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Annales gratuites Bac 1ère ES : Texte de Ionesco

Le sujet  2004 - Bac 1ère ES - Français - Commentaire littéraire Imprimer le sujet
LE SUJET

Vous ferez le commentaire du texte de Ionesco extrait de Rhinocéros (Texte C).

C - Eugène Ionesco (1912-1994), Rhinocéros (1959).
[Au début de la pièce, deux amis se retrouvent, dans une ville où une étrange maladie, "la rhinocérite", transformera peu à peu les habitants, sauf Bérenger, en rhinocéros. Cette transformation constitue une image de la montée du nazisme ou d'autres formes de totalitarisme.]

JEAN, l'interrompant. — Vous êtes dans un triste état, mon ami.
BERENGER. — Dans un triste état, vous trouvez ?
JEAN. — Je ne suis pas aveugle. Vous tombez de fatigue, vous avez encore perdu la nuit, vous bâillez, vous êtes mort de sommeil...
BERENGER. — J'ai un peu mal aux cheveux...
JEAN. — Vous puez l'alcool !
BERENGER. — J'ai un petit peu la gueule de bois, c'est vrai !
JEAN. — Tous les dimanches matin, c'est pareil, sans compter les jours de la semaine.
BERENGER. — Ah non, en semaine c'est moins fréquent, à cause du bureau...
JEAN. — Et votre cravate, où est-elle ? Vous l'avez perdue dans vos ébats !
BERENGER, mettant la main à son cou. — Tiens, c'est vrai, c'est drôle, qu'est-ce que j'ai bien pu en faire ?
JEAN, sortant une cravate de la poche de son veston. — Tenez, mettez celle-ci.
BERENGER. — Oh, merci, vous êtes bien obligeant. (il noue la cravate à son cou.)
JEAN, pendant que Bérenger noue sa cravate au petit bonheur. — Vous êtes tout décoiffé ! (Bérenger passe les doigts dans ses cheveux.) Tenez, voici un peigne ! (Il sort un peigne de l'autre poche de son veston.)
BERENGER, prenant le peigne. —Merci. (Il se peigne vaguement.)
JEAN. — Vous ne vous êtes pas rasé ! Regardez la tête que vous avez. (Il sort une petite glace de la poche intérieure de son veston, la tend à Bérenger qui s'y examine ; en se regardant dans la glace, il tire la langue.)
BERENGER. — J'ai la langue bien chargée.
JEAN, reprenant la glace et la remettant dans sa poche. — Ce n'est pas étonnant !... (Il reprend aussi le peigne que lui tend Bérenger, et le remet dans sa poche.) La cirrhose(1) vous menace, mon ami.
BERENGER, inquiet. — Vous croyez ?...
JEAN, à Bérenger qui veut lui rendre la cravate. — Gardez la cravate, j'en ai en réserve.
BERENGER, admiratif. — Vous êtes soigneux, vous.
JEAN, continuant d'inspecter Bérenger. — Vos vêtements sont tout chiffonnés, c'est lamentable, votre chemise est d'une saleté repoussante, vos souliers... (Bérenger essaye de cacher ses pieds sous la table.) Vos souliers ne sont pas cirés... Quel désordre !... Vos épaules...
BERENGER. —Qu'est-ce qu'elles ont, mes épaules ?...
JEAN. — Tournez-vous. Allez, tournez-vous. Vous vous êtes appuyé contre un mur... (Bérenger étend mollement sa main vers Jean.) Non, je n'ai pas de brosse sur moi, cela gonflerait les poches. (Toujours mollement, Bérenger donne des tapes sur ses épaules pour en faire sortir la poussière blanche ; Jean écarte la tête.) Oh là là... Où donc avez-vous pris cela ?
BERENGER. — Je ne m'en souviens pas.
JEAN. — C'est lamentable, lamentable ! J'ai honte d'être votre ami.
BERENGER. — Vous êtes bien sévère...

(1) cirrhose : maladie du foie.

LE CORRIGÉ

I - LA FICHE SIGNALETIQUE

  • Type de sujet : commentaire.
  • Genre requis : le théâtre et plus précisément le théâtre moderne.
  • Objet d'étude : texte et représentation.
  • Un extrait de l'acte I de Rhinocéros de Ionesco.
  • Il s'agit pour les élèves de rédiger le devoir en totalité : introduction avec un axe problématique qui permettait de trouver les pistes de lecture précises.

    II - LES REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR

    Que dire sur un texte qui apparaît évident aux élèves ? Un dialogue entre deux personnages dans lequel a priori il ne se passe rien. Mais le dialogue théâtral est du XXe siècle, la pièce date précisément de 1959. Plus de dix ans ont passé depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale mais chacun est encore marqué par la montée du nazisme. Le théâtre est représentation mais c'est aussi un moyen d'expression.

    III - UN TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET

    A - INTRODUCTION

    - Eugène Ionesco, dramaturge moderne, très célèbre pour son théâtre dit de l'absurde.
    - Ici, extrait du premier acte de Rhinocéros, nous sommes donc dans une exposition théâtrale, le lancement du drame donc. Cette pièce vient à la suite de la Deuxième Guerre mondiale à un moment où les gens, forcément, sont marqués par la souffrance et les tortures endurées, à un moment où les gens, tout de même, ont besoin de se divertir.
    - D'où la double dimension de cette exposition théâtrale : représentation divertissante et témoignage d'une époque.
    - 2 axes d'étude :
       - Un dialogue théâtral plaisant
       - Un dialogue théâtral signifiant

    B - UN DIALOGUE THEATRAL PLAISANT

    1) Un dialogue alerte entre deux personnages

    Première énonciation théâtrale, deux personnages parlent entre eux : Jean et Bérenger, deux amis a priori. Noter les répliques courtes pour chacun des personnages, pas de tirades. Noter les types de phrases variés (interrogation, injonction...). L'exclamation peut être vue aussi comme renforçant la dynamique du texte, le côté plaisant. Les interjections (Ah, Oh là là...) marquent également le côté vivant.
    Registre comique : les deux amis ont une bien curieuse manière de se parler. La didascalie interne : Bérenger tire la langue ou encore les pieds cachés sous la table.
    Les jeux de scène marqués par les didascalies (qui appartiennent évidemment au discours théâtral) contribuent à rendre le dialogue vivant. La cravate qui sort de la poche, Bérenger qui noue sa cravate ; le peigne qui sort de la poche, la glace.

    2) Un dialogue pour le public

    Deuxième énonciation théâtrale, les personnages informent le public. Rappel de la scène d'exposition d'une tragédie classique où un personnage parle avec son confident ou avec un ami pour le "mettre au courant". Force est de constater que le dialogue théâtral est un moyen d'informer le spectateur d'un conflit ou d'un nœud d'intrigue.
    Mais de quoi nous informe-t-on ? De rien. C'est, semble-t-il, le théâtre du rien. On peut se demander alors quelle est l'action théâtrale... Les seules actions théâtrales sont données dans les didascalies : Jean cherche à rendre Bérenger "visible", celui-ci n'est pas présentable. L'action théâtrale est réduite au fait de fouiller dans ses poches afin d'en tirer des objets. Le public dans cette exposition théâtrale est invité à regarder des personnages qui se regardent eux-mêmes. Noter le motif récurrent de la glace et le "Je ne suis pas aveugle " de Jean. Le dialogue pour le public donne à voir.
    Toutefois, un personnage, Jean, semble dominer l'autre. En effet les répliques de Bérenger semblent vides, presque inutiles. Elles pourraient presque être supprimées. Jean parle et s'écoute parler. Jean est là pour donner des ordres. Il apparaît presque comme celui qui met en scène.

    3) Une tirade de reproches

    On pourrait presque lire la scène sans les interventions de Bérenger. D'ailleurs la première didascalie marque que Jean "interrompt". Ce que dit Jean peut être lu en enfilade. On obtient alors une tirade qui consiste en un simple tissu de reproches. Des reproches sur le physique et l'aspect extérieur de l'autre personnage sur scène. Son odeur ("Vous puez"), son costume ("la cravate") et une allure plutôt dégingandée, "Vous êtes tout décoiffé", "Vous ne vous êtes pas rasé". Il fallait insister ici sur l'utilisation systématique de la forme négative, et sur le jugement très péjoratif de Jean sur Bérenger.
    Pour les reproches, notez la forme injonctive. Les impératifs constituent presque à eux seuls le contenu de cette partie de scène.

    4) Transition

    Nous avons donc insisté sur l'aspect plaisant du dialogue théâtral, ainsi que sur le système de la double énonciation. Toutefois, cette double énonciation qui est celle définie par Anne Ubersfeld dans son Lire le théâtre peut être dépassée, et nous pouvons lire derrière les paroles des personnages un sens livré, peut-être, par l'auteur Eugène Ionesco. C'est la deuxième dimension de ce dialogue théâtral.

    C - UN DIALOGUE THEATRAL SIGNIFIANT

    1) Une scène de début de pièce

    Il fallait noter le côté surprenant d'une telle scène pour marquer l'exposition. En effet, il ne se passe rien a priori. L'action théâtrale n'est pas annoncée. Le seul intérêt de cette scène d'exposition semble être à lire dans les Caractères, c'est-à-dire les personnages eux-mêmes.
    Cet échange dialogué permet de présenter Jean et Bérenger. Jean apparaît comme autoritaire (il utilise l'injonction), il est agressif, il est dédaigneux et presque insultant. A deux reprises, il répète l'adjectif qualificatif "lamentable". En bref, Jean, et c'est ce que nous dit la didascalie, "inspecte Bérenger". Jean est le personnage qui veut de l'ordre (il est offusqué par le désordre "quel désordre !", dit-il quasiment à la fin de notre passage). Il faut être peigné, rasé, cravaté. Bérenger, lui, ne correspond pas, visiblement, à l'idéal de Jean. En effet, ce personnage est "en désordre", ses vêtements sont "tout chiffonnés", il n'est ni peigné ni rasé. De plus, ses répliques sont presque dépourvues de sens. Il utilise le type interrogatif, se questionne sur lui-même, et remercie son ami :"oh merci", dit-il à deux reprises.
    Cette scène d'exposition ne met pas en place une action dramatique à proprement parler, mais plutôt vise à nous présenter deux personnages tout à fait opposés. Dans quel but ?

    2) Hypothèses sur la suite de la pièce

    a) Les personnages annonciateurs de la suite :

    En fait, l'action dramatique se profile derrière les paroles des personnages. Jean sera celui qui suivra les habitants de la ville, qui agira comme les autres, qui ne prendra pas de risques. Jean est celui qui met une cravate, qui se peigne, qui est propre et bien mis. Bérenger est dans le questionnement. Bérenger, d'ailleurs, sera celui qui sera dans le questionnement durant toute la pièce (nous en voulons pour preuve les phrases interrogatives qui presque à elles seules constituent son discours. De plus, notons qu'il est dans le doute : "peut-être", est l'adverbe qu'il emploie ou encore l'expression "c'est drôle".

    b) Le motif de la glace :

    L'intérêt de cette scène d 'exposition est de donner à voir. Cette scène est une espèce d'étrange kaléidoscope : Jean regarde Bérenger. Jean prête une glace à Bérenger pour que celui-ci se regarde. Le spectateur regarde Jean et Bérenger. Ionesco, le dramaturge, nous donne à voir deux personnages en train de dialoguer. Toute l'action théâtrale est à décrypter dans les répliques des personnages.
    Cela dit, le spectateur, le lecteur ne peut qu'être étonné par le vide a priori de cette scène théâtrale. En effet, Ionesco nous donne à voir et à décrypter. Ionesco veut que nous nous interrogions sur la cravate qui nous noue le cou, et qui peut nous égorger. C'est ce motif de la cravate qui serre le cou, qui empêche de respirer. La didascalie est répétée au centre de notre passage, ce qui attire les soupçons du lecteur. L'humain n'est pas obligé de vivre de manière engoncée...

    3) Une critique du conformisme

    a) Une pièce après guerre :

    Rhinocéros de Ionesco est représentée en 1959. Le nazisme a sévi et les mentalités sont encore empreintes de souffrance. On ne peut que voir en Jean un personnage trop conformiste (il porte une cravate, est peigné, est coiffé, parle sans jamais utiliser la modalisation). Jean est celui qui suit, celui qui fait comme les autres, et qui demande que tout le monde fasse comme lui. Bérenger est peut-être "lamentable" pour son ami, il "pue l'alcool", il a la "gueule de bois", il est "sale", et ses vêtements sont "tout chiffonnés". Mais dès ce début de pièce, Bérenger apparaît comme un personnage qui saura s'affirmer par sa différence. C'est le doute, le questionnement, la remise en question de soi, qui fera que Bérenger saura ne pas être conformiste.

    b) Bérenger : l'anti-conformiste :

    Bérenger représente déjà dans ce début de pièce le résistant (l'engagement de Ionesco). En effet, on peut mettre en parallèle cette exposition théâtrale avec le dénouement théâtral. La fin de Rhinocéros est un long monologue de Bérenger. Dans ce monologue, il est seul à ne pas s'être transformé en rhinocéros. Il se regarde dans la glace à nouveau, se trouve différent, mais accepte et est fier de cette différence. La dernière phrase de la pièce est, citons-la : "Je ne capitule pas".

    D - CONCLUSION

    Une scène de théâtre moderne qui présente un double intérêt. Premier intérêt : un divertissement puisqu'il s'agit d'un échange rapide entre deux personnages dans un registre comique. Jean fait des reproches à Bérenger, qui s'étonne, et qui apparaît comme en marge, dès ce début. L'autre aspect du texte est le sens et la lecture que l'on peut en faire. En effet, si Bérenger est moqué dans ce début, il est celui qui est loué par Ionesco à la fin de la pièce. il est celui qu ne capitule pas, celui qui refuse toute forme de totalitarisme ou de conformisme.
    Ionesco, par ce petit jeu malin de cravate, de souliers, de peigne et de glace, dénonce un comportement trop conformiste de l'humain. Rhinocéros est une pièce pour se rappeler et pour réfléchir.

    IV - LES ERREURS A EVITER

    Il fallait essayer de lire cette scène d'un peu près, avec attention et minutie, afin de ne pas tomber dans le piège de la paraphrase. Les élèves étaient mis sur la piste par les quelques lignes qui étaient données en aide à l'élève ("la montée du nazisme", par exemple), et la date de Rhinocéros.
    Attention, le texte théâtral à étudier comportait les noms des personnages, les didascalies et les répliques prononcées.

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