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Annales gratuites Bac L : Diderot joue avec les attentes de son lecteur

Le sujet  2007 - Bac L - Littérature - Question Imprimer le sujet
Avis du professeur :

Vous devez montrer que Diderot joue et déjoue les attentes du lecteur.
Le sujet est intéressant. Vous devez montrer que ce roman interroge les cadres romanesques.

LE SUJET


(12 points)

En quoi le roman de Denis Diderot, Jacques le Fataliste et son maître, joue-t-il avec les attentes de son lecteur ?

LE CORRIGÉ


I - L'ANALYSE ET LES DIFFICULTES DU SUJET

Sujet

Contraintes

En quoi le roman de Diderot joue-t-il avec les attentes du lecteur ?

contrainte explicite : Le sujet propose un postulat : "le roman joue avec les attentes du lecteur." Vous devez en montrer la validité.

Il est aussi possible de discuter un tel postulat en interrogeant la figure du lecteur.

 

contrainte implicite : il faudrait aussi se demander, au moins en conclusion, pourquoi Diderot joue avec les attentes du lecteur.

 

dépassement possible : l'énoncé use-t-il de façon pertinente du terme "roman" pour désigner l'oeuvre ?

Caractéristiques générales du texte attendu :

Il s'agit de construire un bref essai dans lequel vous proposez une réponse synthétique à la question posée. Cette réflexion doit être un texte à visée argumentative, fondé sur l'analyse de procédés d'écriture, sur des connaissances, et surtout sur des références au texte au programme.

 

II - LES DIFFERENTS TYPES DE PLANS POSSIBLES

Par un plan dialectique, qui peut s'avérer difficile à dégager. Un lecteur est construit par Diderot : il intervient dans le récit pour poser des questions, s'insurger contre certains propos, critiquer le travail du narrateur... Le lecteur a des attentes qui varient par ailleurs selon son expérience et son époque : ainsi les premiers lecteurs de Diderot n'avaient pas les mêmes attentes que celles d'un lecteur contemporain. Il est probable qu'un candidat au bac L n'a pas les mêmes attentes lorsqu'il ouvre Jacques le fataliste et son maître que son professeur...

Par un plan thématique, c’est celui que nous proposons.

 

III - LES PISTES DE REPONSES

Le plan choisi, et qui nous a semblé le plus simple, est de type thématique. Il consiste à montrer comment et pourquoi Diderot joue avec les attentes du lecteur en considérant divers lieux de jeu. Le propos mime ainsi la découverte de l'oeuvre à travers la lecture.

1. Les apparences trompeuses d'un roman
2. Un narrateur au statut incertain
3. D'un lecteur passif à un lecteur actif

PREMIeRE PARTIE

L'incipit du roman signale d'emblée que le lecteur entre dans un espace de jeu : la polysémie du terme peut être sollicitée puisque le narrateur formule explicitement les questions que se pose tout lecteur au seuil d'un texte narratif (qui fait quoi ? quand ? où ? comment et pourquoi ?). Il exhibe ainsi le caractère artificiel de certaines entrées romanesques et refuse dans le même temps de s'y soumettre. De cette entrée en matière ludique peut naître un jeu au sens de dysfonctionnement : le lecteur est privé d'éléments qu'il juge sans doute nécessaire. Il doit accepter un pacte de lecture nouveau qui semble se construire sur la destruction des conventions et l'adoption d'une esthétique autre.

Le surgissement du dialogue, inscrit dans l'espace de la page selon la typographie propre au texte théâtral signale que l'oeuvre jouera des codes propres à chacun de ces genres. Certains passages sont en effet traités comme de véritables scènes (la dispute du maître et du valet, la confession de l'épouse du marquis des Arcis...) selon l'esthétique du tableau chère à Diderot.

Tout au long de la narration, le narrateur s'ingénie à déjouer les attentes du lecteur : ce dernier anticipe sur certains épisodes par référence au modèle romanesque dont semble relever l'oeuvre : "Vous allez croire que c'étaient les gens de l'auberge", "Vous allez croire, lecteur, que ce cheval est celui qu'on a volé au maître de Jacques" et "il ne tiendrait qu' [au narrateur] que tout cela arrivât". Refusant de considérer le récit comme un roman, le narrateur en rejette les éléments convenus.

Transition

L'ouverture de l'oeuvre invite le lecteur à renoncer à des règles contraignantes et à s'amuser avec le récit. Le jeu s'avère plus complexe qu'il y paraît puisqu'il met en question le processus de création littéraire lui-même.

DEUXIeME PARTIE

Le lecteur s'en remet au narrateur en ce qui concerne la conduite du récit.

Or, celle de Jacques le fataliste... n'obéit pas à une construction apparente : digressions, interruptions, péripéties obligent le lecteur à un effort de concentration. Il est ainsi appelé à s'interroger sur les raisons d'un tel entrelacement.

Le narrateur est aussi le garant de la "vérité" de l'histoire narrée. Dans le roman, la vérité n'est bien souvent qu'apparence de vérité, vraisemblance. Le narrateur de Jacques le fataliste... prétend restituer une histoire vraie, refusant précisément de la transformer en roman.

Pourtant le lecteur en vient à douter de la confiance à accorder à ses affirmations. En effet, le narrateur avoue qu'il oublie certaines choses puis les plaque au moment où elles lui reviennent en mémoire ("Si je ne vous ai pas dit plus tôt... c'est que cela ne m'est pas revenu plus tôt"). L'exemple le plus patent est l'absence de fin du récit : le narrateur s'arrête "parce que je vous ai dit de ces deux personnages tout ce que j'en sais", puis huit jours plus tard procède à une addition à partir de mémoires qu'il a consultés, puis propose encore d'autres pistes de fin. Le lecteur est donc frustré du fin mot de 'histoire.

Transition

Diderot ne suit pas les règles de la narration qui fixe à son époque les catégories littéraires. Son projet ne se borne pas à être original ni à se jouer de son lecteur. Il entend former celui-ci.

TROISIeME PARTIE

Si le monde décrit par l'oeuvre n'offre pas une image fixe et fiable du monde, c'est parce que le réel n'en offre pas davantage.

Sous couvert d'invention romanesque et de jeux littéraires, Diderot veut sortir le lecteur de ses représentations : le livre n'est pas une source sacrée de savoir dont le lecteur doit attendre une vérité unique. Le grand rouleau sur lequel tout est déjà écrit n'offre aucune certitude sur le déroulement logique des actions. Le monde connaît une crise herméneutique : ainsi, le comportement de Mme de la Pommeraye, blâmé par les personnages, se trouve justifié par le narrateur parce qu'il porte un regard différent sur cette femme.

Conclusion

Diderot refuse donc de satisfaire un lecteur passif. Il entend l'obliger à sortir d'un conditionnement romanesque, fondé sur la croyance (la formule "vous allez croire" revient fréquemment) qui l'éloignerait encore du monde réel sous couvert de vraisemblance. Et c'est parce que le monde est changeant et se joue de l'homme qu'il choisit l'esthétique de la rhapsodie dont les coutures apparentes révèlent la fragilité des apparences.

 

IV - LES FAUSSES PISTES

Il ne fallait pas se contenter d'un seul élément de réponse mais explorer divers moyens de jeu avec le lecteur. Il ne fallait pas forcément valider la proposition dans son intégralité.

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