie et le sapin".

3) Le ralentissement de la croissance provoque une progression des écarts

La montée du chômage (Europe notamment) et de la précarité depuis les années 80 (Doc 2) interrompent le mouvement général d'égalisation. Les revenus des catégories modestes tendent à stagner, la protection sociale connaît des difficultés de financement.
Les théories de la segmentation illustrent bien les clivages qui se forment entre les salariés "protégés" et "exposés".
Les salaires (moyens et médians) continuent d'augmenter dans les années 80 et 90, mais les écarts s'accentuent, comme l'atteste l'augmentation du rapport inter-décile. (D9 / D1).
La reprise de la croissance ne suffira cependant pas pour réduire les inégalités.

B) LA CROISSANCE N'EST PAS UNE CONDITION SUFFISANTE POUR REDUIRE CES INEGALITES

1) Le mode de croissance est déterminant pour le degré d'égalité sociale

La croissance est repartie en France de 1997 à 2001 (Doc 2), mais le taux de chômage, en léger recul (moins de 9% en 2000) reste élevé. La précarité concerne encore plus de 2 millions de personnes (CDD, intérim, contrats aidés, ...) aux Etats-Unis, malgré une croissance forte et un taux de chômage autour de 4%, la part des actifs dépourvus de protection "santé" est très importante.

On montre de plus que, faute de mécanismes d'indexation (SMIC par exemple) les revenus salariaux ne progressent pas forcément au même rythme que le PIB.
Enfin, l'ouverture internationale induit des clivages forts entre les salariés eux-mêmes. (Doc 3).
Ainsi des catégories se trouvent "mises à l'écart", même en période de reprise d'activité : blocage de la promotion sociale, accès inégal aux soins, à l'école, phénomènes d'exclusion ... (Doc 1 et 4).

2) La croissance ne réduit pas facilement les inégalités liées à la culture

L'accès à l'école est conditionné par des inégalités dans la dotation en capital culturel, comme l'a montré Bourdieu.
Les ressources ne sont pas seulement économiques. Ceci limite l'efficacité des politiques d'égalisation des revenus dans le domaine scolaire.
La croissance n'a pas permis d'éliminer les écarts de revenus entre les hommes et les femmes, même s'ils se réduisent (Doc 6). L'explication se trouve en partie dans les comportements des acteurs sociaux, liés à des valeurs, des mentalités difficiles à changer.
Enfin les chiffres montrent le maintien d'inégalités fortes dans le domaine des loisirs : cinéma (Doc 6) mais aussi : musées, types de vacances, pratiques culturelles ...

3) La réduction des inégalités suppose un rôle actif des pouvoirs publics

En cas de ralentissement d'activité, l'Etat intervient par la redistribution (Doc 2). En période de croissance, son action doit se poursuivre. C'est l'exemple que nous donnent certains pays d'Europe du Nord (Suède - Danemark). Par la redistribution (revenus de transfert : 1/3 du revenu disponible des ménages en France), par la fixation d'un salaire minimum (SMIC) ; les pouvoirs publics sont à même d'assurer une répartition plus juste des fruits de la croissance, s'ils le souhaitent.

CONCLUSION

La croissance a parfois été remise en cause dans les années soixante. Aujourd'hui nul ne nie qu'elle a permis un progrès général et une diminution des inégalités. On constate toutefois que, avec le retour du libéralisme dans la gestion de la société, la croissance semble moins bien profiter à tous.
En l'absence de mécanismes "auto-correcteurs", comme les pré-supposent les économistes libéraux comme Friedman, c'est bien encore la place des pouvoirs publics qui est ici interrogée.

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