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Annales gratuites Bac ES : Durkheim, l'éducation morale

Le sujet  2010 - Bac ES - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique Imprimer le sujet
Avis du professeur :
Le texte de Durkheim porte sur les rapports entre le collectif et l'individu, la morale sociale et la morale individuelle.

C'est un sujet aux marges de la philosophie et de la sociologie mais très classique. Il est difficile à débrouiller car il s'efforce de penser l'autonomie des individus dans le cadre de contraintes sociales qui échappent pour une grande part à la conscience des sujets.
LE SUJET

Expliquez le texte suivant :

La morale de notre temps est fixée dans ses lignes essentielles, au moment où nous naissons ; les changements qu’elle subit au cours d’une existence individuelle, ceux, par conséquent, auxquels chacun de nous peut participer sont infiniment restreints. Car les grandes transformations morales supposent toujours beaucoup de temps. De plus, nous ne sommes qu’une des innombrables unités qui y collaborent. Notre apport personnel n’est donc jamais qu’un facteur infime de la résultante complexe dans laquelle il disparaît anonyme. Ainsi, on ne peut pas ne pas reconnaître que, si la règle morale est œuvre collective, nous la recevons beaucoup plus que nous ne la faisons. Notre attitude est beaucoup plus passive qu’active. Nous sommes agis plus que nous n’agissons. Or, cette passivité est en contradiction avec une tendance actuelle, et qui devient tous les jours plus forte, de la conscience morale. En effet, un des axiomes fondamentaux de notre morale, on pourrait même dire l’axiome fondamental, c’est que la personne humaine est la chose sainte par excellence ; c’est qu’elle a droit au respect que le croyant de toutes les religions réserve à son dieu ; et c’est ce que nous exprimons nous-mêmes, quand nous faisons de l’idée d’humanité la fin et la raison d’être de la patrie. En vertu de ce principe, toute espèce d’empiétement sur notre for intérieur nous apparaît comme immorale, puisque c’est une violence faite à notre autonomie personnelle. Tout le monde, aujourd’hui, reconnaît, au moins en théorie, que jamais, en aucun cas, une manière déterminée de penser ne doit nous être imposée obligatoirement, fût-ce au nom d’une autorité morale.

DURKHEIM, L’éducation morale



La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

LE CORRIGÉ

I – PRESENTATION DU TEXTE

Le texte de Durkheim porte principalement sur la morale, mais dans des rapports étroits et complexes avec d'autres notions du programme comme la Conscience, la Liberté, la Culture, la Société, l'Histoire et, peut-être de manière plus lointaine, la Religion.

Ce n'est pas un texte facile dans la mesure où il ne se contente pas d’analyser l’opposition entre morale collective et morale personnelle, il insiste aussi sur l'importance que la morale collective accorde en même temps à la morale personnelle. Il y a donc là un paradoxe à bien poser et à bien comprendre.

Vos éventuelles connaissances acquises sur les théories de l'auteur en cours de S.E.S, et notamment en sociologie, pouvaient vous être utiles pour éclairer et illustrer le sens complexe de ce texte.

II – L’IDEE PRINCIPALE DU TEXTE

L'auteur relève une « contradiction » dans nos sociétés actuelles entre l'exigence, « qui devient tous les jours plus forte » chez l'individu de fonder sa conduite sur sa seule « conscience morale », dans son « for intérieur », et le fait massif de l'importance de la morale collective et de son influence déterminante sur l'individu.

Le problème complexe que relève le texte pourrait donc s'énoncer ainsi : une tendance actuelle de la morale collective, que nous subissons passivement, est paradoxalement d'inciter à l'activité morale et à l'autonomie personnelles, comme si la morale sociale était « travaillée » par un processus de désintégration, ou au moins de contradiction, interne.



III - Le texte

La notion principale du texte est la morale, dans son équivocité. En effet, le mot désigne, d'une part un code collectif et impersonnel lié à des règles sociales plus ou moins explicites, des moeurs, coutumes et usages, et transmis par l'éducation et diverses institutions (l'école par exemple). D’autre part, la morale désigne les principes et les valeurs qu’une personne adopte pour régler sa conduite et orienter son existence. L’équivocité du mot révèle donc une tension entre la soumission passive à une morale collective et la recherche active d'une autonomie morale personnelle.

Durkheim souligne que ce phénomène a tendance à s’accentuer au point de devenir un phénomène massif de nos sociétés actuelles.

Dans un premier temps, le texte insiste sur l'influence déterminante de la morale collective sur les comportements individuels. Il montre comme un fait incontestable (« on ne peut pas ne pas reconnaître ») l'importance de la « passivité » par rapport à « l'activité » morale chez l'individu : « nous  recevons beaucoup plus que nous ne faisons »  la règle morale qui dicte notre conduite.

Dans un second temps, il insiste sur l'exigence actuelle de l'individu à l'autonomie morale, avec toutes les formules ou concepts liés au second sens du mot « morale » : « personne humaine », « for intérieur », « autonomie personnelle ». Cette exigence est présentée comme un phénomène collectif, un fait social comparable au précédent, et, lié à une évolution interne et latente du code moral communautaire (« tout le monde, aujourd’hui, reconnaît »).

Ce que l'on appelle la montée de l'individualisme dans nos sociétés est certainement lié au problème analysé ici. Il pourrait se formuler ainsi : la morale collective est de plus en plus d'avoir une morale personnelle. L’auteur ne fait que le présenter dans toute sa complexité. On peut essayer d'en conjecturer les dangers pour la société et sa cohésion, ou peut-être plus encore les déceptions et illusions de l'individu, sans oublier les promesses possibles de changements et peut-être même de progrès pour notre existence personnelle et sociale.

IV- QUELQUES PISTES DE DEVELOPPEMENT

Durkheim pose dans toute sa simplicité et toute sa difficulté le rapport entre liberté et société, autonomie et hétéronomie. Il le fait d’une façon quelque peu nouvelle au regard des termes traditionnels du débat philosophique dans la mesure où il s’inspire de la méthode et des résultats de la sociologie dont il est l’un des grands fondateurs modernes.

La dimension principale de sa thèse tient au « poids » qu’il accorde à la société dans la vie des individus. Ce qu’un sociologue contemporain, Pierre Bourdieu, a pu nommer l’habitus. Ce mot désigne la manière dont les choses existent deux fois : une fois en dehors de nous dans les sociétés, ses institutions, ses codes, ses mœurs, ses valeurs ; et une fois à l’intérieur de nous, dans la mesure ou par l’éducation, par l’expérience, nous intériorisons le monde social. Dès lors la liberté semble se dissoudre. Les sujets ne seraient que le produit de déterminismes sociaux et n’auraient donc aucune autonomie.

La question est donc de savoir comment l’individu peut récupérer une part d’autonomie et affirmer sa liberté au sein de la société. Durkheim est le premier à souligner qu’il s’agit là d’une exigence morale : « la personne humaine est la choses sainte par excellence ». Il ne s’agit donc pas de nier l’existence de sujets ni la dignité des personnes au sein de la société. Il s’agit plutôt de trouver à concilier le fait avec le droit : le fait des déterminismes sociaux avec le droit à la dignité et à l’autonomie.

Il est clair que la solution à laquelle on pouvait penser devant ce problème est une solution de type spinoziste qui consiste d’abord à reconnaître les déterminismes qui nous définissent et nous gouvernent. Inutile de s’illusionner sur une toute puissante liberté qui n’existe pas. Mais une fois cela posé on peut apprendre à connaître ces déterminismes pour mieux les gouverner. C’est le rôle de la sociologie : à la fois connaissance scientifique (elle décrit par mesures et par lois ce qui est) mais elle fournit aussi les moyens et les outils pour intervenir sur le monde qu’elle décrit et le modifier, par exemple à travers la politique. Ce n’est pas pour rien que Pierre Bourdieu définissait la sociologie comme un « sport de combat », c'est-à-dire une manière de se défendre contre les déterminismes qui pèsent sur la vie de chacun.

L’autonomie n’est possible que dans la mesure où l’on reconnaît ce qui nous détermine au plus profond de nous, quitte ensuite pour chacun de trouver la meilleure façon d’affirmer sa personne et sa liberté à partir de ce que la société a fait de lui.





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