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Annales gratuites Bac 1ère L : Texte de Claude Roy

Le sujet  1996 - Bac 1ère L - Français - Commentaire littéraire Imprimer le sujet
LE SUJET

Le poème suivant a été inspiré à C. ROY par une jeune nageuse endormie sur une plage aux environs de Nice.

"Dormante"

Toi ma dormeuse mon ombreuse ma rêveuse/ ma gisante aux pieds nus sur le sable mouillé/ toi ma songeuse mon heureuse ma nageuse/ ma lointaine aux yeux clos mon sommeillant oeillet/
distraite comme nuage et fraîche comme pluie/ trompeuse comme l'eau légère comme vent/ toi ma berceuse mon souci mon jour ma nuit/ toi que j'attends toi qui te perds et me surprends/
la vague en chuchotant glisse dans ton sommeil/ te flaire et vient lécher tes jambes étonnées/ ton corps abandonné respire le soleil/ couleur de tes cheveux ruisselants et dénoués/
Mon oublieuse ma paresseuse ma dormeuse/ toi qui me trompes avec le vent avec la mer/ avec le sable et le matin ma capricieuse/ ma brûlante aux bras frais mon étoile légère/
je t'attends je t'attends je guette ton retour/ et le premier regard où je vois émerger/ Eurydice(1) aux pieds nus à la clarté du jour/ dans cette enfant qui dort sur la plage allongée

CLAUDE ROY, "Clair comme le jour" (paru en 1943)


(1) Piquée par un serpent, Eurydice mourut sur le rivage. Son époux, Orphée, tenta en vain de la ramener des Enfers.


A - QUESTIONS

Les réponses à ces questions doivent être entièrement rédigées.

1. Relevez dans le texte un exemple d'opposition significative.

2. Quelles différences dans la forme observez-vous entre la strophe centrale et les autres strophes du poème ?

3. A quel verbe rattachez-vous le mot "matin" ? Justifiez votre réponse.


B - COMMENTAIRE LITTERAIRE

LE CORRIGÉ

I - FICHE SIGNALETIQUE

Difficulté du sujet : texte facile à comprendre.
Rareté du sujet : auteur bien connu des élèves depuis le collège.
Thèmes abordés : amour, éloignement de la femme aimée, nature.
Compétences requises : versification, figures de style.
Activités demandées : analyse rigoureuse des structures du texte dont il fallait rendre compte dans un plan fondé sur les étapes successives de la lecture.


II - REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR

Texte à la fois riche du point de vue des effets poétiques, et tout à fait abordable (thèmes traditionnels, forme classique malgré l'absence de ponctuation).


III - TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET

A - QUESTIONS

1. Plusieurs oppositions significatives pouvaient être relevées : deux au vers 7 : "berceuse/souci", "jour/nuit", une au vers 16 : "ma brûlante aux bras frais" (opposition chaleur/fraîcheur sous forme d'oxymore).

2. La troisième strophe présente notamment une différence grammaticale avec les autres strophes : les strophes 1, 2 et 4 sont constituées d'une série d'apostrophes désignant la femme à travers une succession d'images. Il s'agit d'une suite de phrases nominales.

En revanche, la strophe 3 -qui annonce par sa structure grammaticale la dernière strophe- comporte plusieurs verbes principaux : glisse, flaire, vient lécher, respire.

La femme et son corps, uniquement interpellés dans les autres strophes, sont ici compléments d'objet (te flaire, lécher tes jambes), complément circonstanciel (dans ton sommeil) ou sujet (ton corps...respire le soleil).

En outre, les rimes de cette strophe sont exclusivement masculines, alors que dans les strophes 1, 2 et 4, on observe une alternance masculines-féminines.

3. On pouvait croire dans un premier temps que le mot "matin" se rattachait à "trompes" et était sur le même plan que "vent, mer et sable".

Il se rattache plus logiquement, du point de vue sémantique, au verbe "j'attends", v.17 -le matin étant l'instant du réveil tant attendu par le poète.


B - COMMENTAIRE

Le poème de CLAUDE ROY s'inscrit dans une tradition lyrique, tant par ses thèmes que par sa forme et l'utilisation qu'il fait de certaines images.

Ecrit au vingtième siècle, il ne comporte guère, mis à part la suppression de la ponctuation, d'innovations, et ne témoigne nullement d'un souci d'avant-gardisme.

Nous étudierons donc comment CLAUDE ROY s'insère dans cette tradition millénaire, tout en y apportant une résonance personnelle.

Si l'amour et la sensualité semblent être les thèmes majeurs du poème, on remarque vite que l'ombre de la mort s'y profile également. A travers le mythe d'Orphée, le texte prend finalement une dimension universelle et intemporelle.

A - AMOUR ET SENSUALITE

1 - Un poème d'amour lyrique
Le poème s'inscrit tout d'abord par sa forme dans la tradition du poème d'amour lyrique : succession d'apostrophes nommant la femme aimée de différentes manières.

La forme est traditionnelle -cinq strophes de quatre alexandrins, toutes à rimes croisées, avec une alternance de rimes féminines et de rimes masculines (sauf strophes 3 et 5), nombreuses anaphores, notamment de la deuxième personne du singulier (toi, opposé à je, strophe 5).

Cette régularité et ces répétitions lui donnent l'allure d'une chanson.

2 - La femme et la nature
L'association étroite de la femme et de la nature s'inscrit également dans la lyrique traditionnelle (cf strophe 2, avec la série de comparaisons : "distraite comme nuage"...).

La nature apparaît, en outre, comme concurrente ou rivale du poète amoureux (vers 14-15).

3 - Présence d'une certaine sensualité
Cette parenté entre la femme et la nature débouche sur une certaine sensualité ; notamment dans la strophe centrale, où la vague est assimilée, par métaphore, à un animal léchant les jambes de la dormeuse.

Le poème présente, en outre, de nombreuses notations concernant les sensations (mouillé, fraîche, respire le soleil...). Cependant, derrière cette nature heureuse, se cache la présence de la mort.

B - PRESENCE DE LA MORT ET INQUIETUDE

1 - Sommeil et mort

L'ombre apparaît dès la première strophe (mon ombreuse) soulignée par l'allitération en "on". L'association du sommeil et de la mort court tout au long du poème (gisante, corps abandonné...).

Le sommeil, perçu par le poète comme une absence, provoque en lui un sentiment d'inquiétude.

2 - Absence et inquiétude

Le sommeil est aussi un éloignement, qui suscite chez le poète une certaine jalousie (strophe 4). La dormeuse est "lointaine", capable de "surprendre", de "tromper" le poète, ou même de l'oublier ("mon oublieuse", vers 13).

3 - Absence et attente

Une certaine impatience vient finalement poindre dans le poème. Si le poète contemplait calmement la femme au début du texte, il se met bientôt à la guetter, à l'attendre (répétition de "je t'attends", strophe 5).

C'est alors qu'apparaît l'image d'Orphée arrachant Eurydice au monde des morts.

C - AUX RACINES DE LA POESIE : LE MYTHE D'ORPHEE

1 - La tradition antique

En glissant de l'idée de sommeil à celle de la mort, le poète se transforme peu à peu en une figure d'Orphée, père des poètes, capable de ramener à la vie (pour un temps) la femme qu'il a perdue.

2 - Un poème intemporel

Cette référence, ainsi que l'absence d'allusion à tout contexte historique, donne au poème un caractère intemporel ; aucun détail particulier n'est donné, tant sur la femme que sur les lieux.

3 - Sommeil et renaissance

L'allusion à Eurydice a quelque chose d'ambigu : elle est à la fois porteuse de l'espoir d'un réveil, et de la menace de mort définitive.

Conclusion : simple poème d'amour en apparence, hymne à la femme endormie portée à des dimensions cosmiques, le poème entrelace finalement des sentiments complexes, associant notamment l'amour à la crainte de la mort.


IV - CONNAISSANCES REQUISES

- Quelques poèmes de tradition lyrique : RONSARD ou plus proches : APOLLINAIRE, ARAGON.

- Procédés grammaticaux (apostrophe, phrases nominales).


V - FAUSSES PISTES

Ne pas passer à côté de la dimension d'angoisse que comporte le texte.

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