Le sujet 1996 - Bac L - Histoire - Commentaire de document |
Document :
Pierre Mendès France prend position sur l'investiture du général de Gaulle
La IVe République périt de ses propres fautes. Ce régime disparaît parce qu'il n'a pas su résoudre les problèmes auxquels il était confronté. [
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Le "système" que le général de Gaulle a si souvent critiqué et qui méritait, en effet, bien des critiques, a échoué. Mais ce n'est pas la République, ce n'est même pas le système parlementaire qui méritent d'être condamnés. Seul, le mauvais usage qui en a été fait nous a réduits à l'impuissance et nous a conduits à tant de déconvenues. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche). [
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Quoi qu'il en coûte aux sentiments que j'éprouve pour la personne et pour le passé du général de Gaulle, je ne voterai pas en faveur de son investiture : et il n'en sera ni surpris ni offensé.
Tout d'abord, je ne puis admettre de donner un vote contraint par l'insurrection et la menace d'un coup de force militaire. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche). Car la décision que l'Assemblée va prendre - chacun ici le sait - n'est pas une décision libre, le consentement que l'on va donner est vicié. (Protestations à droite. -Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche).
Le peuple français nous croit libres ; nous ne le sommes plus.
Car enfin, ce gouvernement, qui nous l'impose ? Hélas ! ce sont les mêmes hommes qui, dans le passé, ont fait échouer toutes les tentatives de règlement raisonnable et humain en Afrique du Nord (Protestations à droite - Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche), qui ont rendu la guerre inévitable, l'ont orientée vers la répression sans issue politique, ont joué sur les nerfs d'une population européenne affolée et exultent en ce moment, parce qu'ils se flattent d'avoir porté le général de Gaulle au pouvoir.
Ah ! puissent-ils être déçus ! Je veux l'espérer pour la France et pour la gloire du général de Gaulle lui-même (Applaudissements sur certains bancs à gauche et à l'extrême gauche).
Certes, il n'a rien révélé des solutions qu'il envisage pour mettre fin à la guerre d'Algérie. Peut-être ne lui convient-il pas de dévoiler un plan précis avant d'être en mesure de le mettre à exécution, en tenant compte des circonstances dans lesquelles l'action doit s'insérer.
On ne peut, dans ces conditions, discuter de telle ou telle des intentions que l'on prête au chef du nouveau gouvernement ; mais l'on connaît assez son intelligence des grands courants de l'Histoire pour être confiant qu'il voudra les orienter dans les voies de la liberté et de l'association.
Seulement, ceux qui l'on conduit au pouvoir le lui permettront-ils ?
Puisse l'Histoire dire un jour que de Gaulle a éliminé le péril fasciste, qu'il a maintenu et restauré les libertés, qu'il a rétabli la discipline dans l'administration et dans l'armée, en un mot qu'il a consolidé et assaini la République. Alors, mais alors seulement, le général de Gaulle incarnera la légitimité.
Extraits du discours de Pierre Mendès France lors du débat d'investiture du général de Gualle, 1er juin 1958
(journal Officiel des Débats de l'Assemblée nationale).
QUESTIONS
1 - Présentez l'auteur et le contexte dans lequel a été prononcé ce discours. Que signifie, pour l'Assemblée Nationale, le fait de voter l'investiture ?
2 - Expliquez le passage "'Le système' que le Général de Gaulle"..."à tant de déconvenues." : quelles ont été les critiques portées sur le fonctionnement du système parlementaire sous la IVème République ? Pouvez-vous donner des exemples de son "impuissance" ?
3 - Quels sont les aspects du problème algérien évoqués dans le texte ?
4 - Comment Pierre Mendès-France justifie-t-il son refus de voter l'investiture ? A quels événements de mai 1958 fait-il allusion ?
5 - En conclusion, indiquez rapidement l'issue du débat et précisez si l'oeuvre politique du Général de Gaulle a répondu aux attentes exprimées dans les quatre dernières lignes du texte.
I - NATURE DU SUJET
L'exercice proposé est un commentaire de documents, ce qui exige tout à la fois des qualités d'analyse et d'interprétation, mais aussi de solides connaissances.
Il s'agit donc :
- de dégager les thèmes essentiels abordés par l'auteur du texte ;
- de les éclairer en s'appuyant sur la connaissance de faits précis ;
- d'en mesurer les limites, interprétations et partis-pris ; bref de rester critique.
Intéressant, ce travail reste un exercice très classique.
II - LES CONNAISSANCES REQUISES
Le texte proposé traite de l'histoire de la France, partie essentielle du programme de terminale.
Plus précisément, le texte évoque le passage de la IVème République à la Vème République, lorsque le Général de Gaulle revient au pouvoir (juin 1958).
Il fallait donc bien connaître :
- la crise de mai-juin 58 qui débute en Algérie ; et d'une façon plus générale, le problème algérien.
- l'histoire et le fonctionnement de la IVème République ;
- mais aussi les institutions de la Vème République.
III - DEMARCHE ET DONNEES PRINCIPALES
Vous pouviez simplement répondre aux questions posées mais il était possible de proposer un commentaire thématique.
A titre d'exemple :
- En introduction, présenter l'auteur du texte et le contexte historique.
- Dans une première partie, traiter des faiblesses de la IVème République.
- Puis évoquer le problème algérien, "fossoyeur" du régime en place.
- Enfin, étudier pourquoi l'auteur est opposé à l'investiture du Général de Gaulle.
Dans le corrigé ci-dessous, nous vous proposons de répondre aux diverses questions.
1 - Pierre Mendès-France est un des leaders du Parti Radical, mais il est surtout reconnu depuis son passage à l'hôtel Matignon en 1954. Homme politique atypique, il fit preuve alors d'une efficacité remarquable notamment dans le règlement de la question indochinoise.
Ce discours est prononcé le 1er juin 1958 : la crise algérienne bat son plein, des généraux français en Algérie sont en "révolte ouverte" avec la métropole.
Le pouvoir est paralysé par les divisions, d'où le recours au "plus illustre des français", le Général de Gaulle.
Voter l'investiture, c'est accorder la confiance et donc désigner un président du Conseil et un gouvernement.
2 - L'instabilité gouvernementale et le jeu des partis politiques constituent le principal reproche fait au régime de la IVème République (d'où le terme de "système").
Il s'en suit une paralysie des institutions et du pouvoir, une incapacité chronique à régler les problèmes politiques qui se posent au pays.
A titre d'exemple :
- vingt et un gouvernements en douze ans ;
- certains d'entre eux durent quelques jours !
- lancinants conflits liés à la décolonisation en Indochine et en Algérie ;
- problèmes monétaires et financiers liés au manque de confiance.
3 - Mendès-France évoque la question algérienne sous les aspects suivants :
- les vaines tentatives pour trouver un règlement pacifique au problème algérien ;
- l'enlisement progressif et la marche à une guerre sans équivoque (cf Appel au contingent en 1956) ;
- le rôle déterminant joué dans cette escalade par les Européens d'Algérie et par les généraux en place ;
- la position d'une large partie de la classe politique française en faveur d'une Algérie française (notamment de Gaulle).
4 - L'auteur ne votera pas l'investiture du général pour les raisons suivantes :
- l'Assemblée agit sous la menace d'un coup d'Etat fomenté par les généraux à Alger.
Elle n'est donc plus libre de décider.
- Il existe une réelle menace fasciste.
- Le Général de Gaulle n'a pas précisé quelle politique il comptait mettre en oeuvre. Comment lui accorder confiance ?
- Pour Mendès-France, la désignation de De Gaulle n'est pas légitime puisqu'elle se fait sous la pression de certains hommes et des événements.
5 - A l'issue du débat d'investiture, le Général obtient la confiance d'une large majorité de l'Assemblée (seuls le PCF et quelques élus comme Mendès-France s'opposent).
La fondation de la Vème République et la restauration de l'autorité de l'Etat sous ce régime témoignent du succès rencontré par De Gaulle.
IV - LES ERREURS A NE PAS COMMETTRE
- Paraphraser le document sans l'expliquer clairement.
- Ne pas s'appuyer sur des connaissances précises.
- Disserter sur le problème algérien ou encore sur les institutions de la IVème République.