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Annales gratuites Bac 1ère ES : Texte de Balzac

Le sujet  2008 - Bac 1ère ES - Français - Commentaire littéraire Imprimer le sujet
Avis du professeur :

Le commentaire porte sur l'extrait d'un roman de Balzac. Il s'agit d'un portrait qui mêle réalisme et fantastique.
Le texte ne présente pas de difficultés particulières. L'élève ayant déjà étudié la technique du portrait dans n'importe quel autre roman réaliste pourra aisément réutiliser ses connaissances.

LE SUJET


Vous ferez un commentaire du texte de Balzac (texte A). (16 points)

 

TEXTE A - Honoré de Balzac, Le Chef-d'oeuvre inconnu

     L'action de ce roman se déroule en 1612. Fraîchement débarqué à Paris, un jeune peintre
ambitieux, Nicolas Poussin, se rend au domicile de Maître Porbus, un célèbre peintre de
cour, dans l'espoir de devenir son élève. Arrivé sur le palier, il fait une étrange rencontre.

     Un vieillard vint à monter l'escalier. A la bizarrerie de son costume, à la magnificence de son
     rabat1 de dentelle, à la prépondérante sécurité de la démarche, le jeune homme devina dans ce
     personnage2 ou le protecteur ou l'ami du peintre ; il se recula sur le palier pour lui faire place,
     et l'examina curieusement, espérant trouver en lui la bonne nature d'un artiste ou le caractère
 5   serviable des gens qui aiment les arts ; mais il aperçut quelque chose de diabolique dans cette
     figure, et surtout ce je ne sais quoi qui affriande3 les artistes. Imaginez un front chauve,
     bombé, proéminent, retombant en saillie sur un petit nez écrasé, retroussé du bout comme
     celui de Rabelais ou de Socrate ; une bouche rieuse et ridée, un menton court, fièrement
     relevé, garni d'une barbe grise taillée en pointe, des yeux vert de mer ternis en apparence par
 10  l'âge, mais qui par le contraste du blanc nacré dans lequel flottait la prunelle devaient parfois
     jeter des regards magnétiques au fort de la colère ou de l'enthousiasme. Le visage était
     d'ailleurs singulièrement flétri par les fatigues de l'âge, et plus encore par ces pensées qui
     creusent également l'âme et le corps. Les yeux n'avaient plus de cils, et à peine voyait-on
     quelques traces de sourcils au-dessus de leurs arcades saillantes. Mettez cette tête sur un corps
 15  fluet et débile4, entourez-la d'une dentelle étincelante de blancheur et travaillée comme une
     truelle à poisson5, jetez sur le pourpoint6 noir du vieillard une lourde chaîne d'or, et vous
     aurez une image imparfaite de ce personnage auquel le jour faible de l'escalier prêtait encore
     une couleur fantastique. Vous eussiez dit d'une toile de Rembrandt7 marchant silencieusement
     et sans cadre dans la noire atmosphère que s'est appropriée ce grand peintre.

1 rabat : grand col rabattu porté autrefois par les hommes.
2 Ce vieillard s'appelle Frenhofer.
3 affriande : attire par sa délicatesse.
4 débile : qui manque de force physique, faible.
5 truelle à poisson : spatule coupante servant à découper et à servir le poisson.
6 pourpoint : partie du vêtement qui couvrait le torse jusqu'au-dessus de la ceinture.
7 Rembrandt : peintre néerlandais du XVIIe siècle. Ses toiles exploitent fréquemment la technique du clair-obscur, c'est-à-dire les effets de contraste produits par les lumières et les ombres des objets ou des personnes représentés.

 

LE CORRIGÉ


I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU SUJET

Sujet

Contraintes

Vous ferez un commentaire du texte de Balzac

Contrainte explicite : le commentaire d'un extrait du Chef-d'œuvre inconnu.

Contrainte implicite : il convient de montrer :

son habileté à commenter, en organisant une réflexion qui permette de révéler le sens profond du texte ;

de savoir commenter le style en s'appuyant sur une observation précise des procédés d'écriture.


Caractéristiques générales du texte attendu :
Il s'agit de produire un commentaire composé qui prenne non pas la forme d'une explication de texte, comme à l'oral, et encore moins d'une paraphrase ou d'un récit reprenant le texte.
Ce commentaire doit prendre la forme de la dissertation littéraire, il doit être écrit comme un essai.
L'étude de la forme doit toujours être reliée au fond, à la signification du texte.
Aucune allusion aux textes du corpus, aucune comparaison ne sont demandées, ni souhaitables.

II - LES DIFFERENTS TYPES DE PLANS POSSIBLES

Le plan le plus évident est induit par la question préliminaire : il s'agit d'opposer le réalisme au fantastique. Il s'agit donc d'un plan analytique :
1. Un portrait réaliste
2. Un personnage fantastique

Mais ce plan est incomplet. Il est essentiel d'examiner la question du point de vue (ou focalisation), d'abord parce qu'elle se pose dans tous les portraits, ensuite parce qu'elle est ici particulièrement intéressante. On peut donc enrichir le plan analytique en ajoutant en préambule une partie sur le point de vue :
1. Un double point de vue
2. Un portrait réaliste
3. Un personnage étrange

III - LES PISTES DE REPONSES

Le plan choisi, et qui nous a semblé le plus simple, est de type analytique, il consiste :

1. à étudier le double point de vue qui introduit le portrait ;
2. à étudier les procédés d'illusion réaliste qui permettent de croire à l'existence du personnage ;
3. à montrer comment, malgré ces précisions réalistes, le personnage acquiert une dimension étrange.

PREMIERE PARTIE : LE DOUBLE POINT DE VUE

1. Le point de vue de Nicolas Poussin : créer le mystère

Le vieillard est vu en focalisation interne, à travers le regard d'un "jeune homme" qui le croise par hasard. Ce jeune homme est Nicolas Poussin, jeune peintre ambitieux qui se rend au domicile de Maître Probus, un célèbre peintre de cour, dans l'espoir de devenir son élève. Croisant le vieillard, "il se recula sur le palier pour lui faire place et l'examina curieusement". Le verbe "examina" montre au lecteur que le point de vue est celui de Poussin. L'adverbe "curieusement" signifiant ici avec curiosité, indique que le jeune homme va l'observer avec une grande précision.

Mais l'adverbe nous donne surtout des indications sur ce que ressent Nicolas Poussin. Le jeune peintre est curieux de savoir qui est ce vieillard, il veut donc lever un mystère. Comment faire ?

Il formule une première hypothèse : il "devina dans ce personnage ou le protecteur ou l'ami du peintre". Mais l'alternative "ou (...) ou" laisse penser qu'il ne peut choisir avec certitude l'une ou l'autre des possibilités.

Il formule alors une autre hypothèse : "espérant trouver en lui la bonne nature d'un artiste ou le caractère serviable des gens qui aiment les arts". L'alternative, pour la seconde fois, laisse encore planer le mystère.

Ces hypothèses sont toutes invalidées, comme le dit explicitement l'adversatif "mais" : "mais il aperçut (...) ce je ne sais quoi qui affriande les artistes". Autrement dit, ce vieillard n'est ni un peintre, ni un amateur de peinture, mais peut-être plutôt un modèle. Et encore, ce n'est pas certain. L'expression "je ne sais quoi", soulignée par les caractères italiques, laisse encore le mystère l'emporter.

Le point de vue de Nicolas Poussin introduit donc immédiatement un mystère.

2. Le point de vue du romancier : créer l'illusion réaliste

Etrangement, le narrateur se manifeste et superpose au point de vue du jeune homme le sien propre. Il s'adresse directement au lecteur :
grâce à plusieurs impératifs : "imaginez", "mettez cette tête", "jetez sur ce pourpoint" ;
par la deuxième personne : "vous aurez une image imparfaite", "vous eussiez dit".

Cette adresse directe au lecteur en appelle à son imagination et à sa capacité de se représenter le personnage. Le procédé est habile : le romancier nous fait participer à l'élaboration du portrait, il éveille donc notre curiosité. Il renforce aussi ainsi l'illusion réaliste : le personnage apparaît, au sens strict, sous nos yeux.

Transition
Ce double point de vue crée une ambivalence. Le personnage est si réel qu'on peut se le représenter, en même temps il est extrêmement mystérieux.

DEUXIEME PARTIE : UN PORTRAIT REALISTE

Tout est fait pour permettre au lecteur de croire à l'existence du personnage, ne serait-ce que la présence du jeune Nicolas Poussin comme témoin oculaire (le peintre a évidemment existé !) :

1. Un portrait très organisé :

On commence par l'allure générale, au moment où le jeune homme le voit du haut de l'escalier : "le costume", "la magnificence de son rabat de dentelle" (il ne peut voir que le col), la "démarche".

On continue par le visage au moment où les deux visiteurs se croisent, avec des détails de plus en plus infimes : "front" (vu en premier car le visage est vu de haut), "nez", "bouche", "menton", "yeux", "prunelle", "cils", "sourcils".

Enfin, on termine par le corps ("corps fluet et débile") et le détail du costume : "dentelle", "pourpoint noir", "lourde chaîne d'or".

Cette organisation, tout en créant l'illusion réaliste, donne des indications sociales sur le personnage : à en croire son costume ("magnificence", "dentelle étincelante et travaillée", "lourde chaîne d'or"), il est vraisemblablement très riche. Il semble aussi très sûr de lui, on peut en déduire un statut social imposant : "la prépondérante sécurité de sa démarche".

2. Une caractérisation très précise

Le narrateur utilise beaucoup d'adjectifs pour caractériser tous les éléments cités : "arcades saillantes", "nez écrasé", etc. (pour plus de détails, cf. réponse à la question).

Toutes ces précisions permettent de se représenter un homme âgé : "un vieillard", "visage (...) flétri par les fatigues de l'âge" ; la pilosité a presque disparu : "les yeux n'avaient plus de cils, et à peine voyait-on quelques traces de sourcils" ; le regard est "terni (...) par l'âge" ; le corps enfin est "fluet et débile", évoquant la silhouette d'un vieillard.

Transition
Pourtant, malgré ces précisions, c'est le mystère qui l'emporte. Le personnage se révèle inquiétant, voire maléfique, en tout cas étrange.

TROISIEME PARTIE : UN PORTRAIT ETRANGE

Le narrateur transforme son personnage en un être presque surnaturel.

1. En le comparant à un tableau :
la référence finale à "une toile de Rembrandt" ;
les nombreuses références à la lumière ou à la couleur : "étincelante de blancheur", "jour faible de l'escalier", opposition entre le "pourpoint noir" et la "chaîne d'or" ou la blancheur de la dentelle, opposition entre "le vert de mer des yeux" et le "blanc nacré dans lequel flottait la prunelle", tout concourt à faire de lui un portrait en clair obscur.

2. En le transformant en créature inquiétante et fantastique :
Dès le début, le jeune homme remarque "quelque chose de diabolique dans cette figure". Le détail du visage suggère une possible laideur ou en tout cas quelques détails qui ne sont pas sans rappeler le diable : "front (...) proéminent", "une barbe grise taillée en pointe", des yeux sans cils ni sourcils. Le narrateur utilise même l'adjectif "fantastique".
La dernière phrase rend le personnage particulièrement inquiétant puisqu'on a l'impression que le vieillard est une sorte de fantôme échappé d'une toile de Rembrandt : "marchant silencieusement et sans cadre dans la noire atmosphère que s'est appropriée ce peintre". L'antéposition de l'adjectif "noire" lui donne un caractère abstrait : il prend le sens de tragique, inquiétante.
On peut relever certains termes qui renvoient à l'étrange : "curiosité, "bizarrerie", "regards magnétiques au fort de la colère". Et comment interpréter le fait que le jeune homme, le croisant, "se recule" ? Certes, c'est pour "lui faire place", mais on ne peut s'empêcher d'imaginer que c'est parce qu'il est impressionné.

3. Pourtant, quelques notations suggèrent un personnage positif :
Dans ce contexte fantastique, la comparaison avec Socrate et Rabelais ("un nez (...) retroussé du bout comme celui de Rabelais ou de Socrate") est insolite : Socrate incarne la sagesse et Rabelais la farce joyeuse. De même, la bouche est qualifiée de "rieuse", quoique ridée.
Ainsi, à y regarder de plus près, on sent que ce personnage porte un secret, une douleur, et que c'est cela, sans doute, qui le rend inquiétant : le visage est flétri par l'âge autant que "par ces pensées qui creusent également l'âme et le corps". De quoi cet homme a-t-il souffert ? Qu'est-ce qui le torture ? Le mystère reste entier à ce stade de l'histoire.

Conclusion

Le texte est intéressant pour plusieurs raisons :
Il est un bon exemple de la technique réaliste propre à Balzac : créer l'illusion par tous les moyens possibles.
Il est aussi un bon exemple pour montrer que le réalisme n'exclut pas le fantastique, bien au contraire.
Le personnage ainsi créé est riche de possibles. Il suscite la curiosité de Poussin et du lecteur... La suite de l'histoire nous révèlera ce qui tourmente Frenhofer (cf. note 2) : le peintre cherche inlassablement la toile parfaite, il épuise sa vie à cette recherche impossible qui va le conduire à la folie et à la mort. Ceux, parmi lesquels Poussin, qui entreront dans son atelier après sa disparition, feront une étrange découverte :une immense toile, entièrement noircie, souillée, barbouillée... laissant juste apparaître, dans un coin, le pied magnifique d'une femme en train de fuir. Image, sans doute de la beauté ou de l'inspiration, impossibles à fixer dans une œuvre d'art, quelle qu'elle soit.

IV - LES FAUSSES PISTES

 Le commentaire ne présentait pas de difficulté.
Oublier d'étudier les points de vue constituait cependant une impasse gênante.

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