Le sujet 2006 - Bac L - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique |
Avis du professeur :
Un sujet classique sur l'origine de la propriété qui demande
qu'on comprenne le rapport établi par l'auteur entre la propriété et le
travail. |
Expliquer le texte suivant :
Celui qui se nourrit des glands qu'il a ramassés sous un
chêne, ou des pommes qu'il a cueillies aux arbres d'un bois, se les est
certainement appropriés. Personne ne peut nier que ces aliments soient à lui.
Je demande donc : Quand est-ce que ces choses commencent à être à lui ?
Lorsqu'il les a digérées, ou lorsqu'il les a mangées, ou lorsqu'il les a fait
bouillir, ou lorsqu'il les a rapportées chez lui, ou lorsqu'il les a ramassées
? Il est clair que si le fait, qui vient le premier, de les avoir cueillies ne
les a pas rendues siennes, rien d'autre ne le pourrait. Ce travail a établi une
distinction entre ces choses et ce qui est commun ; il leur a ajouté quelque
chose de plus que ce que la nature, la mère commune de tous, y a mis ; et, par
là, ils sont devenus sa propriété privée.
Quelqu'un dira-t-il qu'il n'avait aucun droit sur ces glands et sur ces pommes
qu'il s'est appropriés de la sorte, parce qu'il n'avait pas le consentement de
toute l'humanité pour les faire siens ? était-ce un vol, de prendre ainsi pour
soi ce qui appartenait à tous en commun ? si un consentement de ce genre avait
été nécessaire, les hommes seraient morts de faim en dépit de l'abondance des
choses [...]. Nous voyons que sur les terres communes, qui le demeurent par
convention, c'est le fait de prendre une partie de ce qui est commun et de
l'arracher à l'état où la laisse la nature qui est au commencement de la
propriété, sans laquelle ces terres communes ne servent à rien. Et le fait
qu'on se saisisse de ceci ou de cela ne dépend pas du consentement explicite de
tous. Ainsi, l'herbe que mon cheval a mangée, la tourbe qu'a coupée mon
serviteur et le minerai que j'ai déterré, dans tous les lieux où j'y ai un
droit en commun avec d'autres, deviennent ma propriété, sans que soit
nécessaire la cession ou le consentement de qui que ce soit. Le travail, qui
était le mien, d'arracher ces choses de l'état de possessions communes où elles
étaient, y a fixé ma propriété.
Locke, Second Traité du Gouvernement Civil
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas
requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la
compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU TEXTE
Ce texte de Locke traite de la notion de travail, plus précisément des rapports entre le travail et la propriété.
C'est un texte classique qui ne présente pas de difficultés particulières. Vous
devez simplement être attentif au mouvement de l'argumentation qui permet à
Locke d'établir sa thèse concernant les rapports entre travail
et propriété.
Le recours abondant aux exemples sur lesquels repose l'analyse rend la compréhension
du texte assez aisée.
II - L'IDEE PRINCIPALE DU TEXTE
La thèse défendue par Locke est simple : c'est le
travail qui fonde et justifie la propriété. C'est en transformant
les produits que la Nature met à sa disposition que l'homme en devient le propriétaire.
Ce texte répond ainsi à une question : sur quoi
repose la propriété privée ? Comment ce qui est d'abord à la
disposition de tous devient-il la propriété d'un seul ?
L'enjeu du texte est de fixer des limites à la propriété : si en effet,
l'homme n'est propriétaire que de ce qu'il a d'abord transformé grâce à son
travail, il ne peut prétendre étendre sa propriété au-delà de ce travail.
III - LES NOTIONS-CLES DU TEXTE
Ce sont les deux notions de travail
et de propriété qui sont au centre de cet extrait.
Le travail est ici envisagé comme cette activité par laquelle l'homme
s'approprie ou transforme la nature. En travaillant la nature, l'homme la
modifie et s'en empare.
La propriété désigne ici l'acte par lequel les choses naturelles, communes à
tous, sont l'objet d'une appropriation par un seul en vertu du travail qu'il
effectue sur ce donné naturel.
Le texte repose ainsi sur un réseau d'oppositions :
● la nature à l'état brut/la nature transformée
par le travail
● ce qui est commun à tous/ce qui est la propriété d'un seul
● le fait/le droit
IV - LA STRUCTURE DU TEXTE
Le mouvement de l'argumentation est simple :
A. Locke part d'abord d'un constat que personne ne peut mettre en doute : celui qui s'empare des fruits de la nature (par la cueillette ou la récolte) en devient le propriétaire.
B. Il pose ensuite une question concernant ce qui
définit le début de cette appropriation :
quelle est la transformation qui rend cette possession effective ?
Locke distingue ici ce qui relève d'une transformation naturelle comme la
digestion (qui opère selon les processus mêmes de la nature), d'une
transformation qui suppose la médiation de l'activité humaine, autrement dit,
d'un travail.
Et parmi ces activités qui relèvent du travail, il distingue la cueillette des
activités qui transforment le produit (par exemple, les faire bouillir).
Il montre ainsi que c'est le fait de s'emparer des produits de la nature qui
marque le passage d'un moment où ce qui est à disposition appartient à tout le
monde à un moment où l'homme se rend propriétaire d'un bien naturel par son
travail.
C'est donc le travail qui transforme le statut des choses naturelles : de
communes, elles deviennent ainsi la propriété des individus qui les ont
recueillies.
C. Locke répond ensuite à une objection
qui pourrait être opposée à sa thèse.
Quelle est cette objection ? Elle consiste à affirmer contre Locke que ce
n'est pas le travail qui peut justifier la propriété mais qu'il faut, en outre, que l'humanité donne son accord pour cette
appropriation. Il faudrait, selon cette objection, qu'il y ait eu, au préalable,
un consentement universel autorisant chacun à s'emparer des biens de la nature.
Locke montre l'absurdité de cette position : un tel consentement suppose
de différer le moment de la consommation des biens naturels nécessaires à la
survie ; il met donc en danger l'existence même des hommes. Cette position
n'est pas recevable : elle se dissout elle-même.
D. Une fois qu'il a répondu à cette objection, Locke
peut donc reprendre sa thèse pour conclure et montrer que c'est bien le travail
de chacun qui fonde sa propriété sur les choses.
La conclusion, qui porte d'abord sur quelques exemples, procède ensuite à la
généralisation de la thèse.
V - LES PISTES DE DEVELOPPEMENT
Vous pouviez questionner, à la lumière du texte de Locke,
la valeur du travail. En fondant la
propriété sur le travail, Locke en affirme la valeur. Vous pouviez prolonger
cette question et montrer, par exemple, que cette valeur tient aussi à la façon
dont le travail, en même temps qu'il permet de transformer la nature,
transforme l'homme et l'humanise.
Vous pouviez aussi prolonger la thèse de Locke par les analyses de Rousseau,
qui distingue la simple possession (appropriation des biens de la nature) de la
propriété reconnue par le droit.