Le sujet 1995 - Bac ES - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique |
Dégagez l'intérêt philosophique du texte suivant en procédant à son étude ordonnée :
Ainsi je suis en contradiction avec vous lorsque, poursuivant vos déductions, vous dites que l'homme ne saurait absolument pas se passer de la consolation que lui apporte l'illusion religieuse, que, sans elle, il ne supporterait pas le poids de la vie, la réalité cruelle.
Oui, cela est vrai de l'homme à qui vous avez instillé dès l'enfance le doux - ou doux et amer - poison. Mais de l'autre, qui a été élevé dans la sobriété ? Peut-être celui qui ne souffre d'aucune névrose n'a-t-il pas besoin d'ivresse pour étourdir celle-ci.
Sans aucun doute l'homme alors se trouvera dans une situation difficile ; il sera contraint de s'avouer toute sa détresse, sa petitesse dans l'ensemble de l'univers.
Il ne sera plus le centre de la création, l'objet des tendres soins d'une providence bénévole. Il se trouvera dans la même situation qu'un enfant qui a quitté la maison paternelle, où il se sentait si bien et où il avait chaud.
Mais le stade de l'infantilisme n'est-il pas destiné à être dépassé ? L'homme ne peut pas éternellement demeurer un enfant, il lui faut enfin s'aventurer dans l'univers hostile.
On peut appeler cela "l'éducation en vue de la réalité " ; ai-je besoin de vous dire que mon unique dessein, en écrivant cette étude, est d'attirer l'attention sur la nécessité qui s'impose de réaliser ce progrès ?
FREUD.
I - QUELLE ANALYSE POUR CE SUJET ?
Dans ce texte Freud oppose la religion qu'il qualifie d'infantile et de névrotique à l'idéal qu'il espère pour l'humanité : celui, en l'occurrence, de donner naissance à un être capable, par son progrès, de dépasser l'infantilisme du besoin religieux.
La problématique qui sous-tend ce texte est donc celle de savoir si oui ou non la religion est de l'ordre de l'enfance.
II - UNE DEMARCHE POSSIBLE.
A - LA POSITION DU PROBLEME : 1ERE PHRASE.
Freud visiblement répond à un interlocuteur qui pense que la religion est incontournable, car, dit-il, l'homme a besoin de consolation.
Cette thèse est une thèse classique. Elle repose sur l'idée que la religion est un besoin psychologique de l'homme.
Celui-ci, étant faible et souffrant, a besoin de consolation. Et rien ne peut mieux le consoler que la perspective religieuse d'une vie éternelle.
Aussi aura-t-il toujours besoin de la religion et celle-ci existera-t-elle toujours, rien ne pouvant mieux jouer ce rôle qu'elle.
Cette thèse n'est pas sans force, car elle fonctionne de façon circulaire. L'éternité de la religion extérieure à l'homme est justifiée par l'éternité du besoin religieux en l'homme.
Si bien que les deux se correspondant, la boucle est bouclée.
B - LA CRITIQUE DE FREUD (jusqu'à "chaud").
Pourtant, Freud ne se laisse pas duper par l'argument. Si le raisonnement se tient, son présupposé est faux. Aussi, est-ce celui-ci qu'il attaque.
La religion n'est une réponse à la question que l'homme se pose que quand on considère l'homme en l'infantilisant.
Elle ne se maintient par ailleurs, comme réponse pertinente, que quand on habitue l'homme à se comporter comme un enfant.
Ici, Freud développe une nouvelle théorie : celle de la névrose, qu'il rapproche de la notion d'ivresse.
Quand l'homme a été habitué à vivre de façon ivre, il est normal qu'il ait besoin d'ivresse, de façon quasi-obsessionnelle.
C'est la raison pour laquelle la religion donne l'illusion d'être naturelle.
Rompre avec cette habitude n'est pas simple constate-t-il. Car l'ivresse est grisante. Elle est narcissiquement réconfortante. Savoir qu'une providence s'occupe de nous est rassurant.
Renoncer à cette sécurité provoque une blessure. Elle amène la souffrance de la solitude.
C - LA RESOLUTION DU PROBLEME (jusqu'à la fin).
Mais Freud surmonte cet obstacle. Si rompre avec l'infantilisme est douloureux, cette séparation d'avec l'enfance débouche sur l'accès à l'âge adulte.
Aussi est-elle gratifiante et justifie-t-elle qu'on s'y adonne. C'est en tout cas ce qui a comblé Freud lui-même en quittant l'illusion religieuse infantilisante, il a accédé à une joie nouvelle : celle de se sentir devenir adulte.
Aussi aspire-t-il à ce que toute l'humanité accède à un tel état et déclare-t-il tout faire afin d'y contribuer.
D - CRITIQUE DU TEXTE.
Ce texte de Freud est problématique à maints égards.
D'abord d'une façon interne, comment comprendre le rapport que Freud a à l'égard de la psychanalyse ?
Manifestement, cela n'est pas clair. Si la religion ne le sécurise pas, la psychanalyse qui lui permet de tout comprendre semble le sécuriser.
De sorte qu'on peut se demander s'il ne déplace pas l'illusion religieuse qu'il critique sur la psychanalyse elle-même.
Extérieurement par ailleurs, on peut se demander si l'analyse de Freud n'est pas quelque peu réductrice.
Quand il s'est agi de comprendre l'inconscient comme l'a fait remarquer Paul RICOEUR, Freud s'est tourné vers les mythes comme le mythe d'Oedipe, signe que la dimension du sacré n'est pas aussi infantile qu'on le suppose.
Par ailleurs, comme l'a fait remarquer Bergson, les mystiques n'ont pas été que des enfants en mal de consolation.
Ils ont été aussi des hommes et des femmes capables de tout donner à une vocation et de se donner aux autres.
D'où la nécessité de reformuler la question religieuse en se demandant si il n'y a pas quelque chose d'adulte dans la dimension religieuse et quelque chose d'infantile dans son rejet et sa réduction.
Et si l'existence allait plus loin qu'on l'imagine, et si la religion avait été le terrain de cette exploration ?
Cette question bergsonienne ne signifie pas pour autant que les critiques de Freud soient infondées.
Si tous les religieux ne sont pas des enfants, il existe de l'infantilisme, de la névrose, voire de la violence au sein du religieux.
Et l'on apercevra d'autant mieux le côté créateur de celle-ci qu'on saura s'affranchir par une critique exigeante de ses aspects destructeurs.
III - REFERENCES UTILES.
FREUD, Essais de Psychanalyse appliquée.
MARX, Critique de la philosophie du droit de Hegel.
PAUL RICOEUR, De l'interprétation.
BERGSON, Les deux sources de la morale et de la religion.
IV - FAUSSES PISTES.
Ce texte n'était pas un texte sur l'homme ou l'enfant.
Il fallait comprendre que toute la critique freudienne repose sur la mise en question du présupposé faisant de l'homme un enfant.