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Annales gratuites Bac 1ère ES : Fénélon, les aventures de Télémaque

Le sujet  2010 - Bac 1ère ES - Français - Commentaire littéraire Imprimer le sujet
Avis du professeur :
Le texte de Fénelon propose la lecture d'un extrait de récit : il s'agit d'un pays idéal qui n'existe pas et dont la dimension morale est évidente : « ce superflu amollit, enivre, tourmente? » Placé dans la bouche de personnages situés dans les temps mythiques de le Guerre de Troie (Télémaque, Mentor), ce pays prendre la forme d'une réécriture du mythe de l'âge d'or d'Hésiode.
Le vocabulaire relativement accessible présente quelques difficultés, comme le mot « hymen » qui aurait pu être expliqué en note ou le nom « simplicité » assez complexe ici, par ailleurs le texte est un peu long, et surtout on peut s'étonner qu'il ait été coupé.
LE SUJET

Vous commenterez le texte de Fénelon.

TEXTE A - Fénelon, Les Aventures de Télémaque



Télémaque et son précepteur Mentor sont de retour aux abords de I’île de Calypso. Ils rencontrent un capitaine de navire dont le frère Adoam leur livre les dernières nouvelles et leur dépeint un pays extraordinaire, la Bétique.

Le fleuve Bétis coule dans un pays fertile et sous un ciel doux, qui est toujours serein. Le pays a pris le nom du fleuve, qui se jette dans Ie grand Océan, assez près des Colonnes d'Hercule1 et de cet endroit où la mer furieuse, rompant ses digues, sépara autrefois la terre de Tharsis2 d'avec la grande Afrique. Ce pays semble avoir conservé les délices de l’âge d'or. Les hivers y sont tièdes, et les rigoureux aquilons3 n'y soufflent jamais. L'ardeur de l'été y est toujours tempérée par des zéphyrs4 rafraîchissants, qui viennent adoucir l'air vers le milieu du jour. Ainsi toute l'année n'est qu’un heureux hymen du printemps et de l'automne, qui semblent se donner la main. La terre, dans les vallons et dans les campagnes unies, y porte chaque année une double moisson. Les chemins y sont bordés de lauriers, de grenadiers, de jasmins et d'autres arbres toujours verts et toujours fleuris. Les montagnes sont couvertes de troupeaux, qui fournissent des laines fines recherchées de toutes les nations connues. Il y a plusieurs mines d’or et d'argent dans ce beau pays ; mais les habitants, simples et heureux dans leur simplicité, ne daignent pas seulement compter l'or et l'argent parmi leurs richesses : ils n'estiment que ce qui sert véritablement aux besoins de l'homme. Quand nous avons commencé à faire notre commerce chez ces peuples, nous avons trouvé l'or et l’argent parmi eux employés aux mêmes usages que le fer, par exemple, pour des socs de charrue. Comme ils ne faisaient aucun commerce au-dehors, ils n'avaient besoin d'aucune monnaie. Ils sont presque tous bergers ou laboureurs. On voit en ce pays peu d'artisans : car ils ne veulent souffrir que les arts qui servent aux véritables nécessités des hommes ; encore même la plupart des hommes en ce pays, étant adonnés à l'agriculture ou à conduire des troupeaux, ne laissent pas d'exercer les arts nécessaires pour leur vie simple et frugale. (...)

Quand on leur parle des peuples qui ont l'art de faire des bâtiments superbes, des meubles d'or et d'argent, des étoffes ornées de broderies el de pierres précieuses, des parfums exquis, des mets délicieux, des instruments dont l'harmonie charme, ils répondent en ces termes : " Ces peuples sont bien malheureux d'avoir employé tant de travail et d'industrie à se corrompre eux-mêmes ! Ce superflu amollit, enivre, tourmente ceux qui le possèdent : il tente ceux qui en sont privés de vouloir l’acquérir par l'injustice et par la violence. Peut-on nommer bien un superflu qui ne sert qu'à rendre les hommes mauvais ? Les hommes de ces pays sont-ils plus sains et plus robustes que nous ? Vivent-ils plus longtemps ? Sont-ils plus unis entre eux ? Mènent-ils une vie plus libre, plus tranquille, plus gaie ? Au contraire, ils doivent être jaloux les uns des autres, rongés par une lâche et noire envie, toujours agités par l'ambition, par la crainte, par l'avarice, incapables des plaisirs purs et simples, puisqu'ils sont esclaves de tant de fausses nécessités dont ils font dépendre tout leur bonheur.





1 Ainsi sont appelées, dans l’Antiquité, les montagnes qui bordent, du côté de l’Europe et du côté de l’Afrique, le détroit de Gibraltar, aux limites du monde connu.

2 la terre de tharsis : dans l’Antiquité, nom donné à la péninsule ibérique.

3 nom poétique des vents du nord.

4 vents d’ouest, doux, tièdes et agréables.

LE CORRIGÉ

I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU SUJET

Sujet

Contraintes

Vous commenterez le texte de Fénelon

Un extrait des Aventures de Télémaque de Fénelon

Contraintes implicites : il convient de manifester sa connaissance de l'objet d'étude (l'argumentation) et son habileté à organiser ses observations et son analyse. L'extrait proposé est très long, il s'agit de trouver une problématique claire qui permette de structurer le devoir.



Caractéristiques générales du texte attendu 

– Il s'agit de produire un commentaire composé : pas de paraphrase ou de récit reprenant le texte.

– Ce commentaire est écrit comme un essai : arguments, citations extraites du texte, observation des procédés d'écriture, analyse.

– Aucune allusion aux autres textes du corpus n'est demandée ni souhaitable. En conclusion, on peut toutefois proposer des rapprochements.

La recherche de la problématique

La longueur de l'extrait, inhabituelle en commentaire, exigeait une problématique claire. Comment la trouver et peu à peu la préciser ?

La question à 4 points constituait une aide précieuse : les textes cherchent-ils à nous dépayser ou ont-ils une autre visée ?

La composition du passage constituait un autre appui possible. En effet, toute une première partie du passage est entièrement consacrée à la description de la Bétique : donc elle nous dépayse. La deuxième est consacrée à la comparaison entre les habitants de la Bétique et les peuples civilisés : elle vise tout particulièrement à critiquer les peuples civilisés et à faire l'éloge d'un mode de vie en accord avec la nature. Cette deuxième partie a donc une visée argumentative.

Enfin, la petite introduction au texte ouvrait une perspective de lecture. Adoam dépeint aux deux héros "un pays extraordinaire" ; l'adjectif pouvait constituer une piste : un pays qui sort de l'ordinaire, un pays merveilleux. En fait, c'est la définition, en partie, de l'utopie. Les élèves qui ont étudié l'utopie dans l'année (le thème est fréquemment abordé en classe de première) seront donc fortement avantagés car ils auront déjà des grilles de lecture et d'interprétation.

II - PLANS POSSIBLES

1. Plan linéaire

On pouvait suivre donc un plan linéaire, à la condition qu'à l'intérieur de chaque partie il organise tout de même la réflexion :

La description d'un topos : l'utopie, le lieu et les habitants (visée divertissante : dépaysement, il faut plaire au lecteur).

La réflexion sur les peuples civilisés (visée argumentative avec la critique de la civilisation).

2. Plan proposé

Le plan choisi, et qui nous a semblé le plus à même de rendre compte de la richesse du texte, s'appuie sur la composition du passage et est proche de celui que nous venons de proposer. Mais il insiste un peu plus sur la stratégie argumentative de Fénelon (cf. dernière partie).

III - LES PISTES DE REPONSES

Première Partie : la betique, une utopie

Rappeler la définition de l'utopie est utile : étymologiquement, un lieu idéal mais qui n'existe pas. Le passage propose donc d'abord une description. Si l'on veut être très précis (mais un élève de 1ère peut se contenter de quelques notions plus vagues), le texte se réfère plutôt à l'âge d'or décrit par Hésiode : l'auteur grec imagine en effet une période idéale de l'humanité où l'homme vivait dans des "délices" perpétuelles sans souci du lendemain.

1. "L'âge d'or" : le rôle majeur de la nature

La présence d'une nature bienveillante est un des éléments constitutifs de l'âge d'or : le pays a d'ailleurs pris "le nom du fleuve qui le traverse". Cette harmonie se manifeste surtout par l'abondance : énumération des différentes essences d'arbres (lignes 10-11), accumulation des pluriels l. 12-14 pour désigner "les troupeaux" ou les "mines d'or et d'argent". La première caractéristique de la Bétique est d'être "un pays fertile". Plus loin Adoam précise que la terre "porte chaque année une double moisson". Ainsi, nous sommes bien en présence d'un "âge d'or", époque mythique où les hommes vivaient dans une nature maternelle, abondante et satisfaisant à tous leurs besoins.

2. Un temps suspendu

Adoam insiste également sur le caractère immuable de la vie en Bétique : le "ciel doux" est "toujours serein". L’usage réitéré des adverbes "toujours" et "jamais", de même que présent tout au long de la description accentuent ce caractère immuable. Ainsi, le rythme même des saisons semble suspendu : "les hivers y sont tièdes", "l'ardeur de l'été y est toujours tempérée par des zéphyrs rafraîchissants". La métaphore de l'hymen (du mariage) entre l'automne et l'hiver exprime poétiquement cette absence de saisons. D'ailleurs, les arbres sont "toujours verts, toujours fleuris", comme si le cycle ordinaire de la nature n'existait plus.

3. Un lieu improbable

Fénelon, fidèle au topos de l'utopie, donne quelques éléments susceptibles de le situer : "assez près des colonnes d'Hercule et de cet endroit..". La note nous explique que c'est sans doute du côté du détroit de Gibraltar. De même, plus loin, il précise que les peuples de ce pays commercent avec les Grecs. Mais ces ancrages dans la réalité sont peu nombreux. Ils sont un passage obligé du récit : le lieu n'existe sur aucune carte. Il est une pure fiction. On verra plus loin que ses habitants ne sont eux non plus guère vraisemblables.

Transition

Après la description de ce cadre idyllique, Adoam va faire l'éloge des habitants.

Deuxième partie : un mode de vie en accord avec ce cadre

1. La simplicité

La première caractéristique de ces habitants est leur "simplicité" : on peut d'ailleurs noter la redondance "simples et heureux dans leur simplicité". Le mot est réutilisé à la fin de ce portrait rapide des habitants. Ce terme est intéressant car riche de significations : il peut désigner l'honnêteté naturelle, la sincérité, la droiture ; il peut aussi désigner le caractère de celui qui dédaigne le luxe, les raffinements, qui a des goûts sans prétention. Ainsi, ces habitants dédaignent-ils "l'or et l'argent", choisissent-ils des activités proches de la nature comme "bergers ou laboureurs". Surtout ils se contentent de peu : la négation restrictive "ne(…) que", plusieurs fois utilisée montre leur humilité ("ils n'estiment que ce qui sert véritablement aux besoins de l'homme"). Ces vertus sont la source du bonheur : "simples et heureux", on serait tenté d'entendre, simples et donc heureux.

2. Un état primitif de la civilisation

En fait, ce peuple correspond à un état premier de la civilisation : la monnaie n'existe pas encore, le peuple ne fait "aucun commerce au dehors". Leur seule activité est liée essentiellement à l'agriculture : "labourer", utiliser le fer pour fabriquer des "socs de charrues".

Cet état primitif de la civilisation ne cherche que le nécessaire : "véritables nécessités", "arts nécessaires", "besoins de l'homme". Cette notion recouvre tout ce qui est indispensable à la survie et s'oppose au superflu comme le montrera la dernière partie du passage.

3. Un peuple improbable…

Les habitants, comme le cadre dans lequel ils vivent, semblent utopiques. En effet, ils sont "simples", pourtant leur prise de parole finale montre une intelligence très élaborée. Ils sont en effet capables de critiquer l'usage du luxe sans pourtant l'avoir jamais eux-mêmes connu : "Peut-on nommer bien un superflu qui ne sert qu'à rendre les hommes mauvais ?". De plus, ils maîtrisent l'éloquence d'une façon surprenante : questions rhétoriques, rythmes ternaires ou gradations ("Ce superflu amollit, enivre, tourmente ceux qui le possèdent").

Transition

Ces ambiguïtés propres à toute utopie montrent que cette fiction relève essentiellement de la stratégie argumentative de l'auteur. Reste à comprendre de quoi il veut nous persuader.

Troisième Partie : La stratégie argumentative de Fénélon

1. La comparaison entre la Bétique et les peuples civilisés

Le texte opère une comparaison entre les habitants de la Bétique et les peuples civilisés dont Adoam est le porte-parole. Cette comparaison semble d'abord à l'avantage des Grecs ou autres peuples évolués, en tout cas assez évolués pour faire du commerce (l. 16). Adoam évoque en effet tous les signes extérieurs de la civilisation : "des bâtiments superbes", "des meubles d'or et d'argent", "des étoffes ornées de broderies", etc. Cette énumération est à mettre en relation avec l'énumération signalée plus haut pour qualifier la nature abondante de la Bétique. Ici, il s'agit de productions humaines, signes d'une civilisation très raffinée : "parfums exquis", "mets délicieux", "des instruments". Tous les sens sont sollicités : odorat, goût, vue, ouïe. L'harmonie (le mot est cité) paraît parfaite.

Pourtant, cette comparaison évolue au désavantage de la civilisation lorsque les habitants de la Bétique prennent la parole. La question rhétorique "mènent-ils une vie plus libre, plus tranquille, plus gaie ?" appelle une réponse négative. De même, ils sont désignés comme "incapables de plaisirs purs et simples", ou "esclaves de fausses nécessités". On serait d'ailleurs tenté de lire dans "superbes bâtiments" le signe de l'orgueil.

2. La critique de la civilisation comme source de corruption

Ainsi, à travers ce discours, ce qui apparaît est la critique de la civilisation. Les termes dépréciatifs sont nombreux : "corruption", "injustice", "violence", "jaloux", "lâche et noire envie, "ambition", "crainte, "avarice". A la simplicité des hommes naturels s'oppose la liste des passions humaines liées à la civilisation. La source de tous les maux semble être, précisément, dans la recherche du "superflu" : là où les premiers se contentent du nécessaire, les autres se livrent au "travail et à l'industrie". Mais le résultat semble être le malheur" et non le bonheur sans tache de la Bétique.

3. Une stratégie habile

Au final, il faut se demander de quoi veut réellement nous persuader Fénelon. Il fait parler tantôt Adoam, représentant d'un peuple civilisé, puis un habitant de la Bétique. Mais c'est à ce dernier qu'il incombe de donner la leçon au lecteur : le regard de l'étranger s'avère donc utile et même indispensable à la compréhension de soi. La grande habileté de l'écrivain est aussi de multiplier les questions auxquelles nous sommes invités à répondre nous-mêmes. En ce sens la stratégie est pédagogique (n'oublions pas que le texte s'inscrit dans le cadre plus large d'un voyage initiatique et pédagogique : celui de Télémaque et son précepteur Mentor). Il ne nous donne pas toutes les réponses mais nous invite à nous interroger sur les vertus réelles de la civilisation raffinée.

Mais la stratégie est plus habile encore car elle fait passer la leçon par le biais de la fiction. Toute la première partie du passage nous séduit, nous charme, elle nous dépayse. Le lecteur, bercé par la description de ce monde idéal, peut être prêt à entendre sa propre critique et à mieux réfléchir.

Conclusion

L'intérêt du texte est multiple :

  • Il est un exemple de la variation littéraire sur le mythe de l'âge d'or.

  • Il met en place une stratégie argumentative complexe et efficace qui, selon les préceptes chers à la littérature du XVIIe siècle cherche à plaire et instruire à la fois.

  • Il est un modèle que suivront les auteurs du XVIIIe siècle : les deux autres textes du corpus en sont la preuve évidente.

IV - LES FAUSSES PISTES

Pas de réelle fausse piste à signaler. Mais sans doute une grande difficulté à gérer la longueur du texte et la langue du XVIIe siècle.





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