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Annales gratuites Bac L : Faut-il oublier le passé pour se donner un avenir ?

Le sujet  2010 - Bac L - Philosophie - Dissertation Imprimer le sujet
Avis du professeur :
Le sujet portait sur le temps et l'histoire, mais aussi plus incidemment sur la liberté. Il s'agissait de réfléchir aux liens qui unissent le passé à l'avenir sans peut-être omettre de passer par le présent. L'enjeu étant la liberté des sujets dans le temps.

C'était un sujet très « casse-gueule », un de ces sujets qui demande beaucoup de maîtrise rhétorique pour ne pas se noyer dans les connaissances et les ordonner avec pertinence et originalité.
LE SUJET





Faut-il oublier le passé pour se donner un avenir ?



LE CORRIGÉ

Analyse du sujet

L’énoncé du sujet sort un peu des formulations classiques. : on n’y trouve pas explicitement une notion du programme, bien que « passé » et « avenir » permettent d’identifier immédiatement la notion du Temps, associée à celle d’Existence. C’est une question qui demande une certaine finesse d’analyse, une assez grande culture philosophique pour pouvoir convoquer des connaissances issues de différents chapitres du cours, mais aussi une indéniable culture générale (littéraire et historique en particulier). En effet, le sujet permet d’aborder des notions aussi différentes que l’Histoire, la Conscience, l’Inconscient, le Sujet, le Temps et l’Existence… La grande difficulté du sujet est donc d’articuler logiquement les différentes questions qu’il invite à se poser, et de choisir un axe, sans s’éparpiller : ici, on vous donnera plutôt les pistes possibles.

Le passé et l’avenir sont deux des trois temps qui constituent l’existence : le passé est ce qui n’est plus (c’est aussi l’objet de l’histoire) et l’avenir ce qui n’est pas encore, et qui va se produire. Le troisième temps, absent du sujet, c’est le présent : c’est dans le présent que l’on peut se tourner vers l’avenir (anticipation) ou vers le passé (souvenir). Ce sujet porte donc sur le rapport de la conscience au temps et ses conséquences pour l’existence de l’homme.

On doit s’étonner de la question de savoir s’il faut oublier le passé : en effet, l’oubli n’est pas volontaire, et on ne peut pas décider d’oublier quelque chose (le paradoxe est alors qu’on doit se souvenir de ce qu’il faut oublier !). On peut d’ailleurs opposer ainsi la mémoire et l’oubli : si on peut chercher à se souvenir, il est difficile, voire impossible de se forcer à oublier.

La difficulté principale du sujet tient sans doute à l’analyse de l’expression « se donner un avenir ». En effet, on peut penser que le fait d’avoir ou non un avenir ne dépend pas de nous ; dans ce cas, il faut se demander ce que peut signifier « avoir un avenir » par rapport à « ne pas en avoir ». On peut alors comprendre qu’avoir un avenir c’est pouvoir vivre quelque chose de nouveau, ne pas être enfermé dans le passé, dans la répétition de ce qui a déjà été, mais aussi éviter de subir les événements et s’en constituer le maître…

Le sujet présuppose que la mémoire du passé, la conservation du passé, ou l’attachement au souvenir peuvent être des obstacles pour aller de l’avant ; par conséquent, l’oubli pourrait permettre de se tourner vers l’avenir. C’est cette idée que le sujet invite à interroger.

La problematique du sujet

En quoi l’oubli du passé peut-il être une condition pour se donner un avenir ? On peut penser aux nostalgiques qui, tournés vers leurs souvenirs, négligent ce qui peut advenir. Cette attitude conduit à se fermer à l’avenir. En revanche, l’oubli du passé est une ignorance de ce qui a conduit jusqu’ici. Celui qui oublie le passé risque de répéter toujours les mêmes erreurs, et de ne jamais rien vivre de nouveau. On peut donc se demander si ce n’est pas au contraire le souvenir du passé qui permet d’ouvrir une perspective sur l’avenir. On peut retrouver ici le sens de la démarche de l’historien, qui s’intéresse au passé non pour le conserver mais bien pour comprendre le présent et éclairer ainsi l’avenir. Enfin, il faut se demander ce qui dépend de nous : peut-on oublier ou se souvenir volontairement ? Quel pouvoir avons-nous sur notre mémoire ? De ce point de vue, il faudra distinguer la mémoire individuelle, la mémoire collective et l’histoire.

La boite à outils : idées et connaissances utiles

La mémoire est souvent valorisée, le fait de se souvenir, l’obligation même de se souvenir du passé, sont souvent rappelés : on y voit le moyen de ne pas répéter les mêmes erreurs, mais aussi de prendre conscience de ce qu’il a fallu pour arriver où nous sommes. Que ce soit individuellement (la richesse des expériences passées) ou collectivement (l’histoire), le souvenir est le plus souvent considéré comme un atout. On parle d’un « devoir de mémoire », on étudie l’histoire, on cherche à rattacher les individus à leur passé à travers des curriculum vitae, etc.

Or, le sujet invite à remettre en cause cette idée : il nous invite à considérer le passé comme un fardeau, un poids qui nous tire en arrière au lieu de nous porter vers l’avant. Plusieurs modèles permettent de donner corps à cette conception de la mémoire :

  • la figure du nostalgique toujours tournée vers un passé glorifié, et fermé au présent et à l’avenir (« c’était mieux avant ») ;

  • la figure de l’hystérique (pour qui le passé ne passe pas selon Freud), dont le présent est paralysé (parfois au sens propre) par l’action inconsciente du passé sur le sujet.

  • la figure de l’homme du ressentiment, telle que Nietzsche la présente, c’est-à-dire de l’homme qui rumine le passé au lieu de se tourner vers l’action. Par opposition, on a la figure de l’enfant, toujours projeté vers le nouveau, et qui oublie immédiatement ce qui un instant avant l’affectait.

Tout cela peut nous conduire à penser que cette valorisation de la mémoire est une erreur, et qu’il faudrait plutôt oublier que se souvenir pour se donner un avenir, c’est-à-dire se rendre disponible pour ce qui peut arriver de nouveau.

Paradoxe alors : comment oublier volontairement ? Si l’oubli est une ignorance du passé, je ne peux pas faire exprès d’oublier, sans savoir ce que j’oublie. Si je sais ce que j’oublie, alors je ne l’ignore pas, sauf mauvaise foi. On peut ainsi retrouver les critiques de l’Inconscient freudien, qu’élaborent Sartre ou encore Alain.

D’ailleurs, on n’oublie pas le passé, mais tel ou tel moment, tel ou tel événement du passé. De la même manière, on ne se souvient pas de la totalité du passé, mais bien de quelques événements. Une amnésie complète, ou inversement une hypermnésie sont toutes deux aussi paralysantes, et font obstacle également à l’émergence d’un avenir ! Voir « Funès ou la mémoire », une nouvelle de Jorge Luis Borgès, où le personnage principal, qui se souvient de chaque événement singulier et de la moindre de ses exceptions, se retrouve alité dans l’obscurité ne supportant plus de vivre quoi que ce soit de nouveau.

Autre difficulté : oublier le passé n’est-il pas un leurre, voire un risque ?

  • Oubli et refoulement : si c’est un oubli, je peux m’en souvenir et donc, ce n’est jamais une disparition complète du passé ; mais si c’est un refoulement, je ne peux pas m’en souvenir. Cela ne signifie pas que le passé a disparu pour autant, mais simplement qu’il est présent à mon insu et qu’il agit sur moi à mon insu : il y a là une illusion de la conscience.

  • D’autre part oublier le passé : cela ne risque-t-il pas de menacer ce qui constitue l’identité même du Sujet ? Comment savoir ce que je suis et donc me donner un avenir, si j’ignore tout de mon passé ? Ici, les analyses de Locke, qui fait de la conscience et de la mémoire les piliers de l’identité du sujet, peuvent se révéler tout à fait pertinentes. « Se donner un avenir » serait alors à comprendre plutôt comme : éviter de se diluer soi-même, de se disperser dans des temps toujours différents et comprendre ce qui, de soi, reste le même pour l’avenir. On peut aussi utiliser les analyses de Proust sur la manière dont un même individu peut, à travers le temps, se diviser en différents « moi », et par opposition celles de Bergson, qui montre comment le présent contient le passé, de telle sorte qu’un sujet est constitué de son passé, et que c’est à partir de là qu’il appréhende l’avenir.

Cela peut aussi bien être compris pour une collectivité : on pensera au projet révolutionnaire qui consiste à faire table rase du passé pour construire un avenir sur des bases entièrement nouvelles. Il s’agit bien de se donner un avenir, mais ici « se donner un avenir », c’est pouvoir décider ensemble de ce qui doit être fait au lieu de subir les événements. Encore faut-il savoir quel est cet « ensemble », or c’est ce que permet l’Histoire entre autres : non seulement comprendre le passé, mais encore constituer une identité collective.

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