Le sujet 2008 - Bac S - Histoire - Etude d'un ensemble documentaire |
Avis du professeur :
Le sujet porte sur les caractéristiques du système colonial
français du milieu du XIXe à 1939. Il s'agit de voir comment s'organise la
colonisation française, ses origines, ses évolutions et les résistances qu'elle
a rencontrées. |
La colonisation et le système colonial français entre le milieu du XIXe siècle
et la fin des années 1930 : quelles caractéristiques ?
Liste des documents :
Document 1 : Jules Ferry et la politique
coloniale française
Document 2 : L'empire colonial français entre les deux guerres
(1919-1939)
Document 3 : Le commerce entre la France et son empire colonial
Document 4 : Affiche du PCF en réaction à la célébration du
centenaire de la conquête de l'Algérie
Document 5 : Maurice Viollette explique son projet de loi dans
la presse
Première partie
Analysez l'ensemble documentaire en répondant aux questions suivantes :
1. Quels sont les arguments de Jules Ferry pour défendre
la politique coloniale de la France à l'époque (document 1) ?
2. A l'aide du document 2, présentez et expliquez la diversité des
modes d'administration de l'empire colonial français en 1939.
3. A partir des documents 3 et 4, présentez la dimension économique de
la colonisation
4. Quelle politique défend Maurice Viollette et pour quelles raisons (document 5) ?
5. Quelles attitudes différentes envers les peuples colonisés apparaissent
dans les documents 1, 4 et 5 ?
Deuxième partie
A l'aide des réponses aux questions, des informations contenues dans les
documents et de vos connaissances personnelles, rédigez une réponse organisée
au sujet :
La colonisation et le système colonial français entre le milieu du XIXe siècle
et la fin des années 1930 : quelles caractéristiques ?
Document 1 : Jules Ferry et la politique coloniale française
Il y a, je crois, quelque intérêt à résumer et à condenser,
sous forme d'arguments, les principes, les mobiles, les intérêts divers qui
justifient la politique d'expansion coloniale. (...) Je disais qu'on pouvait
rattacher ce système à trois ordres d'idées : à des idées économiques, à
des idées de civilisation de la plus haute portée et à des idées d'ordre
politique et patriotique.
Sur le terrain économique, je me suis permis de placer devant vous, en les
appuyant de quelques chiffres, les considérations qui justifient la politique
d'expansion coloniale au point de vue de ce besoin de plus en plus
impérieusement senti par les populations industrielles de l'Europe et
particulièrement de notre riche et laborieux pays de France, le besoin de
débouchés. (...)
Messieurs, il y a un second point, un second ordre d'idées que je dois
également aborder, le plus rapidement possible, croyez-le bien : c'est le
côté humanitaire et civilisateur de la question. Messieurs, il faut parler plus
haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu'en effet les races
supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures... Je répète qu'il y a
pour les races supérieures, un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles.
Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. (...)
Un troisième, plus délicat, plus grave, et sur lequel je vous demande la
permission de m'expliquer en toute franchise. C'est le côté politique de la
question. Il faut que notre pays se mette en mesure de faire ce que font tous
les autres et, puisque la politique d'expansion coloniale est le mobile général
qui emporte à l'heure qu'il est toutes les puissances européennes, il faut
qu'il en prenne son parti, autrement il arrivera... Oh ! pas à nous qui ne
verrons pas ces choses, mais à nos fils et à nos petits-fils ! il arrivera
ce qui est advenu à d'autres nations ,qui ont joué un très grand rôle il y a
trois siècles, et qui se trouvent aujourd'hui, quelque puissantes, quelque
grandes qu'elles aient été, descendues au troisième ou au quatrième rang.
Quand vous direz à vos électeurs : "Voilà ce que nous avons voulu
faire" soyez tranquilles, vos électeurs vous entendront, et le pays sera
avec vous, car la France n'a jamais tenu rigueur à ceux qui ont voulu sa
grandeur matérielle, morale et intellectuelle.
Discours prononcé par Jules Ferry (*), à la Chambre des députés, Ie 28 juillet 1885.
(*) Jules Ferry (1832-1893) a été président du Conseil et ministre des affaires étrangères de 1883 à mars 1885.
Document 2 : L'empire colonial français entre les deux guerres (1919-1939)
Document 3 : Le commerce entre la France et son empire colonial
Part des importations de la France venant de l'empire colonial (en %) |
1890 |
1929 |
1938 |
Caoutchouc |
- |
9,3 |
25,1 |
Graines oléagineuses et arachides |
17,8 |
25 |
54,4 |
Cacao |
3,8 |
56,1 |
88,4 |
Café |
0,4 |
3,7 |
42,7 |
Riz |
11,1 |
80,1 |
93,7 |
Vin |
16,8 |
83,8 |
96,8 |
Part des exportations de la France à destination de l'empire colonial (en %) |
1890 |
1929 |
1938 |
Automobiles |
- |
33,4 |
45,5 |
Machines et mécaniques |
8,1 |
30,7 |
41,2 |
Tissus de coton |
34,8 |
49,9 |
84,6 |
Ciment |
- |
59,1 |
84,1 |
Huile d'arachide |
- |
68,2 |
89,6 |
Sucre raffiné |
12,7 |
83,5 |
98,5 |
Place de l'empire dans le commerce français |
- |
1er partenaire; commercial |
1er partenaire commercial |
Source : d'après Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français,
Edition du Seuil, 1984.
Document 4 : Affiche du PCF en réaction à la célébration du centenaire de la conquête de l'Algérie
Source : Affiche du Parti communiste français et de la CGTU (Confédération générale du travail unifiée), 1930.
Document 5 : Maurice Viollette explique son projet de loi dans la presse
En 1937, Maurice Viollette, ancien gouverneur général d'Algérie, ministre du Front populaire, présente un projet de loi sur l'Algérie. Il propose d'accorder le droit de vote à un nombre restreint de musulmans appartenant à l'élite francisée. Face à l'opposition des colons d'Algérie, Maurice Viollette explique son projet dans la presse nationale.
(...) A la vérité, les colons ont exprimé des idées bien
inquiétantes : elles valent l'attention de tous les hommes de bonne foi et de
tous les bons Français. "Nous avons, disent-ils en gros, la souveraineté
en Algérie ; nous ne voulons pas la partager, nous voulons la conserver
pour nous seuls. Des concessions ont dû être consenties au Sénégal, parce que
les Européens sont peu nombreux dans cette colonie. Mais, par contre, en
Algérie, où nous sommes 800 000, nous sommes en nombre suffisant pour
n'accepter personne à côté de nous."
Le problème est très bien posé, il y a une catégorie ethnique qui ne veut pas
avoir à discuter avec d'autres le pouvoir que le fait de la colonisation lui a
remis. Donc, il est bien entendu que, quel que soit le nombre des indigènes,
sept millions, dix millions, quinze millions, ils resteront éternellement, et
comme par le décret de je ne sais quelle divinité raciale, les sujets des 800 000
Européens devenus 2 millions ou 1 200 000.
Je dis clairement que je considère un tel langage comme absolument fou.
D'abord, comment prétendre tenir sous la loi formidable du nombre ? Comment
espérer continuer à rabaisser ces générations qui, d'année en année, se
grossissent de plus d'intellectuels, de grands industriels, de grands
commerçants, d'ouvriers conscients (...) ?
Source : extrait de l'article du journal Paris-Soir,
7 mars 1937.
I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU SUJET
Ce sujet appartient à la deuxième partie du programme d'histoire de la série S "Colonisation et indépendance". Il ne présente pas de difficulté particulière. Il s'agit de répondre avec précision aux questions posées en apportant, au besoin, ses connaissances personnelles et, dans un deuxième temps, de rédiger une synthèse répondant à la problématique.
II - LA PROBLEMATIQUE
Quelles sont les caractéristiques de la colonisation française entre le milieu du XIXe siècle et les années 1930 ?
III - LES REPONSES AUX QUESTIONS
1. Jules Ferry défend la politique coloniale dont il
est l'un des initiateurs au nom de trois arguments :
- D'abord les arguments économiques :
la France a besoin de débouchés pour la production de ses industries. Les
colonies sont un excellent moyen de se les procurer.
- Les arguments humanitaires ou de
civilisation ensuite : les "races supérieures" ont un devoir
humanitaire vis-à-vis des "races inférieures" qu'elles ont le droit
de civiliser.
- Les arguments politiques et patriotiques
enfin : la France doit conserver son rang et son prestige dans le monde en
faisant ce que font toutes les grandes puissances sinon elle risque de choir et
se retrouver au bas de la hiérarchie des puissances européennes.
2. En 1939, l'empire colonial français est constitué
de trois types de territoires : les colonies, les protectorats et les
territoires sous mandat.
Les colonies sont administrées directement par
la métropole qui a placé à leur tête un fonctionnaire, le gouverneur. Plusieurs
colonies peuvent être regroupées sous l'autorité d'un gouverneur général comme
en Afrique occidentale.française (AOF) ou en Afrique équatoriale française
(AEF).
Les protectorats (Maroc, Tunisie) sont placés
sous l'autorité d'un résident général français mais conservent formellement leur
administration traditionnelle.
Les territoires sous mandat ont été confiés à la France, à la fin de la Première Guerre mondiale par la SDN pour les conduire vers
l'émancipation. C'est le cas du Togo, du Cameroun, du Liban et de la Syrie. Ce sont d'anciennes colonies allemandes ou ottomanes.
3. L'empire colonial joue un rôle peu important dans
les relations économiques de la France avant les années 1930. En ce qui
concerne les importations en provenance de l'empire colonial, seules les
matières premières agricoles sont recherchées et leur poids est négligeable
(17,8% de graines et oléagineux, 11,1% de riz et 16,8% de vin en 1890). Entre
1930 et 1938, la France importe massivement de ses colonies la majorité de ses
matières premières agricoles (document 3).
En ce qui concerne les exportations, les colonies absorbent peu d'exportations
françaises dans les années 1890. Les années 1930 à 1938 consacrent les colonies
comme principaux débouchés des produits manufacturés français (entre 30 et
98,5% des exportations). On peut en déduire que les relations commerciales
entre la France et ses colonies ne se développent véritablement qu'après 1930
(document 3).
Le document 4 donne une autre vision de la colonisation. Cette affiche éditée
par le syndicat communiste CGTU est une critique violente du système colonial.
Celui-ci est assimilé à une exploitation impitoyable et inique. La mise en
valeur des colonies ne serait réalisée qu'au prix de la misère des indigènes et
pour le seul profit d'une minorité de colons. Il s'agit ici d'une vision
marxiste de la colonisation : c'est au nom de la lutte des classes qu'il faut
combattre la colonisation.
4. Maurice Viollette défend l'octroi de la citoyenneté française à un nombre restreint de musulmans d'Algérie appartenant à l'élite française et assimilée. Maurice Viollette fait cette proposition car il est convaincu que les musulmans qui sont déjà majoritaires en Algérie ne supporteront pas indéfiniment d'être privés de droits politiques sur leur terre natale. Cette vision se heurte à l'aveuglement d'une minorité de colons qui vont faire échouer le projet Blum-Viollette.
5. Les documents 1, 4 et 5 présentent des visions
différentes de la colonisation et des attitudes opposées vis-à-vis des peuples
colonisés. Chez Jules Ferry, l'attitude est paternaliste
et convaincue de la supériorité de la race blanche
sur les autres. Ferry pourrait reprendre à son compte l'argumentaire de Rudyard
Kipling qui voyait dans la colonisation le "fardeau
de l'homme blanc".
Le document 4 se veut délibérément anti-colonialiste et anti-impérialiste.
Quant au document 5, il est conscient des aménagements à apporter au
système colonial pour qu'il se maintienne. La réalité d'un monde en évolution
auquel il faut s'adapter pour perdurer semble être la préoccupation de l'auteur
du document 5.
IV - la réponse organisée à la problématique
La réponse à la problématique doit s'organiser autour des grandes parties suivantes :
A. Les statuts politiques des dominés
a) Des territoires aux statuts administratifs très divers
● colonies
● protectorats
● territoires sous mandat
b) Les types de gestion
● administration directe par la
métropole
● association des peuples colonisés
c) Le statut des peuples colonisés
● sujétion, code de l'indigénat,
travail forcé
● assimilation des élites
d) Présence plus ou moins importante des Européens
● colonie d'exploitation
● colonie du peuplement (Algérie)
B. Les manifestations économiques
a) Domination économique
● recherche de débouchés
● exploitation des matières premières
● exploitation des ressources agricoles (expropriation des meilleures
terres, développement des cultures d'exportation)
● investissement spéculatifs
b) Modernisation
● construction d'infrastructures (avec une main-d'oeuvre indigène grâce au travail forcé)
C. Les manifestations culturelles
a) Développement d'un système scolaire et d'infrastructures de santé
b) Urbanisme sur le modèle européen
c) Mission d'évangélisation
d) Acculturation d'une élite et maintien d'une société à deux vitesses.