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Annales gratuites Bac Pro Secteur Industriel : Texte et image : L'étranger

Le sujet  2009 - Bac Pro Secteur Industriel - Français - Compétence de lecture Imprimer le sujet
Avis du professeur :
Le sujet porte sur l'exil.
Il est plutôt facile et intéressant (la question des échos entre le texte et la bande dessinée est particulièrement intéressante).
LE SUJET


(10 points)

(3 points)
1. Bande dessinée
Examinez les vignettes (contenu, cadrage, succession...). Comment le dessinateur met-il en images le thème de l'exil et la situation du migrant ?

(3 points)
2. Bande dessinée et texte
Confrontez le texte (ligne 1 à 40) et la planche de bande dessinée. Dans ce passage, dégagez les éléments qui évoquent ceux de la bande dessinée.

(4 points)
3. Texte
Quels indices permettent de dire que pour Monsieur Linh ce voyage est un aller sans retour ? Vous vous appuierez sur la construction du récit et sur le lexique employé.

TEXTE

        C'est un vieil homme debout à l'arrière d'un bateau. Il serre dans ses
    bras une valise légère et un nouveau-né, plus léger encore que la valise. Le
    vieil homme se nomme Monsieur Linh. Il est seul à savoir qu'il s'appelle ainsi
    car tous ceux qui le savaient sont morts autour de lui.
5      Debout à la poupe du bateau, il voit s'éloigner son pays, celui de ses
    ancêtres et de ses morts, tandis que dans ses bras l'enfant dort. Le pays
    s'éloigne, devient infiniment petit, et Monsieur Linh le regarde disparaître à
    l'horizon, pendant des heures, malgré le vent qui souffle et le chahute comme
    une marionnette.
10      Le voyage dure longtemps. Des jours et des jours. Et tout ce temps, le
    vieil homme le passe à l'arrière du bateau, les yeux dans le sillage blanc qui
    finit par s'unir au ciel, à fouiller le lointain pour y chercher encore les rivages
    anéantis.
        Quand on veut le faire entrer dans sa cabine, il se laisse guider sans rien
15 dire, mais on le retrouve un peu plus tard, sur le pont arrière, une main tenant
    le bastingage, l'autre serrant l'enfant, la petite valise de cuir bouilli posée à ses pieds.
        Une sangle entoure la valise afin qu'elle ne puisse pas s'ouvrir, comme
    si à l'intérieur se trouvaient des biens précieux. En vérité, elle ne contient que
20 des vêtements usagés, une photographie que la lumière du soleil a presque
    entièrement effacée, et un sac de toile dans lequel le vieil homme a glissé une
    poignée de terre. C'est là tout ce qu'il a pu emporter. Et l'enfant bien sûr.
        L'enfant est sage. C'est une fille. Elle avait six semaines lorsque
    Monsieur Linh est monté à bord avec un nombre infini d'autres gens
25 semblables à lui, des hommes et des femmes qui ont tout perdu, que l'on a
    regroupés à la hâte et qui se sont laissé faire.
        Six semaines. C'est le temps que dure le voyage. Si bien que lorsque le
    bateau arrive à destination, la petite fille a déjà doublé le temps de sa vie.
    Quant au vieil homme, il a l'impression d'avoir vieilli d'un siècle.
30     Parfois, il murmure une chanson à la petite, toujours la même, et il voit
    les yeux du nourrisson s'ouvrir et sa bouche aussi. Il la regarde, et il aperçoit
    davantage que le visage d'une très jeune enfant. Il voit des paysages, des
    matins lumineux, la marche lente et paisible des buffles dans les rizières,
    l'ombre ployée des grands banians(1) à l'entrée de son village, la brume bleue
35 qui descend des montagnes vers le soir, à la façon d'un châle qui glisse
    doucement sur les épaules.
        Le lait qu'il donne à l'enfant coule sur le bord de ses lèvres. Monsieur
    Linh n'a pas l'habitude encore. Il est maladroit. Mais la petite fille ne pleure pas.
    Elle retourne au sommeil, et lui, il revient vers l'horizon, l'écume du sillage et le
40 lointain dans lequel, depuis bien longtemps déjà, il ne distingue plus rien.
        Enfin, un jour de novembre, le bateau parvient à sa destination, mais le
    vieil homme ne veut pas en descendre. Quitter le bateau, c'est quitter vraiment
    ce qui le rattache encore à sa terre. Deux femmes alors le mènent avec des
    gestes doux vers le quai, comme s'il était malade. Il fait très froid. Le ciel est
45 couvert. Monsieur Linh respire l'odeur du pays nouveau. Il ne sent rien. Il n'y a
    aucune odeur. C'est un pays sans odeur. Il serre l'enfant plus encore contre lui,
    chante la chanson à son oreille. En vérité, c'est aussi pour lui-même qu'il la
    chante, pour entendre sa propre voix et la musique de sa langue.
        Monsieur Linh et l'enfant ne sont pas seuls sur le quai. Ils sont des
50 centaines, comme eux. Vieux et jeunes, attendant docilement, leurs maigres
    effets à leurs côtés, attendant sous un froid tel qu'ils n'en ont jamais connu
    qu'on leur dise où aller. Aucun ne se parle. Ce sont de frêles statues aux
    visages tristes, et qui grelottent dans le plus grand silence.
        Une des femmes qui l'a aidé à descendre du bateau revient à lui. Elle lui
55 fait signe de la suivre. Il ne comprend pas ses mots mais il comprend ses
    gestes. Il montre l'enfant à la femme. Elle le regarde, paraît hésiter, et
    finalement sourit. Il se met en marche et la suit.
        Les parents de l'enfant étaient les enfants de Monsieur Linh. Le père de
    l'enfant était son fils. Ils sont morts dans la guerre qui fait rage au pays depuis
60 des années déjà. Ils sont partis un matin travailler dans les rizières, avec
    l'enfant, et le soir ils ne sont pas revenus. Le vieil homme a couru. Il est arrivé
    essoufflé près de la rizière. Ce n'était plus qu'un trou immense et clapotant,
    avec sur un côté du cratère un cadavre de buffle éventré, son joug brisé en
    deux comme un brin de paille. Il y avait aussi le corps de son fils, celui de sa
65 femme, et plus loin la petite, les yeux grands ouverts, emmaillotée, indemne, et
    à côté de la petite une poupée, sa poupée, aussi grosse qu'elle, à laquelle un
    éclat de la bombe avait arraché la tête. La petite fille avait dix jours. Ses
    parents l'avaient appelée Sang diû, ce qui dans la langue du pays veut dire
    "Matin doux". Ils l'avaient appelée ainsi, puis ils étaient morts. Monsieur Linh
70 a pris l'enfant. Il est parti. Il a décidé de partir à jamais. Pour l'enfant.

(1) Grand figuier de vingt mètres de haut avec des racines aériennes.

Philippe CLAUDEL, La petite fille de Monsieur Linh, Éditions Stock, 2005.


LE CORRIGÉ


I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU SUJET



Sujet

Contraintes

1ère question : Bande dessinée

Examinez les vignettes (contenu, cadrage, succession). Comment le dessinateur met-il en images le thème de l’exil et la situation du migrant?

S’intéresser aux procédés propres à la bande dessinée.

Utiliser le vocabulaire spécialisé proposé, comme «cadrage».

Repérer les éléments qui expriment l’exil et caractériser la situation du migrant.

2ème question : Bande dessinée et texte

Confrontez le texte (lignes 1 à 40) et la planche de bande dessinée. Dans ce passage, dégagez les éléments qui évoquent ceux de la bande dessinée.

Etablir des comparaisons entre le texte et l’image.

Ne s’intéresser qu’au passage demandé : lignes 1 à 40 seulement.

3ème question : Texte

Quels indices permettent de dire que pour Monsieur Linh ce voyage est un aller sans retour? Vous vous appuierez sur la construction du récit et sur le lexique employé.

Montrer qu’il n’y aura pas de retour pour Monsieur Linh.

Relever, pour le prouver, des éléments précis du texte : comme sa progression de l’histoire et le vocabulaire employé.



II – TRAITEMENT DES QUESTIONS

Première question

L’exil et la situation du migrant sont suggérés de plusieurs manières dans cet ensemble de vignettes.

Tout d’abord, il est évoqué par le thème de la séparation. La première vignette représente une famille réunie. Mais l’éloignement progressif opéré par les vignettes 2 et 3 montre qu’il ne s’agissait que d’une photo. Elle est posée près d’un vieil homme seul. Cette photo suggère donc la volonté de garder sa famille près de lui, malgré leur séparation liée à son départ. La tête baissée du vieil homme pourrait suggérer sa tristesse.

De plus, sa solitude s’accroît au fil des vignettes par le cadrage de plus en plus large : il est seul dans une cabine perdue au milieu d’autres cabines, que les vignettes successives font apparaître de plus en plus nombreuses, jusqu’à laisser la place à un immense paquebot, qui rappelle le thème du voyage et donc ici, de l’exil.

Deuxième question

Le texte (des lignes 1 à 40) et la bande dessinée offrent des points communs.

Le lieu de l’action est le même : le paquebot de la dernière vignette répond au «bateau» évoqué dès la ligne 1 du texte. Les vignettes 5, 6 et 7 montrent des cabines qui sont aussi évoquées par le texte, à la ligne 14.

De plus, le personnage principal mis en scène par les vignettes et le texte offre des similitudes : il est représenté seul dans sa cabine par la bande dessinée et il ne parle à personne dans les quarante premières lignes du texte. Dans la bande dessinée, son anonymat est suggéré par l’élargissement progressif du cadrage, qui le fait apparaître perdu au milieu d’une multitude de cabines séparées les unes des autres. Et dans le texte, cet anonymat est mentionné explicitement : "Il est le seul à savoir qu’il s’appelle ainsi."

Enfin, la nostalgie de ce migrant est mise en relief dans les deux documents et par des thèmes similaires, comme la photographie, qui fait l’objet d’un gros plan dans la première vignette et qui est l’un des rares souvenirs contenus dans la valise de Monsieur Linh (ligne 20). De même, l’éloignement du pays natal est suggéré par la dernière vignette qui représente un paquebot au beau milieu de la mer, ce qui met l’accent sur le voyage lui-même dont le texte souligne la longueur : "Six semaines. C’est le temps que dure le voyage".

Troisième question

Plusieurs indices suggèrent que ce voyage est destiné à être sans retour.

Monsieur Linh quitte un pays habité par la violence ("morts dans la guerre", "cadavre"…) auquel il a arraché sa petite fille orpheline. Le texte laisse penser qu’il s’agira pour lui de l’élever à l’abri de cette violence. La fin le fait apparaître clairement : "Il a décidé de partir à jamais. Pour l’enfant".

Cette idée d’un aller simple est aussi suggérée par l’intensité de son émotion : il reste figé à l’arrière du bateau, le regard rivé sur les côtes de son pays natal : "les yeux […] à fouiller le lointain pour y chercher encore les rivages anéantis."

Enfin, le vieillard a emporté "une poignée de terre" de son pays, comme pour en garder un ultime souvenir.


III – Fausses pistes

Dans la question 2, il ne fallait traiter séparément le texte et l’image.



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