Le sujet 2009 - Bac S - Histoire - Explication d'un document d'histoire |
Avis du professeur :
Le texte proposé est une sorte de bilan de la présidence de de Gaulle, vue au travers du regard d'un homme politique étranger : Henry Kissinger. Aucune difficulté majeure dans ce sujet. Les connaissances extérieures devant permettre de répondre aux questions posées sur le texte doivent faire partie des acquis de tout élève arrivant en fin de Terminale. |
La présidence
du général de Gaulle vue par Henry Kissinger
Le
président de la République donna brusquement sa
démission le 28 avril 1969, à la suite d'un référendum
qui lui avait été défavorable, relatif à
des problèmes secondaires : la structure des autorités
locales en France, et une réforme du Sénat.
Démissionner sur des problèmes de cet ordre donna à
penser que le but du référendum était, au moins
en partie, de fournir à de Gaulle un prétexte pour
quitter la présidence. Il avait accompli les actions d'éclat
exigées par les crises qui l'avaient amené au pouvoir.
Il avait consolidé de nouvelles institutions politiques. Il
avait mené à bien la décolonisation de l'Afrique
française tout en sauvegardant la confiance de la France en
elle-même et son prestige dans les anciennes colonies. En
évitant de peu une guerre civile naissante, il avait rendu à
la France son orgueil national en lui donnant un rôle central
dans la politique de l'Europe et de l'Alliance occidentale. Son défi
aux Etats-Unis visait en grande partie à redonner assurance
aux Français.
Mais
les soulèvements étudiants de 1968 avaient ébranlé
de Gaulle. Et les problèmes qui se posèrent à
lui par la suite manquaient d'envergure par rapport à la
vision qu'il avait de lui-même. Assurer le développement
de l'économie, arbitrer entre des revendications dans le cadre
de ressources limitées, organiser et diriger un Etat
bureaucratique, c'était là les tâches de ce qu'il
appelait avec quelque mépris l'"intendance" ;
elles n'étaient pas du ressort des héros. Le référendum
du 27 avril 1969 lui donna l'occasion de partir en beauté et
lui évita cette dégradation de l'autorité qu'il
craignait tant. Et ce fut la solitude de Colombey-les-deux-églises :
de Gaulle ne vit plus aucune personnalité politique, ne fit
plus aucune déclaration, travailla à ses mémoires,
et attendit la mort.
Henry Kissinger, conseiller puis secrétaire d'Etat du Président des Etats-Unis Richard Nixon, A la Maison-Blanche (1968-1973), Fayard, 1979, pour la traduction française
QUESTIONS :
1.
À quelles crises Kissinger fait-il allusion quand il évoque
l'arrivée du général de Gaulle au pouvoir ?
2. Relevez les mesures prises par le général de Gaulle pour y faire face.
3. Quels sont les principaux axes de la politique extérieure du général de Gaulle d'après Kissinger ?
4. Comment l'auteur explique-t-il le départ du général de Gaulle en 1969 ?
5. Quelle
image Kissinger donne-t-il du général de Gaulle ?
I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES
DU SUJET
Le sujet porte sur
la troisième et dernière partie du programme
d'histoire, intitulée "La France de la Ve
République".
Il s'agit d'un texte classique issu des
Mémoires de Henry Kissinger, qui permet de faire le
bilan de la présidence du général de Gaulle,
fondateur de cette Ve République française
et chef de l'Etat entre 1958 et 1969.
Ce témoignage procède
par allusions : l'enjeu du sujet sera donc de les éclairer
grâce à des connaissances personnelles précises,
c'est-à-dire d'éviter la paraphrase... sans pour autant
négliger le texte !
II - LA PROBLEMATIQUE
Il faut toujours réfléchir à l'intérêt du document proposé, qui est révélé ici par le titre : "La présidence gaullienne" est vue par Henry Kissinger (conseiller puis secrétaire d'Etat du Président des Etats-Unis, Richard Nixon), donc par un regard américain, un œil extérieur. Ainsi, le caractère très subjectif des mémoires de tout homme politique sera ici certainement atténué par une relative neutralité. Cela n'aurait pas été le cas si le texte avait été rédigé par un français contemporain du général, qui aurait pu être caricaturalement pro ou anti de Gaulle.
III – LES reponses aux questions
1. Kissinger
fait référence à la célèbre crise
du 13 mai 1958, elle même liée à la crise
algérienne. La France est alors embourbée dans la
guerre de décolonisation de l'Algérie.
Dans le
contexte d'une IVe République très instable,
un nouveau et énième gouvernement (celui du MRP
Pflimlin) semble prêt à négocier avec les
indépendantistes du FLN.
Du coup, une gigantesque
manifestation a lieu à Alger le 13 mai 1958, qui dégénère
en émeute. Mais les "vive de Gaulle" ont fusé
et certains officiers partisans de l'Algérie française
(Massu et Salan) ont mis sur pied un "Comité de Salut
Public", c'est-à-dire une sorte de gouvernement parallèle
qui n'entend plus obéir au gouvernement de la métropole.
On est donc proche de la "guerre civile" et, alors que
l'armée fait pression, le président de la République
René Coty fait appel au "plus illustre des Français",
qui apparaît comme l'homme de la situation pour beaucoup : le
général de Gaulle. Cela met fin à une "traversée
du désert" de 12 ans (il avait démissionné
du Gouvernement provisoire en 1946).
2. D'après
le texte, de Gaulle a "consolidé de nouvelles
institutions politiques" : effectivement, il a accepté
de revenir au pouvoir à condition d'établir une
nouvelle constitution pour la France et d'instaurer une Ve
République, seul remède durable à la crise selon
lui. C'est ainsi que, prenant le contrepied de la Constitution de
1946, il assure la mise en place d'un régime où le
pouvoir exécutif se renforce considérablement grâce
à la nouvelle place donnée au président de la
République : celui-ci peut non seulement nommer le
premier ministre, mais il est aussi le chef des armées et
dispose de trois armes essentielles (droit de dissolution de
l'Assemblée Nationale, utilisation du référendum
pour établir un dialogue direct avec le peuple, utilisation de
l'article 16 lui donnant les pleins pouvoirs en cas de crise grave).
Sa légitimité sera consolidée par la réforme
de 1962 qui permet son élection au suffrage universel direct.
D'autre part, le texte indique que de Gaulle a "mené
à bien la décolonisation de l'Afrique française".
Il a en effet résolu la crise algérienne en mettant fin
à la guerre, qui sera suivie de l'indépendance en 1962.
Mais il a également permis, par la négociation,
l'indépendance de l'Afrique noire en 1960, tout en maintenant
des liens avec la France ("en sauvegardant le prestige de la
France dans les anciennes colonies") dans le cadre de la
"coopération"
3. Si on
regarde maintenant les principaux axes de la politique extérieure
de de Gaulle, Kissinger, dont c'était la spécialité,
perçoit deux caractéristiques :
●
le "rôle central dans la politique de l'Europe et de
l'alliance
occidentale" : de Gaulle (malgré sa conception
particulière d'une "Europe des patries" et sa
méfiance vis-à-vis d'un pouvoir supranational) a
poursuivi la construction européenne largement engagée
par la CECA de 1951 et le Traité de Rome créant la CEE
en 1957 et a œuvré pour le rapprochement avec la RFA ;
mais, dans le contexte de guerre froide, il a aussi ancré la
France au camp "occidental" pro américain (ce fut
flagrant lors de la crise de Cuba de 1962 avec un soutien sans faille
à Kennedy).
● Le "défi aux Etats-Unis" :
Kissinger fait ici référence à la position
d'allié "critiqué" de la France sous de
Gaulle ("alliée mais pas alignée") car le
général tient à l'indépendance de la
France et fustige régulièrement le "leadership
américain" dans les années 1960 ; ici, les
provocations sont nombreuses et on peut en citer une ou deux
(critique du poids du dollar, discours de Phnom-Penh contre la guerre
du Vietnam en 1964, retrait du commandement intégré de
l'OTAN en 1966, le "Vive le Québec libre !" ou
encore la reconnaissance de la Chine et les voyages en Europe de
l'Est dans les pays communistes).
Notez que d'après
Kissinger, les Etats-Unis ne s'en sont guère émus :
pour lui, il s'agissait de "redonner assurance aux Français",
il parle d'"orgueil national" (de Gaulle disait toujours
que la France devait "tenir son rang") mais il considère
que la France est alors une puissance "moyenne" qui ne peut
rivaliser avec les deux supergrands.
4.
D'après
Kissinger, ce départ est en fait largement volontaire car de
Gaulle a lié son destin au résultat d'un référendum
sur des "problèmes secondaires". L'échec du
référendum lui a servi de "prétexte"
pour quitter le pouvoir "en beauté". Kissinger
explique cette stratégie par deux éléments :
"les soulèvements étudiants de 1968 avaient
ébranlé de Gaulle" qui, déjà âgé,
avait ressenti l'usure du pouvoir et avait eu du mal à
décrypter et dénouer cette crise de la jeunesse (penser
à sa mystérieuse et controversée "disparition" :
tactique ou coup de déprime passagère ?).
Deuxième
point : la politique au quotidien ("l'intendance") ne
l'intéressait guère, lui qui avait dû jouer les
"héros" et les sauveurs lors de circonstances
historiques exceptionnelles (Résistance et Seconde Guerre
mondiale, guerre d'Algérie, crise de mai 1968).
Finalement,
les deux éléments se rejoignent sur un point central
selon Kissinger ; de Gaulle ne voulait pas subir une "dégradation"
de son "autorité", déjà chahutée
en 1968.
5. Au bout du compte, Kissinger donne une image largement positive de l'action du général de Gaulle tout en essayant d'en faire une analyse objective et distanciée. Il retrace ses actions les plus efficaces et donne l'impression que de Gaulle a maîtrisé jusqu'au bout son destin en choisissant sa sortie, alors que sa décision en 1969 pouvait apparaître comme un renoncement ou un échec. Mais Kissinger essaie toujours de donner des explications crédibles, y compris à propos des relations transatlantiques (entre France et Etats-Unis). Son admiration pour de Gaulle transparaît cependant quelque peu, par exemple dans la description de la dignité de son retrait de la vie politique, peu avant sa mort en 1970.
IV - LES OUTILS : SAVOIRS ET SAVOIR-FAIRE
Mots-clés |
Principaux acteurs |
Dates |
Ve République |
Kissinger |
13 mai 1958 (retour de de Gaulle au pouvoir) |
Décolonisation |
de Gaulle |
1960 (décolonisation de l'Afrique noire) |
Algérie |
France |
1962 (indépendance de l'Algérie) |
Guerre froide |
Etats-Unis |
1966 (retrait partiel de l'OTAN) |
Construction européenne |
FLN |
Mai 1968 (crise étudiante) |
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27 avril 1969 (échec du référendum et décision de de Gaulle) |
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1970 (mort de de Gaulle) |