Le sujet 1996 - Bac S - Philosophie - Dissertation |
Le bonheur est-il inaccessible à l'homme ?
I - LES TERMES DU SUJET
Le terme inaccessible ne doit en aucun cas être escamoté. Il ne s'agit pas de savoir si l'on peut accéder au bonheur, mais bien plutôt de s'interroger sur la négativité (in-accessible : auquel il n'est pas possible d'accéder) induite par le sujet.
Une telle position de la question implique une tentative de définition du mot bonheur : est-ce le plaisir ? La vertu ? La simple absence de trouble ? Un parfait état d'équilibre et de bien-être ?
II - ANALYSE DU PROBLEME
A partir de l'analyse des termes du sujet, il faut poser la double question du droit au bonheur, pour l'individu au singulier et l'homme en général.
Les difficultés de l'existence et les différentes formes de la souffrance rendent-elles illusoire toute quête du bonheur ? Est-ce la fugitivité qui caractérise le bonheur ou est-il une fois conquis un élément stable et durable ?
Mais alors, quels sont les critères qui permettent de discerner cette stabilité éventuelle, toujours susceptible d'être mise en doute ?
Il faut donc éprouver les leurres et les illusions qui peuvent infléchir la sensation du bonheur. Le fait que la question concerne l'homme invite à rattacher la problématique du bonheur à celle de la conscience.
Qu'est-ce en effet qu'être heureux ? Est-ce ressentir un perpétuel état identifié comme tel ou s'agit-il au contraire d'une absence complète de souci à ce propos ? Dès lors, se pose la question de l'universalité d'un tel sentiment.
III - LES GRANDES LIGNES DE REFLEXION
Il ne faut pas organiser sa réflexion sur le mode du : oui-non. L'articulation de la réflexion doit plutôt s'attacher à marquer d'abord la distinction entre l'individu au singulier et l'homme en général comme sujet du bonheur.
Dans chaque cas, il faut marquer les différents obstacles au bonheur. Puis, en un second temps, il importe de dépasser la distinction initiale et de poser la question du droit au bonheur et de la nature problématique de l'universalité d'un tel droit.
IV - UNE DEMARCHE POSSIBLE
A - BONHEUR POSSIBLE ET SOUCI DE SOI
La recherche du bonheur est un thème essentiel de la philosophie hellénistique et des différentes "sagesses antiques".
Il y va de ce que MICHEL FOUCAULT a pu baptiser un "souci de soi". Ici, c'est l'individu qui est l'objet de la réflexion. Il s'agit de déterminer tout simplement ce qui rend heureux.
Pour EPICURE, le bonheur s'identifie à l'absence de trouble : on peut -et même l'on doit- être heureux si l'on suit la loi de la nature, c'est-à-dire si l'on se contente d'assouvir des désirs naturels et nécessaires.
Le bonheur est à portée de main et de tous. Ce qui pourrait le rendre inaccessible réside dans une mauvaise estimation des besoins et une conception fausse du plaisir.
On pourra évidemment s'interroger sur une conception aussi limitative du plaisir et du bonheur.
Les hommes n'en veulent-ils pas toujours davantage ? N'est-il pas inhérent à l'homme de dépasser toujours sa condition en ne se contentant pas de ce qu'il a ? Et l'on pointera, par delà les différences, l'accord entre l'épicurisme et le stoïcisme.
A ce propos : quand EPICTETE pose comme préalable à tout bonheur éventuel la juste reconnaissance de "ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas", il ne fait que transcrire sur un autre registre les préoccupations épicuriennes : hédonisme ou ascétisme se rejoignent ici plutôt qu'ils ne s'opposent.
B - BONHEUR COLLECTIF ET ACTION DANS LA CITE
L'autre versant du problème s'éloigne du seul individu et rejoint des préoccupations collectives et donc politique.
La conception d'EPICTETE renvoie ainsi à une idée bien étrange de la liberté si elle conduit à prétendre qu'un esclave sera heureux s'il aquiesce à sa servitude, ou bien même qu'un homme soumis à la torture peut conserver une certaine sérénité.
Il y a là pour ARISTOTE une véritable absurdité qui méconnaît la véritable nature de l'homme. Si l'homme est destiné à agir dans la cité, il est légitime qu'il accorde aux différents biens de ce monde une place privilégiée parmi les multiples voies d'accès au bonheur.
Il semble que l'époque moderne l'ait suivi sur ce point. Ainsi, lorsque SAINT-JUST affirmait : "le bonheur est une idée neuve en Europe", il entendait qu'il n'était pas d'obstacle naturel, économique et social que les démocraties ne fussent à même de lever pour en assurer la diffusion à travers le corps social.
Plus qu'un simple souhait individuel, le bonheur devient dans ces conditions un droit garanti par les constitutions.
C - LE SOUVERAIN BIEN ET LA RAISON
Pourtant, il n'est pas certain qu'on puisse réduire toutes les valeurs humaines à une mesure commune. Il n'est pas possible de décider rationnellement du Souverain Bien parce que le bonheur obéit à des motivations empiriques rebelles à toute universalisation. Le bonheur est bien, comme le rappelait KANT, un "Idéal de l'imagination".
Penser l'inaccessibilité du bonheur renvoie en fait à prendre position vis-à-vis du scepticisme. Aucune position logique ne peut rendre compte d'un tel problème. La question renvoie chacun à son expérience. L'on ne peut rien connaître de l'accès au bonheur ; tout au plus peut-on le reconnaître.
V - QUELQUES REFERENCES POSSIBLES
EPICURE, Lettre à Menecée
EPICTETE, Manuel
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque , VII
KANT, Fondements de la métaphysique des moeurs , deuxième section
SAINT-JUST, Discours et rapports
STANLEY CAVELL, A la recherche du bonheur (sur le scepticisme et le rapport entre connaissance et reconnaissance).
VI - LES FAUSSES PISTES
- Insister sur l'accès au bonheur et non sur les difficultés d'accès au bonheur.
- Penser le bonheur comme un état renvoyant à une vie au-delà de la vie.
VII - LE POINT DE VUE DU CORRECTEUR
Le sujet peut paraître difficile pour des classes scientifiques qui n'auront sans doute pas eu l'occasion de traiter un tel sujet en profondeur pendant l'année scolaire. Sa formulation (négative) redouble sa difficulté.
Il apparaît cependant fort judicieux d'éveiller les candidats à une pensée du bonheur ainsi problématisée.