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Annales gratuites Bac ES : Texte de Arendt

Le sujet  2002 - Bac ES - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique Imprimer le sujet
LE SUJET

Expliquer le texte suivant :

C'est l'avènement de l'automatisation qui, en quelques décennies, probablement videra les usines et libérera l'humanité de son fardeau le plus ancien et le plus naturel, le fardeau du travail, l'asservissement à la nécessité . (...)
C'est une société de travailleurs que l'on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté. Dans cette société qui est égalitaire, car c'est ainsi que le travail fait vivre ensemble les hommes, il ne reste plus de classe, plus d'aristocratie politique ou spirituelle, qui puisse provoquer une restauration des autres facultés de l'homme. Même les présidents, les rois, les premiers ministres voient dans leurs fonctions des emplois nécessaires à la vie de la société, et parmi les intellectuels il ne reste que quelques solitaires pour considérer ce qu'ils font comme des œuvres et non comme des moyens de gagner leur vie. Ce que nous avons devant nous, c'est la perspective d'une société de travailleurs sans travail, c'est à dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire.

Hannah Arendt
La condition de l'homme moderne

La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

LE CORRIGÉ

I - LES TERMES DU SUJET

A - AUTOMATISATION

Effet du progrès technique : des machines automatiques ont été inventées pour effectuer des tâches jusque-là dévolues à l'homme.

B- TRAVAIL ET OEUVRE

Dans le texte, ces termes sont mis en opposition. Le travail est toute tâche rémunératrice, toute opération par laquelle nous produisons quelque chose, en tout ou en partie, contre salaire. L'œuvre est un mot plus noble, qui indique un investissement personnel, patient. Elle s'inscrit dans un temps plus lent.

C - NECESSITE ET LIBERTE

Ces mots s'opposent également. La nécessité impose à l'homme ses exigences incontournables (il faut manger pour vivre). La liberté est la puissance de celui qui agit par lui-même, sous l'effet d'aucune contrainte étrangère à sa volonté propre.

D - SOCIETE, ARISTOCRATIE, EGALITE

Dans la SOCIETE, le choix de l'EGALITE comme principe d'organisation met fin à toute ARISTOCRATIE.

La SOCIETE est l'ensemble des institutions et des intérêts qui unifient une pluralité d'hommes, un groupe de personnes porteuses de nombreuses différences. Cependant, on leur accorde les mêmes droits : c'est l'EGALITE. Aucune personne ne jouit d'un privilège établi, reconnu comme légal, c'est donc un refus de l'ARISTOCRATIE politique. Par extension, l'aristocratie intellectuelle désigne l'élite, les personnes qui ont beaucoup de culture et qui pratiquent des activités de réflexion. Fort peu de gens dans la société consacrent leur vie à une activité spirituelle exclusivement.

II - L'ANALYSE DU PROBLEME

Le monde moderne est organisé autour du travail, tous les hommes s'y consacrent. Ils y emploient parfois l'intégralité de leur temps, y perdent l'essentiel de leurs forces. Cela conditionne toutes les autres dimensions de leur vie : le repos, le loisir. L'engagement des hommes dans le travail est tel qu'il semble souvent donner un sens à leur vie.

L'intelligence de l'homme cherche les moyens d'accroître la productivité, elle engendre un progrès technique, donc elle nous promet plus de liberté au sens où le progrès exige moins de temps pour produire la même chose. Mais l'homme a tellement pris le pli du travail, qu'il semble embarrassé de cette liberté conquise.

Que faire de notre liberté dans un monde organisé par le travail ?

III - UNE DEMARCHE POSSIBLE

A - LES ETAPES DE L'ARGUMENTATION

1) " C'est l'avènement [...] de l'homme "

La place centrale du travail dans la société moderne :

a) La société moderne repose sur une égalité politique qui se manifeste entre autres par l'égalité devant le travail. Nous n'avons pas de revenu de droit, il nous faut travailler pour l'obtenir. Pour satisfaire nos désirs, nous devons transformer la nature, l'adapter à nous ou inventer ce qu'elle ne contient pas. Nul n'a le droit de recourir à des esclaves à cette fin dans le monde moderne ; seule la division du travail permet de partager les tâches et non de s'en dispenser.

b) Nous devons donc, tous, " gagner notre vie ". Et cela en deux sens : obtenir une rémunération pour acquérir ce qui est nécessaire, mais aussi justifier par notre travail la solidarité dont chacun peut profiter en toute égalité. Nous travaillons donc parce que cela nous est utile : c'est le moyen de vivre et d'être inséré dans la société.
Devant une telle exigence, la question du plaisir et du sens est secondaire.

2) " Même les présidents [...] imaginer de pire "

L'humanité a perdu ses buts désintéressés :

a) Toutes les facultés de l'homme ne sont pas satisfaites par le travail. Le goût de la justice, de la vérité, de la beauté, suppose des talents d'observation ou la patience de la méditation pour être satisfait et non l'efficacité de l'action.
L'artiste doit se laisser traverser par l'inspiration, il doit " voir ", sentir, se laisser porter par sa vie intérieure pour ressentir le besoin de créer.
L'homme politique doit négliger parfois l'intérêt, l'utile, pour faire place à la justice.

b) Le lien à l'objet créé peut être plus profond, plus complet.
L'œuvre, de l'artiste, du philosophe, procède d'un engagement intense. Toute la personne est engagée, physiquement et moralement, dans ces processus de création . Elle est le fruit d'une personnalité singulière qui prend le temps de s'exprimer, de se manifester, dans les traits ou les mots.
Cela permet à l'auteur de dire que l'œuvre est davantage le fruit de la liberté. Elle est en effet l'expression d'un être qui se manifeste par sa seule force, de sa propre impulsion, comme une fin et non un moyen utile et donc bientôt caduque.

B - ETUDE CRITIQUE

Ce texte nous permet de réfléchir à une problématique plus vaste :

- Faut-il apprendre à être libre ?
- Faut-il apprendre à ne rien produire pour être soi-même autrement ?
- Faut-il se déprendre des attitudes les plus utilitaires dans la mesure où elles ne concernent pas toute notre humanité ?

D'autres auteurs s'engagent dans la même réflexion. N'y a-t-il pas un profit à être paresseux ? Faut-il que les enfants s'ennuient, ainsi que les artistes, pour qu'ils fassent quelque chose de beau ou de profond, comme le pense Nietzsche ?

IV - LES REFERENCES UTILES

- Nietzsche, Aurore
- Kant, Fondements, troisième exemple
- Marx, Le Capital

V - LES FAUSSES PISTES 

Ne pas comprendre quelles sont "les autres facultés".
Faire une interprétation économiste du sujet.

VI - LE POINT DE VUE DU CORRECTEUR

Texte très intéressant sur notre monde.

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