Le sujet 2007 - Bac L - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique |
Avis du professeur :
Le texte d'Aristote porte sur la responsabilité individuelle
et défend l'idée que la vie des hommes découle d'abord de leurs actions. |
Expliquez le texte suivant :
En menant une existence relâchée les hommes sont personnellement responsables d'être devenus eux-mêmes relâchés, ou d'être devenus injustes ou intempérants, dans le premier cas par leur mauvaise conduite, dans le second en passant leur vie à boire ou à commettre des excès analogues : en effet, c'est par l'exercice des actions particulières qu'ils acquièrent un caractère du même genre qu'elles. On peut s'en rendre compte en observant ceux qui s'entraînent en vue d'une compétition ou d'une activité quelconque : tout leur temps se passe en exercices. Aussi, se refuser à reconnaître que c'est à l'exercice de telles actions particulières que sont dues les dispositions de notre caractère est-il le fait d'un esprit singulièrement étroit. En outre, il est absurde de supposer que l'homme qui commet des actes d'injustice ou d'intempérance ne veuille pas être injuste ou intempérant ; et si, sans avoir l'ignorance pour excuse, on accomplit des actions qui auront pour conséquence de nous rendre injuste, c'est volontairement qu'on sera injuste. Il ne s'ensuit pas cependant qu'un simple souhait suffira pour cesser d'être injuste et pour être juste, pas plus que ce n'est ainsi que le malade peut recouvrer la santé, quoiqu'il puisse arriver qu'il soit malade volontairement en menant une vie intempérante et en désobéissant à ses médecins : c'est au début qu'il lui était alors possible de ne pas être malade, mais une fois qu'il s'est laissé aller, cela ne lui est plus possible, de même que si vous avez lâché une pierre vous n'êtes plus capable de la rattraper. Pourtant il dépendait de vous de la jeter et de la lancer, car le principe de votre acte était en vous. Ainsi en est-il pour l'homme injuste ou intempérant : au début il leur était possible de ne pas devenir tels, et c'est ce qui fait qu'ils le sont volontairement ; et maintenant qu'ils le sont devenus, il ne leur est plus possible de ne pas l'être.
Aristote, Éthique à Nicomaque
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas
requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la
compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
I – PRESENTATION DU TEXTE ET DE SES DIFFICULTES
Ce texte d'Aristote ne présente pas de difficultés majeures. Les nombreux exemples qui jalonnent l'argumentation de la thèse constituent une aide pour sa compréhension. Il était donc très important d'être attentif au mouvement de l'argumentation développée par Aristote.
II - L'IDEE PRINCIPALE DU TEXTE
Le problème posé par ce texte
est celui de la responsabilité de nos actions et
plus particulièrement des effets de nos actions sur le
long terme.
Il ne s'agit pas simplement de dire que nous sommes à l'origine de chacune de
nos actions dans la mesure où elles relèvent de notre choix mais que ces choix
répétés forgent notre caractère.
Par la suite, ce sont les dispositions de notre caractère qui nous inclineront à
agir : ainsi l'homme injuste sera enclin à commettre des actes
injustes. C'est en pratiquant la vertu que l'on devient vertueux ; au
contraire, c'est en commettant des actes injustes que l'homme devient injuste.
III - LES NOTIONS-CLES DU TEXTE
Plusieurs notions du programme sont abordées à travers cet extrait : la liberté ; bien sûr, à travers la notion de responsabilité qui apparaît dès la première ligne du texte, mais aussi le devoir (étant donné notre responsabilité, comment devons-nous conduire nos actions pour ne pas sombrer dans la démesure ?) et la justice puisque l'exemple de l'homme juste revient à plusieurs reprises dans le texte.
Mais il était fort utile aussi pour analyser ce texte de convoquer certains repères du programme :
1. En acte/en puissance :
Aristote montre ici que l'homme est en puissance, c'est à dire potentiellement
juste ou injuste, tempérant ou intempérant. Rien ne détermine par avance son
être ou son caractère : ce sont ses actions qui actualiseront ou
réaliseront telle disposition plutôt que telle autre.
2. Contingent-Nécessaire-Possible :
Ces termes permettaient d'éclairer la question des effets de l'action dans
le temps. Ce qui est au départ simplement possible et contingent parce qu'il
relève de notre choix devient par la répétition, l'habitude,
nécessaire. Une fois devenu injuste, nous n'avons plus la liberté de ne plus l'être.
IV - LA STRUCTURE DU TEXTE
Le texte se divise en deux moments :
● Ligne
1-6 :
Enoncé de la thèse suivi d'un argument et d'un exemple.
● Ligne 6-fin :
Analyse des conséquences de cette thèse.
N.B. : D'autres découpages sont évidemment possibles.
Le premier moment :
Aristote affirme que le relâchement, l'injustice ou l'intempérance sont
imputables à une mauvaise conduite. Les hommes ne sont pas ce qu'ils sont en
vertu d'une nature première inscrite dans leur
être et qui les déterminerait à agir ainsi. Cette thèse est
fondée sur l'argument que ce sont les
actions dont ils sont responsables, qui développent en eux certaines
dispositions qui finissent par constituer leur caractère.
Cet argument se fonde lui-même sur un constat empirique : on
"observe" que ceux qui veulent acquérir telle ou telle capacité, s'exercent, c'est à dire
s'entraînent de façon régulière et répétée. C'est à cette seule condition qu'une
simple virtualité peut s'actualiser au point de devenir une "seconde
nature", une nature acquise.
Le second moment :
Il s'agit pour Aristote d'examiner les conséquences de cette thèse et de
montrer ainsi la validité et les enjeux de celle-ci.
● Ligne 6-8 :
Seul celui qui
refuse de prendre en compte ce que l'expérience montre ("l'esprit
singulièrement étroit") peut récuser une telle thèse.
● Ligne 8-12 :
Sauf en cas
d'ignorance, c'est toujours volontairement que l'on commet l'injustice ou
l'intempérance. Il s'agit ici pour Aristote de récuser l'idée selon laquelle
l'Homme pourrait ne pas vouloir être injuste ou intempérant : nous sommes
responsables de ce que nous sommes devenus parce que nous avons toujours décidé
de notre conduite.
Par conséquent, nous ne sommes pas seulement responsables de chacune de nos
actions mais nous le sommes aussi d'être devenus ce que nous sommes (justes ou
injustes, vertueux ou non), d'avoir acquis telle disposition plutôt que telle
autre. En effet, je deviens injuste en pratiquant l'injustice volontairement et
je reste responsable de mes actes injustes même lorsque j'ai l'impression de ne
plus en décider dans la mesure où ce que je suis devenu est imputable aux
actions qui ont forgé mon caractère.
● Ligne 12-fin :
Cette dernière conséquence
(qui fait l'objet du développement le plus long) présente l'enjeu essentiel du texte. Il s'agit bien ici de prévenir
les hommes des effets de leur choix sur la durée.
Même si c'est notre volonté
qui est à l'origine des dispositions que nous avons acquises par l'exercice et
l'habitude, celle-ci ne sera pas suffisante pour inverser les tendances
auxquelles nous inclinent ces dispositions.
L'exemple proposé par Aristote est clair : pas
plus qu'un malade peut décréter de ne plus l'être ou décider de recouvrer la
santé, l'homme injuste ou intempérant ne peut renverser son inclination.
La volonté ne produit ses
effets qu'au début : c'est le sens de la comparaison avec
la pierre. Dès lors que l'habitude est acquise, il n'est plus possible de
revenir sur les effets de l'action. Ce qui était d'abord contingent
est devenu nécessaire.
La conséquence implicite est donc que nous devons être attentif à bien orienter
nos choix dès que nous sommes en mesure d'exercer notre responsabilité.
V – LE PROBLEME SOULEVE PAR LE TEXTE ET SES PISTES DE DEVELOPPEMENT
L'enjeu du texte d'Aristote est de montrer l'entière responsabilité de l'homme face à ses choix et ses actions.
● Il s'agit ainsi de refuser l'idée défendue par Socrate que "nul n'est méchant volontairement" (République), que l'ignorance pourrait ainsi nous disculper des effets négatifs de nos actions. On pourrait donc mettre en perspective le point de vue d'Aristote en abordant les motifs qui pourraient mettre notre responsabilité en question : l'ignorance dont il est question dans le texte peut nous faire agir aveuglément sans que nous soyons conscients et donc responsables des effets de nos actions. Dans cette perspective, on pouvait donc réfléchir sur les conditions de la liberté et de la responsabilité.
● On pouvait aussi
aborder les problèmes soulevés par le texte sous l'angle des
rapports entre nature et liberté.
Avons-nous donc une nature qui nous détermine à
agir ou sommes-nous ce que nous décidons d'être ? Si chaque homme a une nature,
peut-on soutenir qu'il est libre et donc responsable ?
Mais si notre nature n'est, comme semble l'affirmer Aristote, qu'une
nature acquise et seconde, alors on peut dire que l'homme est liberté. On
pouvait ici prolonger avec profit la réflexion en se référent à Sartre qui
montre que l'homme se produit lui-même, qu'il n'est que ce qu'il choisit d'être
(L'existentialisme est un humanisme).