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Annales gratuites Bac S : Paix perpétuelle

Le sujet  2003 - Bac S - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique Imprimer le sujet
LE SUJET

Expliquer le texte suivant :

La raison (...) énonce en nous son veto irrésistible : Il ne doit y avoir aucune guerre ; ni celle entre toi et moi dans l'état de nature, ni celle entre nous en tant qu'Etats, qui bien qu'ils se trouvent intérieurement dans un état légal, sont cependant extérieurement (dans leur rapport réciproque) dans un état dépourvu de lois - car ce n'est pas ainsi que chacun doit chercher son droit. Aussi la question n'est plus de savoir si la paix perpétuelle est quelque chose de réel ou si ce n'est qu'une chimère et si nous ne nous trompons pas dans notre jugement théorique, quand nous admettons le premier cas, mais nous devons agir comme si la chose qui peut-être ne sera pas devait être, et en vue de sa fondation établir la constitution (...) qui nous semble la plus capable d'y mener et de mettre fin à la conduite de la guerre dépourvue de salut vers laquelle tous les Etats sans exception ont jusqu'à maintenant dirigé leurs préparatifs intérieurs, comme vers leur fin suprême. Et si notre fin, en ce qui concerne sa réalisation, demeure toujours un vœu pieux, nous ne nous trompons certainement pas en admettant la maxime d'y travailler sans relâche, puisqu'elle est un devoir.

Emmanuel Kant, Métaphysique des mœurs, Première partie : Doctrine du droit.

La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

LE CORRIGÉ

I - LES TERMES DU SUJET

On peut relever dans le texte quelques notions clés :

A - LE DEVOIR

Il est ici question d'un impératif de la raison qu'il faut distinguer du fait (c'est-à-dire ici des conflits ou guerres qui peuvent régner entre individus ou Etats).

B - LA PAIX

Elle est ce vers quoi doivent tendre toutes nos actions. Elle signe ainsi la fin au sens d'achèvement d'un état de guerre où règnent des relations antagonistes et violentes entre les Etats.

C - LA FIN

Le terme doit être entendu ici comme ce vers quoi l'homme tend, la finalité de ses actions, comme un idéal qui est au principe de celles-ci.

II - L'ANALYSE DU PROBLEME

L'analyse de Kant repose sur l'opposition du fait et du devoir, de la théorie et de la pratique.
Elle fait valoir que la paix est l'horizon de l'histoire : les conflits armés que l'on observe ne doivent en aucun cas nous conduire à renoncer à cet idéal.
Dès lors, cet idéal apparaît comme ce qui doit guider de façon inconditionnelle nos choix et nos actions, et déterminer sur le plan politique la constitution la plus conforme à cette fin suprême.

III - UNE DEMARCHE POSSIBLE

A - LES ETAPES DE L'ARGUMENTATION

1) "La raison [...] chercher son droit".

Kant énonce ici un constat : la suppression de la guerre, celle qui règne à l'état de nature entre individus ou celle qui affecte les Etats -qui sont d'ailleurs les uns à l'égard des autres dans une situation comparable à l'état de nature puisqu'il n'existe aucune instance régulatrice pour régler les conflits- est un impératif de la raison.
En effet, si la sphère du droit peut se développer, c'est à la seule condition de faire de cet impératif, le principe des décisions et des actions dans le domaine politique sur le plan des nations et sur le plan international.
La raison est ici présentée comme une voix ("énonce") qui dicte un refus de la guerre à laquelle la conscience ne saurait se soumettre.

2) "Aussi la question [...] vers leur fin suprême."

Kant tire une première conséquence de ce constat initial sur le plan politique : au lieu de s'interroger sur la réalité effective de la paix, il faut (c'est un impératif moral) agir comme si cette paix devait se réaliser et établir la constitution, c'est-à-dire l'ordre des lois le plus conforme à l'établissement et à la réalisation de la paix perpétuelle.
Que les états se soient jusqu'ici davantage préoccupés d'établir leur hégémonie au prix de l'extension de la violence, ne doit pas nous faire renoncer à cet idéal de paix.
On voit ici que celui-ci n'est pas un vain principe mais qu'il peut influer sur le devenir de l'histoire humaine.

3) "Et si notre fin [...] puisqu'elle est un devoir."

L'extrait s'achève sur une deuxième conséquence du constat qui se situe ici plus sur un plan moral. En tant qu'elle est un devoir, la maxime "il ne doit y avoir aucune guerre" doit être le principe de toutes nos actions. Que cette maxime demeure une croyance ne supprime en rien sa légitimité : vouloir réaliser la paix perpétuelle ne saurait être considéré comme une erreur.
C'est bien au contraire l'inverse qui constituerait une faute sur le plan moral.
Il y a là un travail qui doit mobiliser tous nos efforts et auquel il faut se consacrer "sans relâche" nous dit Kant.

B - ETUDE CRITIQUE

1) Cet extrait est un plaidoyer inconditionnel en faveur de la paix. Il s'agit pour Kant de montrer le bien fondé de sa position en faisant appel à la notion de devoir.
Il s'agit aussi d'une défense de l'idéal qui loin de constituer une idée vaine parce que non conforme à la réalité, est dotée d'une certaine efficacité en ce qu'il peut ordonner nos actions et par conséquent contribuer à transformer la réalité.

2) On peut objecter à Kant que cette défense inconditionnelle de la paix trouve ses limites dans certaines conditions. Que doit faire un état, par exemple, lorsqu'il est agressé par un autre sans autre motif que celui d'un projet hégémonique ?
Pour atteindre une fin juste (la paix), il faut parfois recourir à des moyens qui ne le sont pas.
Il y a parfois des distorsions ou des incompatibilités entre l'ordre de la politique et celui de la morale.
L'éthique de la responsabilité qui doit prévaloir en politique n'est pas toujours conforme, loin s'en faut, à l'éthique de la conviction.

3) On peut aussi montrer comment le texte de Kant qui date des Lumières, peut être relu à la lueur de l'existence d'une instance internationale chargée de régler les conflits entre états.

IV - DES REFERENCES UTILES

  • Kant : Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique
  • Machiavel : Le Prince
  • Max Weber : Le Savant et le politique
  • V - LE POINT DE VUE DU CORRECTEUR

    Un texte qui ne présente pas de difficultés de compréhension à condition que l'on ait bien saisi que son argumentation repose sur la distinction entre ce qui est et ce qui doit être.
    Attention à ne pas substituer l'exemple à l'analyse.
    L'actualité récente pouvait offrir des pistes de réflexion intéressantes à condition toutefois de ne pas s'en tenir aux faits.

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