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Annales gratuites Bac L : Texte de Bergson

Le sujet  1997 - Bac L - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique Imprimer le sujet
LE SUJET

Dégagez l'intérêt philosophique du texte suivant en procédant à son étude ordonnée :

A quoi vise l'art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l'esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? Le poète et le romancier qui expriment un état d'âme ne le créent certes pas de toutes pièces ; ils ne seraient pas compris de nous si nous n'observions pas en nous, jusqu'à un certain point, ce qu'ils nous disent d'autrui.

Au fur et à mesure qu'ils nous parlent, des nuances d'émotion et de pensée nous apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient invisibles : telle l'image photographique qui n'a pas encore été plongée dans le bain où elle se révélera. Le poète est ce révélateur. mais nulle part la fonction de l'artiste ne se montre aussi clairement que dans celui des arts qui fait la plus large place à l'imitation, je veux dire la peinture.

Les grands peintres sont des hommes auxquels remonte une certaine vision des choses qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes.


BERGSON

LE CORRIGÉ

I - LES TERMES DU SUJET

Il s'agit de la fonction ou de l'effet de l'art, au sens des "beaux arts". Il y a donc là les éléments d'une théorie esthétique.

La thèse centrale tourne autour de l'idée de révélation, au sens photographique du terme. Il y a là une métaphore, dont il convient d'analyser toutes les implications.


II - STRUCTURE DU TEXTE

La structure n'apparaît pas au premier coup d'oeil : les transitions et les articulations logiques ne sont pas marquées grammaticalement. Il faut ainsi identifier un mouvement logique essentiel dans le passage de la deuxième à la troisième phrase : le "certes" est suivi d'un "mais" implicite.

La thèse est donc la suivante : l'artiste est un révélateur, au sens où il fait apparaître des réalités qui sans lui seraient demeurées invisibles et inconnues ; il ne les crée pas, cependant il les fait advenir à la lumière.

Il y a donc, dans la création esthétique, une sorte de dialecte où le donné commun et universel, le fond préconscient ou inconscient de l'humanité, se transfigure en réalité consciente et appropriée par la volonté.


III - LES GRANDES LIGNES DE REFLEXION

A - Explication et illustration du concept de l'artiste-révélateur. En particulier, puisque c'est là, pour BERGSON, l'exemple par excellence de la création artistique, analyse du travail du peintre figuratif : à la fois "imitation", donc passivité apparente face à un réel donné, et transposition créative, mise en lumière de ce qui avant le travail de représentation, reste dans l'obscure présence de l'immédiateté.


B - Mise en perspective de cette doctrine esthétique : la réhabilitation de l'imitation répond à sa dévalorisation platonicienne, dont il convient de rappeler les fondements.


IV - UNE DEMARCHE POSSIBLE

A - BERGSON cherche à repenser les rapports entre l'art et le réel, et à dépasser les trop simples oppositions construites par la tradition philosophique.

L'artiste, selon BERGSON, est à la fois dans le réel et au-delà du réel. La première caractéristique de l'oeuvre d'art - qu'elle soit, d'ailleurs, celle de l'artiste ou celle de l'artisan - est d'ajouter quelque chose au réel.

ARISTOTE définissait déjà l'art comme le processus par lequel l'homme prolonge et augmente la nature en y ajoutant ce qu'elle ne produit pas d'elle-même.

Concernant le travail propre de l'artiste, SARTRE, dans L'Imaginaire , décrit le travail de l'imagination créatrice comme un travail de "néantisation".

La conscience se révèle dans l'oeuvre d'art en particulier, capable de réduire à néant le réel pour le reconstruire différemment.

Cependant, si l'on s'en tenait à ce seul aspect de la création, le travail de l'artiste apparaîtrait comme le résultat d'une fantaisie arbitraire, close sur elle-même et entièrement coupée de la réalité.

Contre une conception gratuite de l'oeuvre d'art, BERGSON souligne le rapport profond et paradoxal que l'oeuvre d'art entretient avec le réel.

Il y a bien, à un niveau qui échappe au premier regard, une "vérité" de l'oeuvre, une adéquation entre l'oeuvre et le réel. Mais cette adéquation n' est pas une simple répétition du réel.

"L'art, écrivait Paul KLEE, ne reproduit pas le visible, il rend visible".

C'est ce "rendre visible" qui sous-tend le texte de BERGSON. Il existe un fond inconnu ou méconnu de l'existence humaine, "des nuances d'émotion et de pensées (...) qui demeuraient invisibles", qui sont présentes mais qui ont besoin de l'artiste pour devenir conscientes.

On songera, pour illustrer cette thèse, à l'art dont les développements s'annoncent à l'époque de BERGSON : après l'impressionnisme et le fauvisme, le cubisme mène à son terme la transposition subjective du réel qui tout à la fois recueille le réel dans son apparition, et révèle l'humanité sans laquelle le réel resterait inerte et invisible.


B - On aperçoit, derrière l'analyse de BERGSON, le désir de réconcilier l'art et la philosophie, en appréhendant l'oeuvre d'art comme un moyen différent mais tout aussi essentiel de faire advenir une vérité.

Ce désir est aussi ancien que la philosophie, et il est à l'origine d'un non moins ancien et douloureux déchirement : depuis PLATON, qui détruisit ses premières tragédies et projeta d'exclure les poètes de la cité idéale, l'art apparaît souvent à la philosophie comme un parent honteux, une tentative avortée avantageusement supplantée par la science et la philosophie.

Qu'il s'agisse de KANT - qui montre que l'oeuvre d'art n'est pas soumise à une exigence de vérité et d'adéquation, et qu'elle ne vise qu'au plaisir de la contemplation - ou de HEGEL - qui circonscrit la pertinence de l'oeuvre d'art, du point de vue de l'expression de la vérité, à des contenus historiquement dépassés -, la philosophie semble répéter sur tous les modes la sentence platonicienne.

C'est de cette tradition que se démarque l'analyse de BERGSON, semblable en cela aux développements contemporains de l'analyse phénoménologique de l'oeuvre d'art, illustrée par HEIDEGGER et par MERLEAU-PONTY.

Pour ces auteurs comme pour BERGSON, l'oeuvre d'art est un mode d'accès spécifique et irremplaçable à la constitution même du réel : MERLEAU-PONTY montre ainsi, à propos de CEZANNE - et cette analyse pourrait illustrer le texte de BERGSON - que l'oeuvre du peintre saisit, comme ne saurait le faire le discours, l'image en train de se constituer.

Elle "révèle" - pour reprendre le terme de BERGSON - le travail du regard et de la conscience dans lequel se donne la constitution du réel.


V - DES REFERENCES POSSIBLES

- PLATON, La République , Livre X

- HEGEL, Esthétique

- MERLEAU-PONTY, L'Oeil et l'Esprit


VI - LES FAUSSES PISTES

Il était important de ne pas se laisser désarçonner par la formulation apparemment peu rigoureuse de BERGSON, et essayer d'identifier, derrière le "mouvant" du style et de la structure argumentative, toute la "pensée" de l'auteur.


VII - LE POINT DE VUE DU CORRECTEUR

Le texte est difficile, et même peu clair. Il risquait d'ouvrir la voie aux développements les plus rhétoriques et les plus confus.

Il fallait donc veiller à être d'autant plus rigoureux que le texte et le thème traités étaient plus "glissants".

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